05/03/2012

Aube, la saga de l'Europe, 310

... Kleworegs le regardait entre ses cils. Il n’en perdit ni un geste, ni une mimique. Il avançait à pas comptés vers l'arche. Comment rétablirait-il la position perdue de sa caste ? Qui dans son sein l'appuierait ? Trop des siens, avides de luxe et de richesses dont on jouit plus que du pouvoir qui oblige à décider, hésiteraient à agir pour le recouvrer... Trop qui n'avaient pas de mots assez durs pour maudire leur déclin mais avaient, parvenus assez haut, oublié soudain leurs griefs et trouvé un plaisir infini à se laisser corrompre. Ils seraient les plus acharnés à soutenir les propositions des rois de guerre les plus généreux, interprétant oracles et augures selon leurs directives et essayant d'influencer le conseil des prêtres en leur faveur. Si cela continuait, ils auraient bientôt perdu toute influence. On ne solliciterait plus leurs avis. Peut-être même les guerriers, les jugeant coûteux et inutiles, décideraient-ils de leur fin. Seuls les plus lucides entrevoyaient ce risque... Encore en savait-il qui, tout en pensant comme lui, acceptaient, par lucre, les compromissions qu'ils dénonçaient.
Ce Joyau pouvait, allié au caractère influençable et au respect des dieux et de leurs prêtres du roi des rois actuel, changer ce destin. Tout dépendrait de ce... Comment, déjà ? ... Kleworegs ! Il devrait son élévation, plus ou moins grande, au Joyau et à l’avis des prêtres. Le comprendrait-il ? Le bhlaghmen chercha son regard, et le croisa.
Kleworegs avait eu l’idée, tant le visage du prêtre disait haut ses désirs, de se composer le masque adéquat. Il lui plut. Leur échange de regards scella leur pacte, plus fort que de sang. Les deux ambitions se prêteraient mutuel appui.

L'échange de connivences, très bref, fut perçu d'eux seuls. Toute l'attention se portait sur la cérémonie. Le bhlaghmen, sans plus sembler se soucier de lui, vint auprès de la pierre. Il fit signe à son aide de descendre et de venir à ses côtés, près du Joyau. Il reprit sa cassette dans la châsse. Il en fit glisser le couvercle et montra au regs bhlaghmen le Signe tant attendu. Le plus haut première caste le saisit. Il l'admira sous toutes ses faces. L'élevant très haut au-dessus de sa tête, il gravit la pente vers la citadelle. Arrivé seul à son sommet, il se retourna. Il le fit jouer dans les rayons du soleil. La bruine baignait Kerdarya. Il aurait pu manquer son effet. La foi suppléa l'éclat de l’astre. Tous furent éblouis par les reflets sur la pierre-lumière. L'ostension terminée, il pénétra dans la citadelle. Les porteurs de l'arche, le prêtre du clan du Cheval ailé, Kleworegs, Pewortor, grimpèrent à leur tour la courte pente, lui emboîtant le pas, vers le temple de Dyeus Pater, hôte provisoire du Signe jusqu'à l'érection de son autel et de son sanctuaire. Les première caste y pénétrèrent, les laissant dehors de part et d'autre de sa porte.
Ils jetèrent un coup d'œil à l'intérieur de la demeure sacrée. Le prêtre-roi disparaissait dans sa pénombre. Le Joyau et sa cassette s'effaçaient à jamais de leur horizon ! Ils le regrettèrent. Il serait honoré ici bien plus qu'il ne l'aurait jamais été dans leur village. Leur récompense pour s'en être emparé et l'avoir amené à ses adorateurs serait grande... Cette idée n'arrivait à noyer ni leur nostalgie, ni leurs regrets. Si encore on leur avait permis de garder l’écrin ! ... Ce piètre succédané eût constitué une preuve de leur inégalable exploit. Que valaient, à côté, leurs souvenirs?
Le prêtre du village revint, mains vides. Le chanceux ! Lui, au moins, resterait auprès du Joyau ! Tous trois s'éloignèrent – laissant leur trésor sous la garde du regs bhlaghmen – de son temple d’accueil. Tête basse, l'impression de ne plus servir à rien, ils allèrent dormir dans leur maison d'hôtes. Leurs compagnons les y attendaient. Ils refusèrent de festoyer et se couchèrent. Ils devaient se reposer avant de rencontrer les chefs de leur nation. Les cérémonies finales se déroulèrent sans eux.

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