09/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-15
– Nul ne les a revus... Qui te dit qu’ils sont morts ? Oh, tu veux marchander la dot de ta fille. Tu ne crains donc pas que l’on dise, dans encore dix générations, combien sa noce avait été humble, sa dot modique... à peine digne de la fille d’un guerrier errant, qui n’a pour biens qu’un glaive ébréché et une rosse famélique. Veux-tu que l’on garde ce souvenir de son mariage ? Pourquoi l’épouserais-je ? La honte serait autant sur moi d’avoir accepté cette union, que sur toi de l’avoir projetée.
Kleworegs se rembrunit. Il ne s’attendait pas à cette résistance... Et, pour intéressées que soient ces objections, elles étaient justifiées. Il n’était pas question de perdre la face. S’il haussait le ton ? Non, Belonsis, tout veule qu’il était, avait une fierté innée. Elle le ferait se cabrer comme un cheval devant un piètre cavalier. Il se rendrait à ses raisons, mais exigerait beaucoup de lui, à raison même de la splendeur de la dot et de la fête.
– Si au moins je pouvais compter sur ta fidélité. J’ai plutôt eu à me plaindre de tes guerriers depuis notre départ.
– Ils respecteraient le beau-père de leur roi.
– T’engagerais-tu, sur ta vie, à me garantir cette loyauté ?
– Tu pourras compter sur eux, tant que les dieux te soutiendront.
– Et si, comme Thonronsis, tu décidais qu'ils ont cessé ?
– Thon/... Qui s'en soucie encore ? Et aurais-je accepté ton offre d’alliance, sinon. Les dieux, à ma grande surprise, m'ont fait te répondre comme je l’ai fait. Je suivrai leur voie.
– Si tu les écoutes, je me fie à toi sans crainte. Tu seras un gendre et un allié tout à fait loyal.
– Bien sûr ! Si on parlait de la dot ?
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08/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-14
– Je n’ai pas dit ça ! Mais pourquoi votre chant ne serait-il pas prophétique. Au lieu de dire ce qui a été, il vous ferait aussi savoir ce qui sera. Dans ce cas, tu m’as apporté une grande révélation. Il est possible de combattre à cheval. Le barde qui a composé votre geste était inspiré, pour l’avoir deviné.
– Ce sont nos guerriers qui l’ont bâtie, victoire après victoire. Mais réjouis-toi encore plus. Ta fille, si tu es généreux, va entrer dans une famille où les guerriers sont favorisés, à l’instar des prêtres, voire mieux qu’eux, de visions et de prémonitions... Peut-être suis-je le Belonsis qui fait rentrer ses ennemis sous terre. Ne crois-tu pas qu’avec un tel homme pour gendre et allié, ton Printemps Sacré sera cent fois plus beau et glorieux ?
Kleworegs l’examina de bas en haut. Où puiserait-il la force nécessaire à son exploit annoncé ? Il était solide et musclé, mais bien trop mou pour jamais l’accomplir. Il renonça à contre-attaquer sur ce point. L’examen fini, il le toisa, l’air tranquille.
– Tu m’as dis les prouesses passées et futures de ton clan, mais ses vilenies ? Il a compté parmi les siens le précédent roi des rois, dont le nom ne doit pas être prononcé...
– Autant dire, alors, qu’il n’a jamais existé...
– ... Et ton prédécesseur, qui a tenté de me faire mourir. J’aurais pu réclamer à ton clan le prix du sang.
– Tu n’es pas mort et tu l’as vaincu en duel, puis fait périr. Tu es bien payé.
– Et mon guide, et ceux qui devaient aller avertir les miens de mon retour, et que nul n’a plus jamais revus. Ils étaient cinq ou six jeunes fils de rois, et les chants de leurs tribus n'étaient eux aussi qu’actions héroïques.
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06/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-13
– Certes, mais lequel peut se targuer d’avoir enfanté des êtres au-dessus du reste des hommes comme Nemoklewos qui, attaqué et mordu par un loup furieux, lui enfonça son poing si profond dans la gueule qu’il ressortit de l’autre côté, lui permettant de saisir la queue du monstre et de le retourner comme une vieille peau, à l’épouvante de toute sa horde...
... Comme le premier Belonsis que deux hommes portèrent sur leur dos quand on l’enterra, alors qu’il en fallut cinq, tous forts comme des taureaux, pour porter le glaive avec qui il avait pourfendu plus d’ennemis qu’il est de pierres brillant au firmament...
... Comme Nsisyonemos qui ne pouvait supporter que les chênes soient plus hauts que lui et, dans sa fierté, les enfonçait à coups de poing, jusqu’à les surplomber d’une tête...
... Comme un autre Belonsis qui, d’un seul coup de massue, faisait rentrer sous terre le cheval et le cavalier qui l’attaquaient...
– À qui veux-tu faire croire ça ! Jamais, depuis que le monde est monde, nul n’a vu des ennemis d’Aryana se battre à cheval. Nous en sommes nous-mêmes incapables, alors qui le pourrait. Es-tu bien sûr de ce que tu viens de dire ?
– Nos chants ne mentent pas !
La discussion allait virer à l’aigre. Kleworegs éluda.
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05/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-12
« Nous n’allons quand même pas rester ainsi, comme des statues ou des maudits pétrifiés par un sorcier ! » Ils partageaient la même pensée, mais chacun attendait que l’autre ouvrît les lèvres en premier. Ce oui les avait surpris l’un et l’autre. Kleworegs s’était imaginé une moue offusquée, un air interrogatif, des cris de protestation. Belonsis avait pensé jouer l’étonné, le méprisant, le condescendant... et il avait dit oui. Un oui qui ne l’engageait à dire vrai guère. Il sous-entendait des propositions qu'il aurait tout loisir de juger inacceptables. Il pouvait, sans que sa fierté en soit atteinte, prendre la parole pour lui demander d’être plus explicite.
– Oui, mais qu’as-tu à me proposer ?
– Je te l’ai dit, je te propose d’épouser ma fille aînée... Elle a un peu plus de treize ans, et tous s’accordent à dire qu’elle est une beauté.
– Je n’en doute pas, mais crois-tu que ce soit très important. Ce serait un bien plus beau gage d’amitié si tu me disais de quels biens tu vas lui faire don... Je crois que...
– Je te fais don de l’amitié d’un haut roi. Comptes-tu cela pour rien ?
– Certes non ! Mais il est d’usage qu’un haut roi soit généreux avec sa fille, quand il la donne en mariage... On reconnaît même sa haute naissance, ainsi que son désir d’amitié, à l’abondance de ses dons.
– Tu ne seras pas déçu !
– Et n’oublie pas que si un haut roi veut marier sa fille à un homme de très haute naissance, les dons doivent être encore plus beaux.
– Je sais tout cela, figure-toi !
– Et le clan des chasseurs de loups des terres au-delà de la grande eau du levant est plus riche de héros que tous les autres. Imagine le nombre de bisons qu’il y a dans une horde qui couvre la steppe, puis considère une goutte d’eau. La horde de bisons, c’est cette goutte, la foule de nos héros, le fleuve qui borde nos terres. Qui peut-en dire autant de son clan ?
– Tout guerrier d’Aryana, qu’importe son clan, est un héros... Ne crois pas que je méconnais ton genos.
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04/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-11
Belonsis haussa les sourcils de surprise, puis ordonna au messager de le prier d’entrer dans la tente royale. Il avait bien fait de taire ses projets. Sans convoquer aucun conseil, parlant d’homme à homme à son haut roi, il déciderait de leur réconciliation, et mettrait chacun devant le fait accompli. Il serait bon, pour son honneur, de laisser Kleworegs parler en premier... de toute façon, le protocole l’exigeait. Tout était pour le mieux. Kleworegs venait lui faire des avances. Il pourrait jurer aux siens que c’était Kleworegs qui était venu proposer la paix, non lui qui était allé la solliciter. Son autorité s’imposerait sans le moindre effort. Il s’habilla du mieux qu’il pouvait et rejoignit la pièce au sol jonché de peaux de loups où le haut roi l’attendait. Il lui sourit, tout en s’inclinant, puis attendit ses paroles... une formule de politesse ampoulée, sans doute, à qui il répondrait de la même façon obscure et pompeuse. Il se tint fin prêt.
– Belonsis reg, pour que toute querelle s’éteigne entre nous, je viens te donner ma fille aînée pour épouse. L’acceptes-tu ?
– Oui !
Belonsis regarda Kleworegs. Le haut roi était tout aussi surpris de sa réponse immédiate qu’il l’avait été de sa question inattendue. Le oui flottait entre eux comme les bulles s’exhalant des mares stagnantes, aussi fragile qu’elles. Chacun attendait, au cœur la crainte que toute parole, tout geste, le moindre clignement d’œil, rompît le charme. Ils avançaient les lèvres, comme pour parler, puis les rétractaient et les pinçaient jusqu’à ce que leurs bouches serrées les fassent ressembler à des petites vieilles édentées... Comme s'ils en avaient la même timidité, le même désir de ne pas paraître, de se glisser dans le plus petit trou de souris, de se fondre en néant.
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