15/02/2009

AUBE, la saga de l'Europe L II, p 029

Il ne s'inquiétait pas. Il accompagnerait le mignon du roi des rois et se tiendrait à ses côtés devant les pierres de sacrifice. Il ferait s'en élever la voix des dieux. Ce tour, un sacrilège de la part de guerriers ou de producteurs, lui apparaissait normal et licite venant de lui, porteur de lin. Il n'avait pas reçu un tel pouvoir sans raison. Il ne faisait que son devoir en tentant de devenir le regs-bhlaghmen, fonction vers quoi le poste auquel il s'était désigné n'était qu'un marchepied. Un jour, il referait parler les autels sacrés. Ils clameraient que lui seul était digne de sacrifier au nom de tout Aryana. Il n'était pas très fier de servir ce roi des rois pour accéder au plus haut rang, mais l'arrogant ne serait pas éternel... et le jeune homme qu'il favorisait était si beau.
La cohorte des usurpateurs se présenta devant les autels. Derrière les pierres sacrées trônaient les prêtres principaux. À part le prêtre roi et le haut prêtre de la fécondité, dardant vers lui un regard tout de férocité et de haine, et le grand Oracle avec son masque, il n'en reconnaissait aucun. Son cœur était si égal qu'il ne s'étonna même pas de la présence, au côté du regs-bhlaghmen, d'un répugnant vieux prêtre à la robe blanche couverte de fils rouges. Le premier orant parla :
– Je vais sacrifier d’un bélier sur l'autel du maître des serments. Il nous montrera, en acceptant ce sacrifice, s'il reconnaît pour sienne la parole qui t'a désigné pour mener le Printemps Sacré.
Le mignon, interpellé, leva la tête et fit un signe discret à son protecteur et au jeune prêtre. Ils guettaient de tels signes, preuve de leur connivence sacrilège. S'ils avaient, un instant, douté du bien-fondé de leurs contre-mesures, cela leur était, après ces clins d'œil, bien passé.
Le premier prêtre fit venir un bélier et l'immola sur l'autel. Il récita les routinières prières où il demandait à la divinité, en acceptant l'offrande, de bénir celui au nom de qui il la faisait. Jamais un autel n’avait déclaré qu'un sacrifice lui avait déplu. Aussi longtemps qu'ils ne diraient mot, ils consentiraient et accepteraient les prières des suppliants. Le sang coula sur l'autel, on démembra l'hostie, son corps fut distribué aux guerriers à dix pas. Les viscères consacrés furent mis à cuire, et quand ils furent carbonisés, le premier prêtre demanda au dieu s'il était satisfait. Une voix, sourdant de la pierre sacrée, s'éleva :

14/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-28

Le messager reçut de nombreux biens. On lui ordonna de partir et de tenir sa langue. Les hauts prêtres s'entretinrent afin de trouver le moyen d'abattre celui qui s'était fait désigner comme le roi du prochain Printemps Sacré. Il avait annoncé sa venue prochaine. Tout serait combiné pour sa chute à son arrivée. Plusieurs auraient préféré abattre sa superbe dans son fief. La majorité refusa. Le bruit de l'usurpation s'étant répandu par tout Aryana, son humiliation serait publique. Elle aurait lieu devant leurs autels sacrés. Nul autre site ne serait plus propice.
L'unanimité se fit autour de cette idée. Ils la peaufinèrent les jours suivants. Chacun était prêt quand, accompagné du roi sacrilège, l'homme désigné par fraude pour mener le prochain Printemps Sacré se présenta aux portes de la cité sanctuaire. Ils l'attendaient. Ils avaient inspecté tout le pourtour des autels, au cas où au lieu d'avoir su faire parler les pierres, le prêtre félon aurait eu recours à un complice qui s'y cachait. Il ne recommencerait pas ici. Personne ne s'en approcherait à moins de cinq pas, qui ne soit connu d'eux. Sur la suggestion du chasseur de maléfices, cette distance fut étendue à dix. Une précaution exagérée, de son propre aveu, mais il s'en voudrait toujours si celui qui faisait parler les choses, comme lui, faisait encore illusion à la plus courte distance. À celle qu'il imposait, tout risque était conjuré.
Sans perdre de temps, ils firent annoncer qu'en ce jour favorable, ils feraient un grand sacrifice de réception pour demander aux dieux du serment et de la punition du parjure de se prononcer sur le prodige qui avait fait du mignon du roi des rois le meneur de la prochaine conquête, et de son prêtre le premier servant de la fécondité. Se voyant déjà désigné et accepté à ce poste, le traître aux siens voulut se mêler à ceux de son futur rang, tout près des autels. Il n'en était pas question. En un tel lieu, il lui eût été aisé d'accomplir ses maléfices. Et il était trop tôt pour le faire récuser par l'autel lui-même. Aucun des prêtres opposés à l'usurpation ne tenait à dévoiler leur arme. À la fin, le grand prêtre en personne lui ordonna de rester avec ceux de son clan, jusqu'à ce qu'il l'appelle auprès de la pierre où il sacrifierait. Il consentit à attendre.

13/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-27

Ils étaient peu, dans ce village, à douter de l'imposteur. Tous ou presque l'auraient suivi, s'il le leur avait demandé... avant la révélation de l'animal voix des dieux. Maintenant, tous, à commencer par ceux qui y croyaient avec le plus de fanatisme, l'auraient mis en pièces, lui et ses complices. Déjà ils parlaient de prévenir tous leurs voisins, et de leur rapporter l'avis divin. Le messager ne doutait plus. Lui et le prêtre partirent sitôt que, à ce qu'il sembla aux villageois, la chèvre eût fini de parler. Il y eut quelques-uns d'entre eux à établir un rapport entre leur présence et les paroles de l'animal. Ce ne fut pas dans le sens du scepticisme. La bête n'avait pu parler que par une faveur de ces voyageurs, dieux sous défroque humaine. Très vite se répandit la légende qu'ils étaient venus en personne se plaindre du sacrilège dont ils avaient été victimes. Les deux héros ne le surent que plus tard... Ils en crevèrent d'orgueil, dit-on.
Le messager jubilait. Les basses manœuvres des ennemis des prêtres et de leurs complices échoueraient. Son avenir s'annonçait radieux.
Ils arrivèrent à Kerdarya. Le prêtre fut mené sans délai au temple de Dyeus Pater, saisi aux épaules et embrassé par le premier des bhlaghmenes comme un égal. Il lui demanda sans tarder une démonstration. L'autel du dieu du jour parla : l'usurpation serait décapitée et arrachée. Même prévenu, il fut tout surpris. Il regarda derrière. Non, personne ! Il revint vers le magicien, soulagé comme les malheureux à qui on a arraché la dent qui leur élançait. Sa vengeance, et leur triomphe, ne tarderaient plus.
L'arrivant pouvait bien être leur futur sauveur, il puait trop. Il lui dit d'aller se laver et de revêtir sa robe de chasseur de maléfices. Deux pas du soleil après, tout luisant de propreté à en paraître écorché, la barbe et les cheveux bien peignés (Il avait pourtant utilisé pour les lisser, négligeant le peigne d'os qu'on lui avait offert, une simple branche épineuse.), il s'était présenté devant le conseil des prêtres rameuté à la hâte. Il avait, dans sa robe parsemée de fils rouges, une allure décidée et conquérante. Les participants à la réunion, qui se souvenaient de sa description peu flatteuse, hésitèrent à le reconnaître. Il avait à l'appui de ses prétentions le témoignage du messager. Il pouvait certifier ses pouvoirs et les réactions quand il les avait manifestés. L'assemblée écoutait. Il eut tout le loisir de s'expliquer. Le premier prêtre jugea une démonstration plus éloquente que tout discours. Il lui en demanda une. Démangé depuis le début par l'envie de briller devant tous ces prêtres dont il avait longtemps oublié, dans son exil, qu'il était l'égal, il s’exécuta. Il fit dialoguer les autels entre qui il se trouvait. Même si leurs deux voix se ressemblaient, il aurait fallu ne pas être émerveillé par sa prouesse, qui retenait toute l'attention, pour le remarquer. Seul le messager le nota. Il lui en parlerait. Il saurait y remédier.

12/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-26

Le serviteur fielleux se dirigea vers la hutte où il dormait, avec quelques bestiaux et la volaille. C'était pour le putois, même si on l'avait gavé à le transformer en boule, un but de visite d'un rare intérêt. Il ne manqua pas de s'y rendre au plus haut d'une Brillante ronde à souhait. L'astre joufflu fut son avant-dernière vision. La dernière était l’ombre du fléau qui lui cassa les reins.
Quand les visiteurs se réveillèrent au matin, le magicien s'étonna de ne pas voir son favori. Il l’appela, mais il ne vint pas le rejoindre. Peu après, un paysan, portant son cadavre, arriva. Le visage du magicien se ferma. Il lui demanda où il avait trouvé la dépouille de son ami.
Le paysan l'amena auprès d'un tas de fumier, et lui montra des traces de pas. Sa religion fut vite faite. Le coupable était celui dont on s'était tant gaussé la veille. Quelle punition lui infliger ? Le putois n'était pas son totem, juste son familier. Et s'il est mal considéré de tuer un petit animal, un serviteur doit défendre la basse-cour. Il s'en tirerait avec une simple bastonnade, à peine appuyée... Une perspective insupportable.
Une chèvre arriva, gambadant, guillerette. Que venait-elle les déranger ? Son arrivée détendit l'atmosphère. Elle vint se frotter au serviteur :
– Simplet, Simplet, pourquoi n'es-tu pas venu cette nuit, comme d'habitude, faire l'amour avec moi?
Le messager tiqua. C’était mot de prêtre. Une chèvre eût dit *****, bourrer. Qui d’autre s’en soucia, ébloui du prodige ? Les joues du maître se gonflèrent d'un coup. Ses bras se raidirent. Le voyou ! Lui, ça, avec sa chèvre ! Quelle puante infamie ! Il courut prendre un fagot d'épines bien dures. Il commença à l'en bastonner.
– Mauvais chien ! Une bête si bonne jusqu'alors. Elle a avorté deux fois cette année ! Je comprends ! Elle n'a pas voulu mettre bas un monstre.
Les autres s'empressèrent d'aller chercher qui des bâtons, qui d'autres fagots. Il fallut que son maître, conscient qu'un serviteur coûte cher, arrêtât de le frapper et criât à ses voisins d'en faire autant, pour que son supplice cessât.
Les deux visiteurs regardaient la scène, sérieux comme à un enterrement. Le prêtre fou avait montré son pouvoir. Le messager avait repris espoir. La chèvre parla à nouveau :
– De telles abominations n'ont pu avoir lieu que parce qu'un imposteur prétend mener le Printemps Sacré. La nature, d'horreur, se révolte. Comme aux temps de chaos, les animaux parlent, les espèces se mélangent. Seuls le Premier prêtre ou le grand Oracle sauront vous dire qui en est digne. N'écoutez personne d'autre et chassez qui dirait le contraire !

11/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-25

Il regarda de côté celui sur les épaules de qui tout reposait... Serait-il à la hauteur ? Ah, obtenir une preuve décisive, et qui le rassure, avant d'arriver à Kerdarya !
Ils finirent leur repas. Le magicien buvait plus que de raison, mais se tenait bien et faisait bonne figure. Leur échanson était un gnome au regard ironique qui, chaque fois qu’il croyait ne pas être vu, s'emparait d'une lèche de viande ou buvait une furtive gorgée de bière au cruchon qu'il apportait. Le messager le surprit et s'en plaignit à son maître. L'hôte haussa les épaules.
– Ah, oui, c'est bien son genre. Je le ferai bastonner pour ça, si vous voulez.
– Fous-lui un bon coup de pied dans les fesses, ça sera bien suffisant.
– Ah non !
– Pourquoi ? C'est très bien pour un serviteur qui chaparde. Ni trop indulgent, ni trop cruel.
– Regarde-le un peu ! Il est bête à faire sous lui, et il le fait. Eh toi, simplet, tourne-toi !
Le serviteur leur montra son séant. Sa tunique y était d'un marron sale, maculée comme la croupe des bovins qui s'assoient dans leurs bouses. Le maître raconta combien il était stupide et malpropre, ne comprenant rien aux ordres et faisant devant tout un chacun comme même les chiens ont désappris de le faire. Il écoutait d'un air niais. Sa stupidité jouée lui évitait bien des corvées ; sa malpropreté lui permettait bien des vengeances, mesquines, mais toujours agréables. Ils éclatèrent de rire comme devant un bossu ou un bancroche. Ils échangèrent des paillardises et se moquèrent du pauvre hère, coi. Son statut lui interdisait de répondre. Très vite, il fut l'objet de la risée publique. On l'invita à boire jusqu'à plus soif. Un serviteur ivre conforte le sentiment de supériorité des hommes libres. Rage au cœur, plein de mépris pour ses tourmenteurs, il s'exécuta. Sous ces dehors de soumission et même de participation à son avilissement, il voulut néanmoins préserver sa dignité bafouée. À défaut de son maître, il se vengerait des hôtes, cause de son humiliation.
L'heure du sommeil arrivait. Les brimades cessèrent. Pendant que les voyageurs se dirigeaient vers la maison des hôtes, le putois du plus âgé de ceux qu'il estimait cause de son tourment vint lui flairer les jambes. Il n'avait rien contre l'animal, même si son maître le respectait plus que lui, mais il paierait la honte subie. Qu'il ait un instant l'occasion de pouvoir, sans risque, s'en prendre à lui !