19/12/2008

AUBE, la saga de l'Europe L II, p 001

La première moitié d'AUBE, la saga de l'Europe est consultable à l'adresse suivante :
http://www.lavoixdunord.fr/forum/showthread.php?t=391
160 pages de lectures.

Vous trouverez ici le début du 2ème livre

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05/06/2008

AUBE, la saga de l'Europe 006

Deux fois déjà, le chef de ses hôtes l’avait écouté. Il n’était pas encore satisfait. Il continuait à l’interroger, à le presser de questions, avide de tout comprendre, attentif à ne lâcher nul fil du lacis de l’assaut. Chaque point pouvait compter.
Il tentait d’avoir réponse à tout. L'hôte avait à cœur d’accomplir son devoir de vengeance. Il ferait tout pour l’aider à la mener à bonne fin. D'autres guerriers, assis à ses côtés, tendaient l'oreille. Ils y allaient parfois, eux aussi, de leur question. Certaines semblaient étranges, anodines, voire stupides, mais chacune se justifiait... Toutes témoignaient de leur sens et de leur science du combat.
Il se sentait bien. Les dieux l'avaient exaucé. Ceux chez qui ils l’avaient conduit connaissaient l’art de la guerre plus que personne, l’aimaient et, à la différence de la plupart, ne seraient pas gens à partir à l’aveuglette. N’eût été leur aspect de bons vivants, il se serait cru face à Thonros et sa troupe.
Mais le dieu des combats n’aurait pas eu besoin de poser toutes ces questions, d’éclaircir tous ces points. Il n’aurait pas eu à ses côtés un guerrier faisant couler par terre la moitié de son hydromel, ni un autre la morve au nez, se l’essuyant de la manche après chaque reniflement. Qu’importe ! Faute d’être ici, il avait mis sur sa route une élite armée. Cela se voyait à la beauté de leurs servantes, auprès de qui l’objet de son désir semblait une souillon, et à l’abondance des bijoux leur enserrant col et poignets. Ils n’avaient jamais connu la défaite.
De tels hommes n’ont peur de rien. Ce n’est pas sans frémir – non de crainte, du plaisir anticipé de l’écrasement de ses bourreaux – qu’il entendit leur chef ordonner aux siens de partir rallier les clans voisins : Butin considérable et sang à laver les attendaient. Lâche et indigne qui ne se joindrait à lui ! Ils partirent dans la nuit. Il revint à son idée première. Sous le commun masque de l’humaine nature, les dieux de la guerre étaient devant lui. Qu’importait sa mort ! Sa vengeance serait accomplie.
... Mais est-ce un dieu qui vous dit, se pinçant le nez, que vous puez le cadavre, et d'aller vous laver ? Est-ce un dieu qui vous laisse un cruchon d’hydromel et vous conseille de le boire à petites gorgées pour ne pas vous étouffer ? Les dieux ne montrent pas cette sollicitude. Il était vivant ! Devant lui, souriant, se tenait le vengeur des siens, le fléau de leurs assassins. Il n’en doutait plus. Homme, dieu, il les ferait expier.

01/06/2008

AUBE, la saga de l'Europe 005

Il se pencha, observa les traces. Celles des chariots étaient profondes. Aucun risque, sauf pluie violente et prolongée, de les perdre. Il leva le regard vers le soleil. Il était resté évanoui trois de ses pas. Il huma les bouses encore chaudes laissées par les bœufs de trait. Les derniers massacreurs étaient partis depuis trois, voire quatre, fois moins longtemps.
Il l’avait vérifié par une foule d’autres détails, s’était de même assuré de leur nombre et de leur route. Les leçons apprises, dès sa prime enfance, des hommes d’âge et de savoir, avaient afflué. Ils avaient mis leur ultime fierté, employé leurs ultimes forces, à le transmettre et à former la jeunesse avide de les égaler. Leurs efforts n’auraient pas été vains. Elles lui avaient profité...
Il s’était mis à courir. Là où il dirigeait ses foulées, il trouverait un clan de guerriers de sa race. Il lui ferait le récit de son malheur. Il lui demanderait vengeance. Pourvu qu'elle soit puissante et riche en hommes forts et vaillants ! Ses assaillants avaient eu de lourdes pertes. Leurs rangs comptaient nombre de blessés. N’importe ! Il lui fallait la meilleure troupe. Il n’allait pas mener un raid. Il allait faire payer le prix du sang.
Il courait. Le soleil était toujours plus bas, les ombres toujours plus longues. Il courait. Bientôt la nuit – où nul ne s’aventure… des puissances hostiles y rôdent ; où la vie, comme les hommes, est assoupie – viendrait. Les muscles de ses jambes n’étaient plus que douleur ; son souffle, un brasier desséchant. Il courait. Il courrait jusqu’à rencontrer des frères, et entendre leur serment de venger les siens. Après, il serait toujours temps de songer à la souffrance... Après.
La pluie vint lui rafraîchir le gosier, une pluie battante, circonscrite, d’autant plus forte qu’elle n’arrosait qu’une faible surface. Elle ravina le sang séché sur son visage, lava les failles où il s’était craquelé ; les îlots noirâtres qu’elle laissa sur sa peau bronzée lui firent un masque plus sinistre encore. Cette ondée était une aide des dieux. Il respirait mieux. Sa course reprit une ardeur nouvelle. Malgré la tombée de la nuit, il continuerait, quitte à en affronter les forces mauvaises… La belle affaire ! Se soucier de piteux démons, quand l’attendait la vengeance !
Courir, courir encore, courir à en mourir. La nuit était tombée depuis au moins un pas de la Brillante. De quoi désespérer. Les dieux, pourtant, désiraient que son clan soit vengé. Il avait compris. Ils le voulaient lui aussi. Il n’aurait que le temps de mettre les siens sur la piste de ses assaillants... Si c’était leur prix !
Cachés jusqu’alors par une petite levée de terre, des feux apparurent au loin. Ils l’avaient exaucé. Il avait trouvé un camp... de son peuple, il le fallait ! Il se dirigea vers eux. Soudain, des abois retentirent. Des molosses se ruèrent sur lui, mâchoires à tout déchirer. La pluie battante pouvait avoir lavé son visage, il semblait une pièce de viande. Ils allaient le dévorer. Un ordre retentit. Ils se mirent à l’arrêt. On lui cria de ne plus bouger.
Il reconnut les mots. Il était arrivé. Tout était bien. Les dieux pouvaient le prendre.
Mais qu’ils le laissent, avant, délivrer son message !

30/05/2008

AUBE, la saga de l'Europe 003

Les ennemis, en embuscade, avaient bien choisi. Le clan était trop engagé au sein des fourrés. Il ne pouvait manœuvrer. Ils s’élançaient, en un discordant concert de cris et d’imprécations. Leurs archers le criblaient de flèches, de ces flèches barbelées, au bout en arête, qu’on ne retire qu’au prix de sa chair. D’autres lançaient leurs javelots, à pointe barbelée comme les traits, et aussi perfides. Le reste se précipitait, l’épieu ou le court poignard de silex à la main. Les épieux fouillaient les chairs. Le silex lancéolé les lacérait. De rose, l’avenir s’était fait rouge et noir. Il avait saisi son arme ; il s’était jeté contre l'ennemi au sein ardent du combat.
Était-ce l’ivresse du sang, cette fureur qui l’avait envahi ? Quel nom donner au tourbillon auquel il s’était livré ? Il avait frappé. Sa lame avait fouillé des ventres ennemis, tranché des gorges forcées à s’offrir par sa rage homicide. Tue, tue, tue ! Ce cri résonnait dans sa tête... S’il ne devait se taire qu’à la mort du dernier ?
… Et tout était devenu noir.
Il s’était réveillé... plus tard. C’était toujours la même nuit, striée d’écarlate. Un horrible silence régnait, à peine rompu par les cris des choucas. Il avait tenté de bouger. Si ses muscles répondaient, une pesanteur à lui interdire de se mouvoir jamais écrasait ses épaules. Il avait fini par se libérer un bras. Moitié poussant, moitié tirant, il s’était ouvert une trouée. Il agitait sa main. Le vent soufflait dessus. Il devait mieux écarter, ouvrir plus larges ses paupières collées.
Le vague souvenir lui revenait, par bribes légères, effilochées comme les petits nuages de beau temps, d’un fait important, grave, tragique. Il y avait sans doute pris part. Pourquoi était-ce si flou, si ténu ? Pourquoi sa mémoire restait-elle engluée, captive, comme lui de cet amas de corps sanglants ?
Ces corps ! Les questions étaient inutiles. Il avait fini par ouvrir les yeux. Bien à tort. Un tel carnage ! Il commença à se dégager du charnier où il était resté – longtemps ? – enseveli. Il y voyait enfin clair. En quelques mouvements, il se sortit du monceau de cadavres des siens et aussi, grâces aux dieux ! de leurs ennemis.

28/05/2008

AUBE, la saga de l'Europe 001

LA PIERRE-SOLEIL

IL


... ''Flanc fendu, boitant bas, il était rentré de sa chasse ; il avait appris l'outrage fait aux siens ; il était reparti, blessures bannies. À quoi bon chercher plus avant ! L'honneur à venger ne souffre pas l'attente.
Pour mener sa quête, il n'avait qu'un nom : Kleworegs, roi du clan du Cheval ailé.
C'était le nom de sa cible. C’était assez.
... Il prit sa piste.

Pourquoi n'avait-il pas été là le jour de l'affront ? Il aurait su l'empêcher, lui... Il fuyait sa vie d'avant... si morne, si lourde d'ennui.

Pourtant, tout autour de lui, à son insu, le monde était en marche. Mais comment, fils d'un fief perdu, aurait-il connu les arcanes du siècle et les secrets des rois ?



ENCORE LA NUIT


De la tête aux pieds, l’homme seul dans la steppe n’était que sang. Il courait – cheveux collés, raidis en épaisses touffes poisseuses, visage tiré sous la couche noirâtre de sève séchée, vêtements imprégnés de la rouge liqueur –, unique rescapé d’une proche tragédie, d’un aveugle massacre régal des corbeaux. Le guerrier ondoyé de tout ce sang avait mené un combat sans merci. Les coups les plus féroces y avaient été portés ; les vaincus, exterminés sans recours. Maintenant seuls les lièvres, détalant devant lui, comme lui, voyaient sa douleur, sa honte.
Il ne fuyait pas. Il avançait à fermes foulées, toutes forces bandées, se refusant tout répit ou repos. Un seul souci le poussait : rencontrer, avant que ses assaillants ne soient trop loin avec leur butin, un parti des siens. Jusque là, il se l’était juré, il ne cesserait de courir.
Il devait le croiser avant la nuit. Passé ce délai, les Muets maudits auraient pris trop de champ. Nul espoir alors de les rattraper. À cette allure, il pourrait tenir son serment. Il ne s’écroulerait pas, fauché par la fatigue, laissant l’ennemi prendre un surcroît d’avance. Chaque foulée le rapprochait de la vengeance. La moindre pause était sacrilège.
Il courait, cœur empli de honte et de colère, corps souillé de sang. S’il avait pu couler de la gorge de ses vainqueurs ! Cruelle réalité ! Cette sève de vie enfuie était un acide. Traversant sa peau, elle venait lui ronger, lui brûler l’âme. Il devait les retrouver et s’en laver dans le leur. Il ressentirait, sinon, cette morsure à jamais. (« Encore un effort, les tiens sont tout près. Cours, cours, comme si ta vie en dépendait ! ... Elle en dépend. La vie de qui n’a vengé les siens ne mérite plus ce nom. » )