04/02/2012

Aube, la saga de l'Europe, 294

Le prêtre alla prendre le cheval par la bride. Il le lui amena. Le convoyeur flatta la tête de son ami, et sauta d’un coup sur son dos. Plusieurs guerriers, non loin, le guettaient, juchés sur leurs montures. Ils s’attendaient – l’envie l’en avait effleuré un instant devant la difficulté de l’épreuve – à ce qu’il tente de fuir. Il ne leur offrirait pas ce plaisir. Difficile n’est pas impossible. Les dieux l’aideraient. Il prit son élan.
Les sabots arrière frôlèrent la barre. Les acclamations le rassurèrent. Il avait réussi. Il avait fermé les yeux en sentant le léger choc sur le bois. Quand il les rouvrit, une petite foule l’entourait et tapotait les flancs de son cheval. Un autre groupe serrait et insultait son accusateur. Il les héla.
– Laissez-le !
Il s’avança vers lui. L’homme regardait ses doigts de pied, buté et morose. Il serait chevaleresque.
– Inutile de m’emmener à ton enclos choisir ma bête ! C’est fait. Je prendrai celle qu’on t’a volée. Je n’en veux pas d’autre.
Le marchand soupira. Il s’en tirait à bon compte. Il ne put faire moins que de lui donner d’abondantes provisions. Ses renseignements étaient bien plus rares. Le cheval bai échangé contre Albhos Ster ressemblait à des centaines, à des milliers d’autres. Qui brouille ainsi sa piste prépare un mauvais coup. Il fallait reprendre la route.
 
Il était parti depuis un bon pas du soleil. Ses côtes lui faisaient mal. Il s’arrêta un moment. Il était un peu tôt pour se coucher, mais un surcroît de repos lui ferait du bien. Son antagoniste n’avait pas épargné ses coups. Il avait été trop indulgent. Qu’est-ce qui l’avait pris de refuser le coursier qu’il lui devait ? Sa volonté de rattraper son voleur l’étonnait plus encore. N’avait-il pas eu ce qu’il voulait ? Blanche Étoile paissait à quelques pas... Et il continuait sa chasse, devenue vaine... Rien que pour se venger des coups reçus ? Non, il y avait autre chose. C’est lui qui avait suggéré à ses amis de trouver Kleworegs. Le voir, s’en faire connaître, le protéger de son ennemi, devenir en le sauvant un héros célébré, était son nouveau but. Il ne poursuivait plus son voleur, mais la gloire. Sa nouvelle cible était bien plus digne que l’ancienne. Avec quel plaisir, sinon, les aurait-il attendus !

Il avait hésité un moment entre chevaucher à petit train – Son très éventuel poursuivant avait sans doute retrouvé son ancienne monture. Il s’expliquait à coups de glaive avec son nouveau maître et les autres maquignons – et continuer sa quête. Il ne balança pas longtemps. Il devait rattraper sa cible avant sa sortie des bois entourant Kerdarya. Flâner n’était pas le meilleur moyen d’y arriver.
Sous le firmament, il se fit un lit de branchages et d’herbes. Combien lui restait-il à vivre ? Tous les rois, en faisant fête à Kleworegs, l’avaient bien retardé. Remerciés soient-ils ! Il n’aurait plus guère à attendre pour exercer sa justice.
Là-haut, tout un bestiaire sarabandait. Sek, le chasseur toujours attaché à sa proie, le menaçait de sa flèche. Son corps était ramassé à bondir. Sa main armée pointait vers Kerdarya. Si ce n’était pas une invite ! ... un ordre ! Sa victime était au bout de ce chemin. Comme le chasseur céleste, il l’atteindrait à coup sûr. Il ferma les yeux. Le temps d’après sa vengeance sanctifiée ne lui appartenait déjà plus. Il s’endormit.

Les commentaires sont fermés.