12/12/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 256

Un grondement, sonore comme une houle, monta de la foule. On y reconnaissait, au milieu des onomatopées hostiles qui ponctuent toujours l’évocation d’une lâcheté, quelques réflexions plus compréhensibles, pas plus amènes pour autant : “ Quels fumiers, ces forgerons, grandes gueules, prétentieux, mais fainéants comme mange-miel en saison froide ! ”. Pewortor, que Kleworegs avait installé à ses côtés, pour l’honorer à ce qu’il lui avait dit, se leva d’un coup. Sa stature en imposait à tous. Le concert de gueule se calma, se transformant en chuchotis, toujours hostiles, plus discrets et quelque peu interrogatifs : “ C’est Pewortor, le couard ! ” – “ Couard, tu plaisantes, il ne serait jamais devenu ner ! ” – “ Il paraît qu’il a fait quelque chose d’extraordinaire ! ” – “ S’il était un lâche, Kleworegs n’aurait pas toléré qu’il restât à son côté. Il lui aurait même interdit de se montrer. ” – “ Ah, taisez-vous ! Il va parler ! ”
L’humeur de l'assemblée n’avait rien pour l'effrayer. Son charisme l'empêchait, quoique assez échauffée, de passer à l’ébullition. Elle tendait même à s’apaiser. Qui se dresse face à l’émeute mérite le respect. Il serait contraire à l’honneur de ne pas l’écouter, dût-on le tuer après. Elle se calma tout à fait quand Kleworegs reprit la parole :
– J’avais eu raison de leur faire confiance. Écoutez, de sa bouche, ce qu’avaient fait Pewortor et ses compagnons !
Il se rassit. Le forgeron les regarda un long moment, à nouveau tranquilles et attentifs. Dommage que ce calme ait résulté de l’influence du roi, non de son pouvoir sur la masse déchaînée. Il accentua la profondeur et la raucité de sa voix. Ce ton et cette manière de parler impressionneraient. Et peut-être – il n’usait pas avec autant de facilité que son roi de la langue noble des hymnes et épopées utilisée par les guerriers quand ils content leurs exploits – lui permettraient-ils de faire passer ses cuirs et ses pataquès. Il eût été plus à l’aise dans le patois local, compris de chacun, mais se devait, en tant que ner, d’utiliser leur langage. Wulkanos en soit remercié, il les côtoyait tous les jours. Parler comme eux n'était pas au-dessus de ses moyens. Il commença, en phrases lentes, comme s’il cherchait ses mots et ses tournures... Bien souvent il les cherchait.

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