28/05/2009
AUBE, la saga de l'Europe 203
Il descendit de l'estrade. Il les rassura. Ils seraient les premiers, quand le bhlaghmen sortirait, à voir le k’rawal. Ils se calmèrent.
Son prêtre sortit. Ce fut une belle bousculade. Dieux merci, il avait prévu une forte escorte. Elle dut jouer du plat de l’arme. Le Joyau, sinon, serait tombé. Il leur fit honte et les mit en garde. S’ils ne s'en tenaient à distance et ne le laissaient passer, ils ne seraient pas autorisés à le voir, non plus que le reste du butin. La menace fit son effet. Ceux qui se pressaient et s’agglutinaient à l’entrée de la tente reculèrent de plusieurs pas. Le prêtre leur fit la faveur de le leur présenter. Leurs regards eurent tout le temps de s’en repaître. Il le remit en place et se dirigea vers les tréteaux. La petite foule le suivit. Dans son sillage, elle s’en rapprocherait.
Il arriva au pied. Il gravit, lent, précautionneux, l’échelle qui y donnait accès. Il brandit le coffret à deux mains, tout au-dessus de sa tête. La foule poussa un grand “ Ah ! ” satisfait et soulagé. Sa longue attente était terminée. Le moment était venu. Elle pouvait compter, comme si elle les voyait s’égrener, les instants qui la séparaient encore de la vision espérée.
Kleworegs partageait son impatience. Peu lui importait de rester au bas de l'estrade (Les prêtres, parlant du sacré dont le Joyau faisait à coup sûr partie, y étaient les seuls admis). Il restait le maître du jeu. Quand ses hôtes acclameraient la pierre, c’était lui, bien qu’il en sache moins qu’un enfant en bas âge sur tout ce qui touchait au divin, non la robe de lin trônant face à eux, qui serait à l’honneur. Nul n’en doutait, son prêtre moins que tous les autres.
Il avait cependant, en cet instant, son heure de gloire. Il toisa la foule, plein de morgue, jusqu’au silence total. Il n’eut guère à attendre. Il ne montrerait pas le k’rawal avant. Elle s’apaisa. Il fit signe à deux acolytes de s’approcher. À l'un, il confia la boite pyrogravée. Il l’ouvrit, comme s’il craignait que son contenu ne s’en échappât, en psalmodiant à voix basse. À l'autre, il en donna le couvercle. Il présenta à la foule le côté marqué de la grande croix. Elle regardait, transie. Il se tourna vers le premier acolyte. Il plongea les mains dans la cassette pour y prendre le Joyau. Il reposait sur une bande de tissu rouge, pliée et repliée. Le cachant encore, il le retira et, le pressant contre son sein, à hauteur du plexus, se retourna. Avec lenteur, il éloigna ses mains de sa poitrine. Levant les bras, il l'exposa... Ils contemplèrent enfin la pierre-merveille.
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27/05/2009
AUBE, la saga de l'Europe 202
Le soleil s’était levé depuis peu. Tous ou presque étaient déjà debout, yeux fermés à moitié de n’avoir pas ou peu dormi. Ils attendraient des pas de Sawel pour voir l’objet de leur convoitise. Certains avaient passé la nuit devant sa tente. De leur groupe provenait un concert de toux et d’éternuements. Il trahissait, autant que la gelée blanche, le froid nocturne.
Kleworegs – il était bien le seul – dormait encore. Le bhlaghmen s’était réveillé. Il vint le prier de se montrer. Sa vue calmerait la foule au bord de la ruée.
Il s’habilla. Le prêtre fit renforcer la garde. Enfin, il sortit. Ils se dirigèrent vers l’estrade où il avait prévu de monter, la veille, dire son périple. Les circonstances l’avaient contraint à rester à sa place au banquet. Il y déclarerait l’ouverture des festivités et y présenterait sa prise dans un luxe et une débauche d’effets à marquer ses hôtes pour une génération. Ceci compenserait l’absence de solennité de son récit.
Les acolytes avaient décoré l’estrade aux couleurs des neres. Un velum de lin blanc, de nombreuses bandes non cousues, l'abriterait. Aux quatre coins flottaient des bannières rouges, découpées dans le tissu aux reflets brillants pris dans le butin. On y accédait par une échelette aux barreaux larges et peu espacés, facile à grimper même bras encombrés. L’ostension serait réussie, qu’importe le temps. Il en avait étudié la disposition et la décoration à cet effet. On pourrait admirer le Joyau tant qu’il ferait jour. Pour plus de précautions, un second dais, destiné à le protéger, doublait le premier voile de lin. Entre les linges qui l’entouraient et les guerriers qui le gardaient, il était bien défendu, des éléments comme des hommes.
Kleworegs, arrivé au pied, y monta. La construction était conforme à ses vœux. Son bhlaghmen n’aurait aucun mal à faire comme lui, même avec le coffret. Une grande foule se pressait devant. Il la harangua. Pas d’inquiétude ! Ils allaient enfin, ce n’était plus qu’une question d'instants, contempler le Joyau. À preuve, le prêtre se dirigeait vers la tente où il était gardé. Il retournerait bientôt avec lui. Qu’ils patientent encore un peu, un tout petit peu ! Leur récompense n’en serait que plus grande.
Des cris de déception s’élevèrent, venus des rangs de ceux qui avaient veillé, dans la nuit froide, à la porte de la tente. Leur attente avait été mal récompensée. Ils ne le faisaient pas dire. Ceux près de l’estrade poussèrent des cris de plaisir. Ils fâchèrent encore plus ceux qui attendaient au mauvais endroit.
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26/05/2009
AUBE, la saga de l'Europe 201
LE JOYAU
C’était fait. Les notables des wikos lointains comme des plus importants clans amis avaient enfin vu, à la lueur des torches, l’objet de leur curiosité. Celle-ci apaisée, ils étaient rentrés. Entourés des leurs, ils en louaient la beauté, l’extrême rareté, la part de divin. Leurs entourages, alléchés, voulaient en savoir plus. Ils s’y refusèrent. Ils avaient juré silence. Il eût été trop facile de savoir l’origine de la fuite. Nul ne se serait plus fié, dans le futur, aux bavards.
Après ces non-révélations, personne ne put dormir. Sous chaque tente on échangeait des idées. Très vite elles volèrent par tout le camp. On parla d’une gemme énorme, d’une perle d’une grosseur inouïe, à l’éclat et l’orient fabuleux. Peut-être était-ce la dent d’un géant, peut-être... Les hypothèses ne manquaient pas. On en vint vite aux paris. Les partisans de la gemme étaient les plus nombreux. Miser dessus serait d’un rapport décevant. Quelqu’un décida de parier sur sa nature. Sa suggestion fut aussitôt reprise. Opale, onyx et turquoise se livrèrent une lutte indécise. À la fin, une majorité se porta sur celle-ci. On la trouvait, aux dires des gens informés, dans des mines sises dans les terres lointaines où passent les caravanes, entre midi et levant. Ils ne les avaient pas vues, certes, mais elles existaient. Ces pierres même en portaient témoignage. Pour le reste, ce n’était qu'on-dit, de cinquième ou sixième main, de voyageurs à peine fiables.
Les notables en connaissaient la nature. Seuls les guerriers d’un moindre rang, et pauvres, pariaient. Aussi ne misa-t-on jamais plus qu’un bélier ou un bouc. C’était, pour certains, un enjeu déjà sensible. D’aucuns, devant son importance, voulurent soudoyer des villageois. Ils avaient vu le joyau. Ils pourraient les éclairer sur sa nature. Tous, ignorance pour la plupart, volonté de tenir leur serment de discrétion, observèrent un silence de tombe. Les dons des curieux pesaient plume pour eux. Ils en riaient, riches de leurs parts de butin ou de leurs grands troupeaux... Les corrupteurs en furent pour leurs promesses et bonnes paroles.
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25/05/2009
AUBE, la saga de l'Europe 200
Il se réveilla, fatigué, affamé. La Brillante éclairait son visage. Elle lui dit qu’une nuit s’était écoulée, sans qu’il en ait eu conscience. Sa faim s’expliquait, mais sa fatigue ? Comment avait-il pu dormir si longtemps ?
Il posa sa main sur sa cuisse. Ce si léger attouchement le fit gémir. Il baissa les yeux. La blessure infligée par le sanglier suppurait. Il se sentait faible. Il devait manger un peu.
Il plongea la main dans le bissac où il avait mis les provisions destinées à la sustenter dans sa marche vers le village où ils savaient tout. Il était “ à trois jours, vers là où dort le soleil ”. Comment pouvaient-ils s’être, et l’avoir, trompé à ce point ?
Il en sortit une bouchée, sa dernière. Il la mastiqua un long moment, la déglutissant avec effort. Quand il eut fini d’avaler le dernier morceau de ces provisions qui lui avaient fait cinq jours, tant il grignotait sans appétit et au bord de la nausée, son bon sens revint. Il n’aurait pas dû critiquer les hommes du dernier village. Il s’était peut-être engagé dans une mauvaise direction... À moins que... Il avait marché comme il s’était nourri. Il avait, faible et malade comme il l’était, dormi plus longtemps qu’il ne pensait, avancé d’un pas bien plus lent.
Il ne pourrait pas continuer, ventre creux, une jambe blessée, à pister Kleworegs. Il avait besoin de repos, ce que chacun lui accorderait, et d’une monture. Sans doute devrait-il la voler, violant les lois de l’hospitalité. Qu’importait, l’honneur est au-dessus de toute loi.
Il continua. S’il était allé tout droit, le village désiré (mais n’importe lequel, avec un bon guérisseur, conviendrait) ne tarderait pas à apparaître.
Des fumées dans le ciel... Il n'en était plus loin !
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24/05/2009
AUBE, la saga de l'Europe 199
Un tonnerre de hourras salua sa péroraison. Il voulut se rasseoir. On ne le tint pas quitte. Les assistants réclamèrent d’être enfin admis à contempler le k’rawal. Il était déjà tard. Il en profita pour justifier son refus de le leur présenter sur-le-champ.
– La nuit ne va plus tarder. Seuls les premiers prêtres et les rois des villages éloignés le verront ce soir. Ne vous inquiétez pas ! Demain, vous pourrez tous l’admirer et juger combien Kleworegs le pieux est puissant et aimé des dieux.
Sur cet auto-éloge, il sortit de la place où il présidait. Son bhlaghmen, Pewortor, et les notables invités lui emboîtèrent le pas. Ils se dirigèrent, ensemble, vers la tente où reposait, sous une garde farouche, leur joyau suprême, le k’rawal.
Le mot était âpre à la langue. Hélas, on ne modifie pas le nom des choses sacrées. Il aurait eu moins de scrupules s’il avait su que la fille n’avait fait que dire à Pewortor : “ Prends-le ! ”, dans la langue de son peuple d’une lointaine vallée, là-bas où le soleil est au plus haut.
Il se réveilla, fatigué, affamé. La Brillante éclairait son visage. Elle lui dit qu’une nuit s’était écoulée, sans qu’il en ait eu conscience. Sa faim s’expliquait, mais sa fatigue ? Comment avait-il pu dormir si longtemps ?
Il posa sa main sur sa cuisse. Ce si léger attouchement le fit gémir. Il baissa les yeux. La blessure infligée par le sanglier suppurait. Il se sentait faible. Il devait manger un peu.
Il plongea la main dans le bissac où il avait mis les provisions destinées à la sustenter dans sa marche vers le village où ils savaient tout. Il était “ à trois jours, vers là où dort le soleil ”. Comment pouvaient-ils s’être, et l’avoir, trompé à ce point ?
Il en sortit une bouchée, sa dernière. Il la mastiqua un long moment, la déglutissant avec effort. Quand il eut fini d’avaler le dernier morceau de ces provisions qui lui avaient fait cinq jours, tant il grignotait sans appétit et au bord de la nausée, son bon sens revint. Il n’aurait pas dû critiquer les hommes du dernier village. Il s’était peut-être engagé dans une mauvaise direction... À moins que... Il avait marché comme il s’était nourri. Il avait, faible et malade comme il l’était, dormi plus longtemps qu’il ne pensait, avancé d’un pas bien plus lent.
Il ne pourrait pas continuer, ventre creux, une jambe blessée, à pister Kleworegs. Il avait besoin de repos, ce que chacun lui accorderait, et d’une monture. Sans doute devrait-il la voler, violant les lois de l’hospitalité. Qu’importait, l’honneur est au-dessus de toute loi.
Il continua. S’il était allé tout droit, le village désiré (mais n’importe lequel, avec un bon guérisseur, conviendrait) ne tarderait pas à apparaître.
Des fumées dans le ciel... Il n'en était plus loin !
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