03/02/2012

Aube, la saga de l'Europe, 293

« Albhe Ster ! Blanche étoile ! »  
Le nouvel arrivant avait crié. Le cheval troqué le matin même hennit et rua. Il mordit la longe qui le tenait attaché pour se délivrer et rejoindre qui l’avait appelé. Son acquéreur blêmit. Les ennuis arrivaient. Il avait eu tort de se féliciter de la naïveté du jeune vendeur, échangeant son étalon contre une bête certes robuste et rapide, mais sans rien d’exceptionnel. Il l’avait volé.
L’homme s’approchait, décidé à reprendre son bien. Il l’était tout autant à ne pas le lui rendre. Ce cheval était trop beau. Il le garderait, ou ne le troquerait qu’aux conditions que le mange-miel des contes impose dans les partages. Il se prépara à faire face.
– Dis donc, ce cheval-là m’appartient !
– T’appartenait, veux-tu dire. Il est fidèle, en tout cas. Il te reconnaît longtemps après que tu l’as abandonné.
– Qu’est-ce que tu racontes ! On me l’a volé il y a quelques jours. Tant pis pour toi, mais tu dois me le rendre. Je te fais serment que pour ce geste, je continuerai à courir sus au voleur et te ramènerai celui que tu lui as cédé.
– Tiens, tiens, on ne me l’avait encore jamais fait, ce coup-ci. Tu crois que je n’ai pas compris ! On n’aime pas beaucoup les voleurs de chevaux, ici.
– Mais tu m’insultes ! Ça, je l’aime encore moins !
Le jeune convoyeur était solide. Son coup de poing atteignit le maquignon à la pointe du menton. Il l’étendit pour le compte. L’autre se releva. Son crochet au foie jeta le convoyeur au sol, bras en croix. Il se remit sur ses pieds, s’ébroua. Ils s’agrippèrent par la tunique, s’insultèrent, échangèrent des coups.
La foule, ameutée « Eh, les gars, il y a un bourre pif au grand enclos ! » était accourue. Elle se passionnait pour la bagarre. Les adversaires semblaient de force égale. La lutte durerait. Quelqu’un s’enquit enfin de l’origine du pugilat. Il alla prévenir le bhlaghmen. Un vol de chevaux ne se règle pas à la légère.
Il arriva. Il les fit séparer. À part une pommette éclatée d’un côté, deux dents cassées de l’autre, rien de bien grave. Il les interrogea jusqu’à plus soif. Les pugilistes expliquèrent, avec force reniflements, les tenants et aboutissants de leur querelle. Le récit du marchand, certain de son bon droit, fut bref. Le convoyeur, pour prouver sa bonne foi, s’expliqua en détail et reprit l’affaire depuis le vol de sa bête dans le bien, bien petit village. Aucun n’en voulait démordre de ses prétentions. C’était au bhlaghmen d’arbitrer.
Il réfléchit. L’acquéreur avait été bien léger. Il aurait dû s’étonner de ce troc trop favorable. Il comptait gruger un naïf. L’arrivant, lui, pouvait être un voleur habile. Il s’était entendu avec un complice. Il lui avait confié son cheval à vendre. Maintenant, sous couvert de son malheur affiché, il tentait de le reprendre à son acheteur. Le jugeait-il assez crédule pour accepter de le lâcher ?
Marchand, voleur. C’était une seule et même sale engeance. Il décida de ne pas décider. Les dieux s'en chargeraient.
– L’étalon Albhos Ster a appartenu au guerrier qui le réclame, mais lui a-t-il été volé ces jours-ci ou l’a-t-il vendu il y a longtemps, et espère-t-il le récupérer par ruse et cautèle ? Il faudrait des témoins. Avant de les trouver, nous serons tous morts. Qu’il se soumette au jugement des dieux ! ...
Il se dirigea vers une haute barrière. Il se campa à sa droite.
– Si ce coursier à l’étoile blanche est tien, tu le maîtrises bien. Fais-la lui sauter. Cela n’est possible qu’avec une bête qu’on a bien en main et qui fait corps avec son cavalier. Si tu réussis, tu repars avec lui, et tu prends une bête de ton choix à ton accusateur. Sinon, il le garde, et tu lui donnes le tien. Il en sera de même si tu refuses cette épreuve. Ta réponse ?
– En doutes-tu ! ?

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