07/03/2012

Aube, la saga de l'Europe, 312

... Pour obtenir ce regain et ce surcroît de pouvoir, et diriger à nouveau les destinées plutôt que de se les faire dicter au gré des intérêts et des dons des guerriers, ils s’appuieraient sur lui. Il partait de trop bas pour jamais espérer accéder aux tout premiers rôles (À moins que les dieux ne l’aient destiné au pouvoir suprême, et il valait alors mieux être de son côté), et trop imbu de sa valeur de combattant pour voir que leur plan visait à éroder la croissante puissance des seconde caste. Ils opposèrent le résultat médiocre de la plupart des raids, depuis qu’on les écoutait moins, à l’immense succès de Kleworegs le pieux. Il était le chéri des dieux, l’inconnu pour qui ils priaient quand ils sacrifiaient en l’honneur du plus grand guerrier d’Aryana. Comprenait-il que c’était grâce à toutes leurs supplications que les dieux, ni sourds, ni aveugles, l’avaient favorisé. Jouant les dupes et les benêts, il hochait la tête. Il n’avait que peu de désirs : se battre, plaire aux puissances, s’illustrer à la conquête de ses futures terres. Il l’entreprendrait sans tarder sitôt ner gheslom gwowom. Trop heureux si cela permettait aux dieux d’être adorés, à leurs prêtres d’être honorés, sur les terres qu’ils lui indiqueraient (et c’était celles de son ambition). Il élèverait son fils dans le même esprit...  
Leurs yeux brillaient. Il avait gagné dans leurs cœurs. Quoi qu’il fasse, ils n’en démordraient pas de le soutenir. C’était important d’avoir l’appui du premier bhlaghmen, mais il était âgé. Un d’eux le remplacerait un jour. Il le manœuvrerait à son tour. Aucun n’avait deviné sa haine de leurs projets. Sur la route du pouvoir, on ne choisit pas ses alliés. Les circonstances décident.

Il sortit. Un beau soleil, pâle, froid, avait chassé la pluie. Il musa avant de rentrer à la maison des hôtes. Devant, un messager du roi des rois parlait d’armes avec Pewortor. Le marchandage les absorbait. Sa toux sèche et insistante interrompit leur négoce. Le héraut releva la tête. Il le reconnut. Il le pria de le suivre au palais royal avec le guerrier qui avait pris le Joyau et fabriquait de si puissantes lames.  
Il ne voyait pas son prêtre. Pewortor le renseigna. Il avait été convoqué par les bhlaghmenes au temple de Dyeus Pater. Seul, des trois associés autour du Joyau, le forgeron n’avait pas attiré leur intérêt. Il n’était qu’un guerrier qui, grâce à son exploit, leur permettrait peut-être de recouvrer leur pouvoir, qu’un chien qui rapporte du gibier : à récompenser, sans excès ; à bien traiter, mais à laisser dehors ou dans un coin où il restera sage. Ces façons ne renforçaient pas sa sympathie, déjà plus que chancelante, à leur égard.
 
Pewortor ne serait pas leur seul déçu. Son prêtre subissait de leur part une amère nasarde. Autant ils avaient choyé Kleworegs, n’ayant aucune raison de le jalouser ou d’en favoriser un autre, tant il semblait le fantoche idéal, autant ils renâclaient à lui accorder les honneurs qu’il espérait. Malgré ses discrètes (il était dans un temple) protestations, ils refusaient d’en faire le desservant du futur autel du Joyau, en tout cas pas le principal. Le premier bhlaghmen avait des amis à obliger. Il devait respecter les susceptibilités. Si le nouveau venu était désigné à ce poste si convoité, l’admiration envers lui serait empuantie de jalousie. Elle se corromprait et pourrirait vite. La vie lui deviendrait impossible. Il devrait repartir pour ne jamais revenir. Son retour, ou celui de ses enfants, à Kerdarya, se heurterait à la haine vigilante de ceux un instant évincés. Rage au cœur, il consentit à un rôle mal défini d’ambassadeur itinérant du coffret. Enfin, si cela aidait son fils ! Le haut prêtre le rassura. Son sacrifice serait apprécié. Il aurait tous les avantages d’un fils de desservant principal... La fonction de son père les lui garantirait sans que nul n’y redise, sur sa foi jurée. Ce combat d’arrière-garde gagné, il céda sur tout. Pour un prêtre de petit clan, et au regard de son passé, la promotion était inespérée. Et il réalisait son plus cher désir : préparer la voie à sa lignée.

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