17/02/2012

Aube, la saga de l'Europe, 302

Il avait bien parlé. Le bhlaghmen hocha la tête. Kleworegs, après une brève hésitation, l’imita. L’escorte hurla de joie, glaives brandis. Il demanda le silence.
– Je déclare le ner Pewortor, qui m’a sauvé la vie, mon frère de sang. Qui lui nuira me nuira, qui lui manquera me manquera. Que chacun l’entende, prêtre, guerrier, ou producteur !
On cria et on applaudit, moins fort. Pewortor avait eu beaucoup de chance. Il imposa à nouveau le calme.
– Toi qui as couru pour me prévenir du mauvais coup tramé contre moi, tu t’occuperas de nos chevaux. Un homme qui sait choisir et élever de bons coursiers est précieux. Nous l’honorerons.
Le cri de joie fut beaucoup plus sincère. Tous aimaient les armes et les chevaux, mais comprenaient mieux ces derniers. L’honneur fait au convoyeur leur était plus sensible.
Ils croyaient qu’il en avait fini. Sa voix retentit de nouveau. Ses paroles les ébranlèrent.
– Et toi, jeune fou qui as voulu me tuer, plus vaillant que bien des guerriers, me suivrais-tu ?

De tous ceux entourant Kleworegs, il fut le plus surpris. Il imaginait son destin. Au pire il le laisserait vivre avec sa honte, au mieux il lui ferait subir le sort qu’il s’était juré de lui infliger. Ses mots lui semblaient irréels. Ce pardon ne s’obtiendrait pas sans peine. Il se prépara à entendre l’énoncé de son épreuve. À quoi devrait-il se soumettre pour être admis à chevaucher au côté de celui que sa folie l’avait poussé à vouloir tuer ?
Il ne lui en parla pas encore. Il voulait comprendre. Pourquoi avait-il parcouru la moitié d’Aryana pour mettre fin à sa vie ? Une réflexion du héros des Loutres lui revint : « On peut s’attendre à tout des lâches. » Il n’en garantissait pas l’exactitude au mot près, mais était certain de son sens. Et si ces lièvres avaient envoyé à ses trousses d’autres vengeurs ignorant, comme lui, la vérité ? Ils croiraient faire œuvre pie. Les pauvres, ils ne servaient que la mesquine vengeance de faux guerriers, trop couards pour se porter au combat ou l'avouer à ceux qu’ils envoyaient tuer peut-être, à coup sûr mourir.
Il le rassura. Il avait vu la honte et l’affliction régnant dans son village, en avait demandé l’origine, était parti. Lui seul avait songé à venger l’honneur. S’il s’était ouvert de son intention à son roi, il aurait tenté de l’en dissuader.
Kleworegs croisa les bras. Il étudia un long moment son tueur. Il n’arrivait pas à le haïr.
– Eh bien, cela fait le deuxième – le seul, maintenant – guerrier courageux de ton village !
– Qui était l’autre ?  
Il reprenait espoir. Non de vivre, de retrouver son honneur. Il périrait en homme allé trop loin pour défendre une mauvaise cause qu’il croyait bonne, non en vil fou meurtrier. Ce serait là l’indulgence de Kleworegs. Il serait étonné qu’elle aille plus loin, jusqu’à lui laisser la vie.
– Le vieil estropié dans sa hutte, à l’autre bout de votre wiks.
– Ah, le fou ! Enfin, ils disaient le fou, et nous défendaient de lui parler. J’ai compris, à présent !
– Bien tard !
– Alors, tue-moi vite !
– C’est ce que tu mérites, mais je t’ai déjà proposé de vivre. Aucun de ceux qui m’entourent ne peut dire que je n’ai pas donné sa chance à un homme courageux de notre peuple. Courageux, tu l’es, entreprenant aussi, à n’en pas douter, et il m’a fallu une chance peu commune pour que Pewortor évente ton piège. Je serai mon propre ennemi si je te faisais mourir, bien que... Tu n’as pas eu ces scrupules, toi. Mais tu es presque un enfant. Tu croyais venger ton clan. Moi, je suis un roi. Serai-je assez bas pour tirer vengeance de toi ? Mes hommes savent la réponse.
Les acclamations lui confirmèrent qu’il avait eu son petit effet, au vengeur qu’il vivrait dans l’honneur. Dans l’honneur ? Pas sans avoir prouvé par quelque acte héroïque son désir de se voir pardonné. Vanité satisfaite, il se retourna vers lui.
– Regarde-toi ! Je ne sais ton âge, mais je suis sûr que tu n’as pas encore livré ton premier vrai combat. Pourtant, tu prétends et tu veux l’être...
– Je le suis !
– Si j’étais sûr que tu ne l’es, je t’aurais dit de filer. Un enfant ne sait ce qu’il fait... Mais bon, tu es un guerrier... Tu dois subir une épreuve. Thonros lui-même décidera s’il te pardonne.
– Si j’en sors vivant, me permettras-tu de te suivre et de mourir pour toi ?
– Si tu t’en sors, c’est que tu es bon guerrier. Je ne me priverai pas d’un bon guerrier.
– Je suis prêt. Je t’écoute.

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