01/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-08

Il devait vivre pour réaliser ces ambitions. Vivre, s’assurer des alliés, des appuis, intriguer, sacrifier les hommes comme des pions, trahir ceux qui lui feraient confiance, soutenir des hommes prêts à le trahir pour les lâcher avant qu’ils ne le lâchent. Il avait déjà eu un aperçu de cette vie, l’avait trouvée amère. Pourtant, il goûterait à nouveau à sa coupe... Il goûterait, que disait-il, il l'engloutirait tout entière, en redemanderait dès qu’il la sentirait près de se tarir. N’en avait-il pas prié les dieux, peut-être pour rejeter sur eux les malheurs privés nés de sa requête.
 Il ne pouvait plus reculer. Ce que la cohésion de la tribu du Printemps Sacré lui avait semblé exiger devenait encore plus indispensable. Il ne serait pas roi des rois sans alliances profitables, et gratifiantes, avec des chefs de tribus ou de clans prestigieux. Il l’avait retourné cent et mille fois dans sa tête. Il n'y avait pas d’alternative à sa présente décision. Il avait beau être le maître de sa famille, avec tous les droits sur ceux qui vivaient sous son toit, il n'avait jamais joué un despote, donnant des ordres absurdes ou injustes pour le seul plaisir d'étaler sa puissance. Il adopterait pourtant cette conduite dès le point du jour. Ce serait sa première épreuve... qu’il aurait eu tant de plaisir à refuser, mais accepterait, quoi qu’il lui en coûte. Il était trop tard. Pour prix de son ambition, il s’était voué aux dieux. L’abandon des joies de l’homme du commun en était le prix.
 
 « Quelle querelle, au fond, ai-je avec Kleworegs ? Quel mal m’a-t-il fait, quelle force me pousse à lui battre froid, à lui témoigner de la haine ? »
 Depuis qu’il était rentré sous son chariot pour dormir, sans se préoccuper de jouir de la douceur de la nuit, Belonsis ne cessait de se poser la question. Il revivait les derniers temps. Il n'avait aucune raison de se plaindre du haut roi, mille de se réjouir de la mort de Thonronsis, son prédécesseur et l’ennemi juré de Kleworegs. Qui, chaque fois qu’ils se croisaient, l’avait salué avec amabilité, si ce n’est lui ? Qui n’avait jamais répugné à lui demander son avis ? Qui lui avait toujours, malgré son jeune âge, témoigné son respect ? Rien à voir avec la morgue de Thonronsis, son arrogance, son mépris. Ce n’est pas Kleworegs qui l’aurait traité de petit imbécile, chaque fois qu’il prétendait exposer son opinion, pas Kleworegs qui lui aurait ordonné de se taire ou, au mieux, après avoir sollicité ses conseils, marqué qu’il était décidé à n’en tenir aucun compte. Non, il n’aimait guère son cousin. Kleworegs avait au moins cette rare vertu de l’en avoir débarrassé, et de lui avoir permis de devenir roi des chasseurs de loups. Tout bien pesé, il l'aurait plutôt, s’il l’avait pu, et s’il avait été libre, remercié. C’est là que le bât blessait.

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