01/01/2012

AUBE, la saga de l'Europe, 271

Outre les serviteurs et les glaives de parade, les tissus partirent fort bien. On troqua même les moins beaux, atteints de mangeures qui les eussent en toute autre occasion fait rejeter. Les moins riches se contentaient de ce souvenir d’un raid si mémorable. Ils échangeaient une belle peau – souvent le seul bien de valeur – luisante, au poil fourni, contre ces mauvais tissus, certes, mais de si noble provenance. Restaient les bijoux. C’était le seul hic. Face aux belles turquoises, aux opales laiteuses, aux pectoraux guillochés d’or, il y avait peu de répondant.
Tout le village en profita. Ceux qui avaient le plus matière à se réjouir étaient les forgerons. Ils avaient reçu leur substantielle part de butin, composée, depuis l’accord déjà ancien entre Kleworegs et Punesnizdos, de tout le métal non ouvré et de la pacotille, et négocié leurs armes au mieux. Le récit du roi et ses louanges avaient persuadé ses hôtes de la puissance de leurs glaives et haches. Il serait bon d’en acquérir. Pour ces armes assurant, au moins favorisant au plus haut point la victoire, et garantissant des combats plus beaux conduisant à des triomphes plus éclatants, ils donnèrent beaucoup. Leurs bronzes, réservés aux guerriers des clans n’entrant pas en compétition avec le leur, partirent au double des conditions habituelles. Ils exultèrent. Leur déjà imposant cheptel s’augmentait encore.
Les lendemains virent la même ambiance affairée. Le volume des transactions, presque toutes expédiées le premier jour pour éviter que d’autres n’en profitent, déclina. Seuls les forgerons travaillèrent tout le long du séjour des hôtes. Les activités liées au Joyau, en revanche, ne fléchirent pas un seul jour. Kleworegs nageait dans la joie. Son nom revenait souvent dans les invocations adressées à la gemme. Ces admirateurs répandraient partout le bruit de ses exploits.
Ses visiteurs, venus parfois de très loin, étaient partis. Ils avaient payé son hospitalité avec libéralité. Il fit le bilan de ces fêtes. Sa richesse avait été plus affirmée que jamais. Son prestige s’était accru dans des proportions défiant tout calcul. Pourtant, il lui manquait quelque chose – Il était plus juste de dire qu’il l'avait en trop – pour que son bonheur soit complet. Pourquoi Kerdarya ne leur avait-il pas dépêché – sitôt reçu son message – un porteur de l’avis de lui réserver le Joyau ? Il ferait l’ornement du cœur et du sanctuaire du pays.
Le chef patrouilleur, honte au front, partageait ce souci. Il les avait entendus. Son envoyé n’avait pas rendu l’intérêt de la gemme. Quel idiot ! Il n’avait su expliquer aux plus grands d’Aryana que le Signe (Il avait tout expliqué à Kleworegs. Les oracles avaient reçu un avis des dieux. Un roi guerrier prendrait de vive force à l’ennemi et tiendrait entre ses mains un joyau d’origine céleste. Il conduirait son peuple à un grand destin.) les attendait ici. Les siens grondaient devant ces calomnies. C’était dur de respecter l’hospitalité et de les défendre envers et contre tous. On s’acheminait vers des rixes. Dieux merci, peu après, un garde se présenta, tout essoufflé. Un messager, porteur de l’étendard de Kerdarya, arrivait.
On ne le confiait, en de très rares occasions, qu'aux messagers de confiance. Ils se précipitèrent aux remparts. Il flottait au loin, éployé et brandi pour n’échapper à aucun regard. Le patrouilleur avait accompli sa mission. Ses amis prenaient leur revanche. Ils tournaient en dérision leur manque de confiance. Les autres le regardaient. Leur joie était grande. Ils en supportaient les sarcasmes, tout en s’étonnant du retard, avec un remarquable souci de pardon des injures. Pour calmer les susceptibilités, Kleworegs les invita tous à venir boire l’hydromel. On se réconcilia autour des cornes.
L’exaspérant retard était oublié. On ne chercherait pas de coupable. Le cœur n’était plus qu’à la joie. Kleworegs héla deux des siens.
– Partez à sa rencontre, dites-lui que nous l’attendons... Et une fois à ses côtés, traitez-le bien et parlez-lui comme au plus haut prêtre ou au roi des rois.

Non, Kleworegs n’était pas passé dans le village où ils savaient tout. Tant pis ! Il profiterait de leur hospitalité pour se reposer et recevoir les soins indispensables à la poursuite de sa quête. Il attendait, interrogeant tout un chacun. Il avait honte. Comme ils étaient, dans son trou, ignorants et loin de tout !
Le monde était si beau, si varié. Il y avait tant de choses à découvrir... Et pour venger l’honneur, il allait l’abandonner. Ah, renoncer à la vengeance ! Tout éprouver, tout connaître ! Il n’en avait pas le droit. Il n’en aurait jamais le temps. Il implora les dieux. Qu’ils lui permettent de goûter un peu, avant de la perdre, cette vie qu’il découvrait.
Ce village était un vrai rendez-vous de voyageurs. Les visiteurs du clan du Cheval ailé avaient rapporté qui des trésors, qui des anecdotes, de leur séjour chez Kleworegs. Ils avaient aussi tenu leurs promesses de répandre partout sa gloire. C’est ainsi qu’il entendit parler, dans ce wiks où il soignait sa blessure, du grand troc de son butin. À peine cette nouvelle effleura-t-elle ses oreilles, il se leva et alla interroger l’arrivant. Il ignorait où était ce village, mais avait su cette histoire par un prêtre d’une bourgade non loin de la sienne. Son chef y avait participé. Il lui dirait où porter ses pas pour s’y rendre.
Il serait volontiers parti sur-le-champ, tout regret d’être passé à côté de la vie aboli. Sa jambe le faisait encore un peu souffrir. Le voyageur l’entendit. Il rentrait chez lui. Qu’il profite de son char ! Une fois arrivés, il lui en montrerait la route, à moins qu’il ne l’y conduise. À lui de se débrouiller ensuite.
Il acquiesça. Il se rapprochait de sa cible.

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