20/12/2008

AUBE, la saga de l'Europe. Livre II, 002

La première moitié d'AUBE, la saga de l'Europe est consultable à l'adresse suivante :
http://www.lavoixdunord.fr/forum/showthread.php?t=391
160 pages de lectures.





Les chiens ! C'était eux la cause de toute cette agitation. Tout avait commencé par un grand concert d'abois et de hurlements, rauques à déchirer la gorge, stridents à percer les oreilles. Ce sonore tohu-bohu était né du partage, ou plutôt de son refus, de ce qu'un premier molosse avait considéré comme un mets délicat… le cadavre d'un bébé né avant terme, abandonné, indigne et inviable, sur le tertre d'exposition. Le chien l’avait repéré et longtemps veillé. Tant qu'il avait vécu et s'était agité, il avait été protégé par son statut d'homme, que les animaux domestiques répugnent à dévorer tant qu'ils sentent en lui la vie et la présence d'une âme. La nuit était venue, le froid avec elle. Ses mouvements s'étaient faits plus rares, plus sporadiques, plus saccadés. La vie s’en était bientôt échappée. Le molosse avait encore attendu, l’explorant de sa truffe. Il le sentait de plus en plus froid... Son âme avait fui. Il n'avait plus voulu perdre un instant. Quel bon repas l'attendait !
Son manège n'était pas passé inaperçu des autres, à moins que l'odeur de la mort n'ait frappé leurs narines toujours en quête de mangeaille. Pendant que le mâtin plus malin, ou plus patient, ou plus prompt avait, enhardi, saisi celui qui n'était plus que chair à déchirer, qu'il avait serré entre ses crocs une de ses cuisses pour le traîner et l'emporter là où il pourrait s'en repaître en toute quiétude et égoïsme, à l'abri des regards et de la convoitise, ils s'étaient déployés tout autour en un cercle lâche, prêts à bondir quand il s'arrêterait pour en profiter.
Peu après, alors qu’il traversait le village, le plus affamé avait perdu patience. Il s'était jeté sur lui, dans l'espoir de le lui arracher. Le molosse, méfiant, avait évité l'attaque. Il avait lâché le bébé et commencé à se battre avec son agresseur, tandis que les autres se précipitaient sur la proie un instant abandonnée. Le bruit – abois, hurlements de douleur quand un croc trouvait sa cible, grondements assourdis et rauques lorsqu'ils se secouaient entre leurs mâchoires serrées à ne jamais se lâcher – avait déclenché l'assaut. Ils étaient autour du petit cadavre à près d'une douzaine, certains essayant de s’en saisir ou de le reprendre à celui qui y avait porté la dent, d'autres se battant entre eux, pour rien, sans plus penser à celui qui roulait sous leurs pattes. Ils n'étaient plus loin, tirant dessus à hue et à dia, de démembrer le corps qu'ils se disputaient et qui ne ferait pour chacun qu'une maigre bouchée.
Leur vacarme avait fini par réveiller les villageois. Les plus hors d'eux, qui vivaient autour de la petite place théâtre de la bataille, se levèrent et sortirent dans leurs enclos. Leur sortie ne troubla pas un instant la bruyante mêlée. Elle se poursuivait de plus belle. Enfin, le plus excédé de ceux qui s'étaient levés – il l'était à juste titre, tout se déroulait sous ses murs – ramassa des pierres arrachées à la terre pour pouvoir la cultiver sans briser son araire, rassemblées pour bâtir un muret. Vite imité par ses voisins, il lapida la meute emmêlée. Malgré l'obscurité à peine percée par une Brillante anémique et quelques étoiles peureuses surgissant de derrière les nuages pour vite y replonger, ils visaient bien. Les chiens, caillassés d'importance, s'enfuirent en jappements plaintifs ou hurlements perçants. Ils abandonnèrent le corps quasi intact malgré les tiraillements subis de tous côtés. Pour parachever le désordre causé par leur voracité, ils allèrent clore leur querelle près de l'enclos des taureaux. Réveillés en sursaut et saisis de l'ardeur du rut, ceux-ci ne tardèrent pas à en défoncer la clôture et à se répandre.

19/12/2008

AUBE, la saga de l'Europe L II, p 001

La première moitié d'AUBE, la saga de l'Europe est consultable à l'adresse suivante :
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05/06/2008

AUBE, la saga de l'Europe 006

Deux fois déjà, le chef de ses hôtes l’avait écouté. Il n’était pas encore satisfait. Il continuait à l’interroger, à le presser de questions, avide de tout comprendre, attentif à ne lâcher nul fil du lacis de l’assaut. Chaque point pouvait compter.
Il tentait d’avoir réponse à tout. L'hôte avait à cœur d’accomplir son devoir de vengeance. Il ferait tout pour l’aider à la mener à bonne fin. D'autres guerriers, assis à ses côtés, tendaient l'oreille. Ils y allaient parfois, eux aussi, de leur question. Certaines semblaient étranges, anodines, voire stupides, mais chacune se justifiait... Toutes témoignaient de leur sens et de leur science du combat.
Il se sentait bien. Les dieux l'avaient exaucé. Ceux chez qui ils l’avaient conduit connaissaient l’art de la guerre plus que personne, l’aimaient et, à la différence de la plupart, ne seraient pas gens à partir à l’aveuglette. N’eût été leur aspect de bons vivants, il se serait cru face à Thonros et sa troupe.
Mais le dieu des combats n’aurait pas eu besoin de poser toutes ces questions, d’éclaircir tous ces points. Il n’aurait pas eu à ses côtés un guerrier faisant couler par terre la moitié de son hydromel, ni un autre la morve au nez, se l’essuyant de la manche après chaque reniflement. Qu’importe ! Faute d’être ici, il avait mis sur sa route une élite armée. Cela se voyait à la beauté de leurs servantes, auprès de qui l’objet de son désir semblait une souillon, et à l’abondance des bijoux leur enserrant col et poignets. Ils n’avaient jamais connu la défaite.
De tels hommes n’ont peur de rien. Ce n’est pas sans frémir – non de crainte, du plaisir anticipé de l’écrasement de ses bourreaux – qu’il entendit leur chef ordonner aux siens de partir rallier les clans voisins : Butin considérable et sang à laver les attendaient. Lâche et indigne qui ne se joindrait à lui ! Ils partirent dans la nuit. Il revint à son idée première. Sous le commun masque de l’humaine nature, les dieux de la guerre étaient devant lui. Qu’importait sa mort ! Sa vengeance serait accomplie.
... Mais est-ce un dieu qui vous dit, se pinçant le nez, que vous puez le cadavre, et d'aller vous laver ? Est-ce un dieu qui vous laisse un cruchon d’hydromel et vous conseille de le boire à petites gorgées pour ne pas vous étouffer ? Les dieux ne montrent pas cette sollicitude. Il était vivant ! Devant lui, souriant, se tenait le vengeur des siens, le fléau de leurs assassins. Il n’en doutait plus. Homme, dieu, il les ferait expier.

01/06/2008

AUBE, la saga de l'Europe 005

Il se pencha, observa les traces. Celles des chariots étaient profondes. Aucun risque, sauf pluie violente et prolongée, de les perdre. Il leva le regard vers le soleil. Il était resté évanoui trois de ses pas. Il huma les bouses encore chaudes laissées par les bœufs de trait. Les derniers massacreurs étaient partis depuis trois, voire quatre, fois moins longtemps.
Il l’avait vérifié par une foule d’autres détails, s’était de même assuré de leur nombre et de leur route. Les leçons apprises, dès sa prime enfance, des hommes d’âge et de savoir, avaient afflué. Ils avaient mis leur ultime fierté, employé leurs ultimes forces, à le transmettre et à former la jeunesse avide de les égaler. Leurs efforts n’auraient pas été vains. Elles lui avaient profité...
Il s’était mis à courir. Là où il dirigeait ses foulées, il trouverait un clan de guerriers de sa race. Il lui ferait le récit de son malheur. Il lui demanderait vengeance. Pourvu qu'elle soit puissante et riche en hommes forts et vaillants ! Ses assaillants avaient eu de lourdes pertes. Leurs rangs comptaient nombre de blessés. N’importe ! Il lui fallait la meilleure troupe. Il n’allait pas mener un raid. Il allait faire payer le prix du sang.
Il courait. Le soleil était toujours plus bas, les ombres toujours plus longues. Il courait. Bientôt la nuit – où nul ne s’aventure… des puissances hostiles y rôdent ; où la vie, comme les hommes, est assoupie – viendrait. Les muscles de ses jambes n’étaient plus que douleur ; son souffle, un brasier desséchant. Il courait. Il courrait jusqu’à rencontrer des frères, et entendre leur serment de venger les siens. Après, il serait toujours temps de songer à la souffrance... Après.
La pluie vint lui rafraîchir le gosier, une pluie battante, circonscrite, d’autant plus forte qu’elle n’arrosait qu’une faible surface. Elle ravina le sang séché sur son visage, lava les failles où il s’était craquelé ; les îlots noirâtres qu’elle laissa sur sa peau bronzée lui firent un masque plus sinistre encore. Cette ondée était une aide des dieux. Il respirait mieux. Sa course reprit une ardeur nouvelle. Malgré la tombée de la nuit, il continuerait, quitte à en affronter les forces mauvaises… La belle affaire ! Se soucier de piteux démons, quand l’attendait la vengeance !
Courir, courir encore, courir à en mourir. La nuit était tombée depuis au moins un pas de la Brillante. De quoi désespérer. Les dieux, pourtant, désiraient que son clan soit vengé. Il avait compris. Ils le voulaient lui aussi. Il n’aurait que le temps de mettre les siens sur la piste de ses assaillants... Si c’était leur prix !
Cachés jusqu’alors par une petite levée de terre, des feux apparurent au loin. Ils l’avaient exaucé. Il avait trouvé un camp... de son peuple, il le fallait ! Il se dirigea vers eux. Soudain, des abois retentirent. Des molosses se ruèrent sur lui, mâchoires à tout déchirer. La pluie battante pouvait avoir lavé son visage, il semblait une pièce de viande. Ils allaient le dévorer. Un ordre retentit. Ils se mirent à l’arrêt. On lui cria de ne plus bouger.
Il reconnut les mots. Il était arrivé. Tout était bien. Les dieux pouvaient le prendre.
Mais qu’ils le laissent, avant, délivrer son message !

31/05/2008

AUBE, la saga de l'Europe 004

Debout, il examinait le charnier. Guerriers, vieillards, femmes, enfants, ennemis, étaient entassés. Comment n'avait-il pas étouffé ? Il respira un grand coup. Était-il blessé ? Sa peau ! Rouge sang ! Il avait été écorché vif ! Mais il ne ressentait aucune douleur... Ce n’était que du sang répandu. Il avait été si peu écorché qu'on lui avait laissé ses vêtements. Il se palpa. Les Muets, au dire des vieillards gardiens des traditions, mutilent leurs victimes. Ils leur coupent les oreilles – ils s’en font des trophées – et la virilité – ainsi diminuées, elles n’oseront venir réclamer vengeance auprès des dieux. Au mieux, ils les dépouillent et les dénudent. Voici qu’il était intact, du moins entier. Il se caressa la tempe. Sa chair était à vif ! On lui avait arraché l’oreille ! Il se détrompa. Cette plaie n’était que la trace du coup qui l’avait étendu à terre, raide comme bâton, le laissant encore abasourdi.
Il continua à se tâter. Il n’avait rien de grave. Comment, à la différence des siens, avait-il pu être épargné ? Blessure bienvenue ! Le laissant pour mort, elle lui avait sauvé la vie.
Il revint au tas de cadavres qui l’avait protégé. Au moment de l’assaut final, ils s’étaient regroupés, faisant le dernier carré autour de lui. Ils lui étaient tombés dessus, le masquant à la fureur dépeceuse de l'ennemi. Ces maudits n’avaient pas, dans leur hâte, pris le temps de les retourner pour s’emparer de tous leurs biens. Ils avaient paré au plus pressé, ne s’attardant à dépouiller et à mutiler que les mieux vêtus et ceux qui semblaient commander. En auraient-ils eu le loisir que, devant son aspect, ils y auraient renoncé. Sa fourrure miteuse était indigne d’un butin ; ses oreilles, ourlées comme celles d’une femme, pas plus dignes de figurer parmi des trophées. Le contenu des chariots et les ornements pris sur les chefs, à eux seuls, justifiaient les risques de cette attaque loin de leurs bases. Ils ne s’attarderaient pas pour une vieille peau pleine de sang et le mesquin plaisir d’essoriller un gamin. Ils partiraient vite, ne prenant que le temps d'honorer leurs morts.
Il maudit son roi. « Un abri, un raccourci ! » … Un abri contre le vent, pour un raccourci vers la mort. Puis il tomba à genoux. Le message des dieux était clair. Ils l’avaient laissé vivre pour laver l’affront. Ils avaient ordonné. Il obéirait. À l’instant.