19/01/2009
AUBE, la saga de l'Europe L II, p 004
Tout était différent aujourd'hui. La chance tant espérée était là. Il était concentré, à oublier le monde, pour recevoir l'appel des dieux. Il ressentait tout ce qu'il lui avait décrit, avec force exclamations et éloquente emphase. À la différence des autres, il avait attendu longtemps avant de faire venir un augure. Il avait interrogé, contre interrogé, tous ceux qui avaient prétendu être, comme lui, favorisés d'une vision. Il l’avait reconnue dans leurs descriptions. Elle revenait, sporadique, toujours aussi précise et également distribuée, pour peu qu'on dorme dans un certain endroit. Violente, elle mettait à la bouche un goût de métal. Nul n'en sortait intact, tête serrée, corps desséché, toute la matinée suivante.
Il l’avait écouté, attentif. Il retrouvait tout : bouffées de chaleur, impression de baigner au sein d'une fournaise, oppression, flammèches, et toujours, signe étonnant, aucune sueur. Tout y était, au détail près. La véracité absolue du récit de son hôte lui apparut à une circonstance que même le plus ingénieux affabulateur n'aurait pu inventer. Les poils de son torse s'allongeaient et se vrillaient en tortillons, s'emmêlant en une jungle inextricable et proliférante, jusqu'à donner à son poitrail l'aspect de celui du mange-miel. Il n'y avait que deux guerriers, tous les deux aussi velus que lui, à l’avoir ressenti, mais ils n'avaient, eux, rien su percevoir du message ainsi révélé. Pour lui, ce foisonnement avait été fécond. En même temps qu'ils croissaient sur sa poitrine, il se représentait les mousses sur le flanc exposé à la nuit des chênes s'étirant, se transformant en rameaux, en nouvelles branches, tandis que l'écorce du côté opposé se racornissait, se desséchait, se craquelait jusqu'à disparaître et à faire ressembler le tronc nu à une chair couverte d'escarres. Feu, sueur, foisonnement : le message divin était limpide
Tous les signes avaient pris un sens bien précis. Un sens qui rejoignait ses intuitions, ses impressions, sa vision de l'avenir. Il était arrivé à une conclusion irréfutable. Son parcours avait été tout de logique, d'une logique au service du vouloir des dieux. Ce n'était pas son affaire. Sa clairvoyance venait non d’une lente réflexion, mais de ce que les divinités lui avaient tout montré, tout expliqué.
Cet avertissement divin et l'avenir qu'il souhaitait concordaient en tous points. Ça n'avait rien pour l'étonner. Il en avait reçu d'autres auparavant. Honte sur lui d'avoir failli à les identifier, prenant pour fantaisie ce qui était appel. Fallait-il que ceux d’en-haut souhaitent son élévation pour être si explicites et ne s'en être point détournés devant son incompétence ! Il ne négligerait plus leur message. Au matin, il partirait pour Kerdarya. Ce qu'il avait à dire était trop important. Ses révélations ne subiraient aucun retard.
Il avait cette nuit senti l'imminence d'une sécheresse qui dévasterait tout le midi, et la nécessité de migrer au pays des arbres moussus, où son peuple proliférerait et s'épanouirait. Depuis un moment, ses voyages l’avaient instruit que le climat évoluait. Cette vision venait couronner un intense travail de déduction, en était le point culminant. Jamais il ne l'admettrait. Les dieux seuls, non sa science, avaient inspiré sa prophétie.
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05/01/2009
AUBE, la saga de l'Europe. Livre II, 003
Il avait été bien souvent appelé pour résoudre des énigmes et interpréter des rêves, deviner si telle et telle vision avait une source divine, ou était née d'excès de cervoise ou de venaison, de la maladie, ou était simple affabulation. Il lui fallait vérifier si ce que des petits prêtres, peu instruits des arcanes de la divination, avaient considéré comme des présages ou des signes en étaient, ou s'ils n'avaient pas été plus à même que les autres de reconnaître un message d'une simple illusion. C'était le plus souvent le cas. C'était fou le nombre de gens en quête d'un oracle pour interpréter les visions dont ils avaient, ou bien plus souvent croyaient avoir, été gratifiés. On ne comptait pas non plus les prêtres qui estimaient, en toute bonne foi, avoir reçu un avis des dieux concernant l'avenir et la gloire d'Aryana. Sceptiques devant les prétentions des autres castes à avoir été distingués par le divin, et tentant de les persuader qu'ils avaient rêvé, ils prenaient très au sérieux ces mêmes pseudo avertissements adressés à eux, et obligeaient les augures à venir sans cesse vérifier si les dieux leur avaient parlé. Les sabots usés de son cheval en témoignaient.
Mais les dieux ne favorisaient aucune caste. Le plus souvent, ils avaient pris un misérable songe dépourvu de tous sens et raison pour une révélation, ou un tout petit écart au train-train pour un prodige au retentissement universel. Trop de prêtres étaient mal formés. Un oracle se déplaçait trop souvent pour entendre des platitudes ou constater que les miracles annoncés étaient tout naturels. Seul un esprit mal instruit les avait jugés étranges et hors de toute norme.
Quand il avait été appelé dans ce village où il se tenait à leur écoute, il avait soupiré, avec le fatalisme de l'habitude. Il se verrait encore une fois mis devant le routinier fait accompli d'une anodine ineptie. Il s'était pourtant dérangé, comme le commandait son devoir, mais son zèle faisait peur à voir. Une nouvelle déception l'attendait ! Jamais il ne rencontrerait un homme à qui les dieux eussent parlé. Sa vie durant, il courrait de village en village, à l’affût d'un message divin, pour ne jamais l'entendre. Il connaîtrait tout Aryana avant de pouvoir s'élever.
Cette fois encore, il se dirigeait vers un nouveau lieu inconnu, dans un mélange d'espoir d'y rencontrer son étoile et de certitude presque totale d'être déçu derechef. Chaque fois qu'il était allé vérifier les allégations d'un prêtre, il n'en avait jamais eu la confirmation. Rien n'en restait, ni de ce qui avait été à leur origine. Tout était songe creux. Pourquoi cela changerait-il ?
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