23/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-02

Ils allaient à pas lents, sans bruit. Leur seule peur était de briser la paix de cette première nuit. Un juron, un cri, un début de rixe, son parfum sans pareil deviendrait puanteur, le calme, agitation forsenée de démons. Voilà pourquoi les prêtres avançaient que la nuit n’est pas faite pour l’homme. L’instant était trop parfait, donnait un trop plaisant aperçu des félicités récompensant une vie de beaux combats. On ne peut alors qu’aspirer à périr au plus vite, ou renoncer à toute action, pour ne plus vivre que loin du regard du soleil.
Par mains, ils contemplaient les étoiles et la Brillante en train de croître. Ils ne parlaient pas. Ils regardaient, yeux écarquillés de la splendeur de la voûte céleste. Un souffle divin, celui d’une tendre brise à la caresse d’amante, était sur eux. Cette terre était bien celle désignée par les dieux. Seuls ceux qui dormaient ou se claquemuraient derrière les épaisses parois de cuir de leurs chariots douteraient encore... Nul ne les écouterait plus. Qui a senti l’haleine des dieux, et leur murmure, devient insensible aux récriminations des malveillants... Ils ne peuvent compter que sur l’improbable oubli de ces instants privilégiés.
Kleworegs s’était mêlé à eux. Il les écoutait, passant de groupe en groupe, vêtu d’une vieille peau de loup, cachant son éclatante blondeur sous une toque noire. Incognito, il interrogeait, échangeait ses impressions, ses sentiments, faisait le compte de ses fidèles. Tous se félicitaient de sa clairvoyance, de son audace, bénissaient Bhagos d’avoir inspiré aux prêtres le choix d’un tel but et d’un tel chef. Il se rengorgeait à chaque discussion, s’empourprait de plaisir à mesure des éloges. Ses interlocuteurs pouvaient aussi parler de la sagacité des prêtres. Il ne retenait que la pluie de fleur de leurs louanges. « Je suis béni des dieux. Malheur à qui voudrait se mettre en travers de mon destin ! ». Il s’enflait de ses visions d’un avenir radieux. Son corps l'emprisonnait, trop étroit pour contenir ses ambitions surhumaines. Sa peau le gênait comme un vêtement trop ajusté. La sève coulant dans ses veines n'était pas du sang, un feu liquide à la puissante radiance. « Mon corps doit resplendir de toute cette force qui est en moi... Il en resplendit, par les dieux ! » ... Ce n’était que la lueur d’un feu rougissant ses mains. Il en ressentit une vague amertume... Non, c’était aussi la lueur de ces flammes, aussi, pas elle seule ! Les puissances qui tissent le fil de notre destinée ont fait ainsi briller mon corps un seul instant, et en donnant à ce prodige un aspect naturel, pour tout à la fois me montrer leur soutien et me signifier de ne pas céder à l’excès... A moins qu’elles n’aient pas voulu que la révélation en soit publique. Tous me suivraient si les dieux me distinguaient par un signe aveuglant... Seuls ceux dignes d’être mes compagnons le verront, les tièdes, les lâches, les envieux, en seront exclus. Je connaîtrai mes vrais fidèles à ce qu’ils m’appelleront Kleworegs kounos, et en vérité je resplendirai à leurs yeux quand le regard des autres ne rencontrera qu’un être semblable à eux.

22/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-01

Chers amis lecteurs,

Après la première moitié du livre I (La Pierre-Soleil) de AUBE, et le premier chapitre du livre II (Le Printemps Sacré, je vous incite à découvrir le livre III.
Prochainement, le livre I sera téléchargeable en entier sur forme d'e-book sur votre lecteur pour 4 € 95. Vous pourrez aussi télécharger une version audio.
Et à l'occasion des élections européennes, j'aurai le plaisir d'offrir, sous le sous-tire : L'EUROPE, une idée neuve qui a 5000 ans, la traduction du premier chapitre d'AUBE dans les principales langues de notre continent.

Bonne lecture


A CHACUN SON BUTIN


INTRODUCTION



Après un périple de plus de trois lunes, l’homme retrouvait son foyer. Il avançait, silhouette de suie, sous la nuée ténèbre. Il arriverait bientôt... A la brune, à la nuit jeune ? Toujours il l’ignorerait. Cette connaissance était l’apanage des Présences brillant, au-delà des frondaisons, au-dessus de la voûte des nuages. Il ne s’élevait pas contre ce privilège... Pas même s’il songeait un instant à l’envier. La supériorité des Présences résidait dans leur savoir, infini face à l’ignorance humaine.
Il avançait. Il serait sous peu parmi les siens. Il se faisait une joie de les revoir. Pourtant, ce n’était pas eux qu’il irait saluer d’abord. Ses premiers mots seraient pour la Vierge Mère de tous, maîtresse du hameau. Elle seule, bien que moins instruite que les Présences, aurait assez de science pour lui dire, et à tous ceux vivant sous sa loi, les mesures à prendre devant ce qu’il allait lui révéler. Il avait vu, sans comprendre, ne pouvant que trembler et s’émerveiller. Il avait vu des êtres à corps d’homme, porteurs cependant de secrets qui en faisaient les égaux des Présences. La Mère de tous saurait qui ils étaient. Lui n'en connaissait que leur nom, qu’ils clamaient à tous les vents : Aryos
Il dirait ce nom à la Mère. Il se le répéta une dernière fois. Oui, il saurait le prononcer comme il convient, avec juste la petite déformation qui ôtait aux mots inconnus leur possible magie.
... Il pénétra dans son village.




ALLIANCES


La Brillante avait à peine entamé sa course. La nuit, pleine encore du souvenir du jour ensoleillé, était tiède. Cette douceur, en ce septentrion que les légendes peignaient sous les mornes couleurs d’un séjour glacé, les avait surpris... séduits. Si la fatigue avait clos les yeux des plus jeunes et des moins aguerris, aucun de ceux qui jouaient quelque rôle au sein du peuple ne trouvait le sommeil.
Douce, tiède, parfumée était la nuit. Loin de leur apporter le repos et le rêve, ce temps, avant-goût de celui des territoires de chasse des élus, les tenait éveillés. En ce moment où tous devaient rester sous la tente, les plus audacieux, oublieux de leur crainte des maléfices rôdant dans l’obscurité, ne se résignaient pas à rentrer dormir. On découvrait la lune, et la clarté tombant de sa ronde face et des pierres de feu qui trouent Akmon. Nulle idée de sacrilège, nulle peur d’une force noire ne venait troubler ces promeneurs. Ils humaient l’odeur de l’herbe écrasée sous les roues des chariots, exhalant un parfum que la tiédeur de la nuit rendait plus subtil et plus précis à la fois. Jamais auparavant ils n’avaient respiré une telle fragrance. Avec quelle volupté ils s’en délectaient !

21/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-35

– Qu'il fait noir ! Il y a-t-il quelqu'un à côté de moi ? Je dois annoncer les paroles des dieux.
Reggnotis, à son chevet et aussi bien éclairé que possible par les deux torches autour du lit, gémit. Le vieillard, pour avoir vu ce qu'aucun mortel n'est admis à contempler, avait été frappé de cécité. Il prit sa main. C’était entre ses doigts comme un morceau de bois. Tordue dans une position grotesque, elle ne réagissait à rien, contractée à jamais par une crampe. Son pied gauche et l'autre main étaient eux aussi déformés. Ses yeux étaient morts, ses bleus gonflés. L'oracle le bouscula :
– Appelle le premier prêtre, va le chercher, vite. Je peux rester seul un moment.
Le regs bhlaghmen avait su que le grand Oracle avait tenté d'avoir – et sans doute, au vu de son état, avait eu – une vision. Il attendait à la porte son réveil. Reggnotis n'eut qu’à le faire entrer. L'augure, entendant son élève, le tança. Quoi, pas encore parti ! Le premier prêtre répondit à sa place. Il ne perdit pas un instant :
Reg bhlaghmen e, écoute. Les dieux, jaloux de ce que j'ai osé jeté un regard dans leur domaine, me prendront bientôt. Ils m'ont averti. Seul sera digne de mener le Printemps Sacré le roi de guerre qui trouvera un joyau semblable à de la lumière solide, tenant prisonnier en son sein le mal et la noirceur, et pris de vive force à l'ennemi. Tu en diras moins. Parle d'un signe, d'un joyau encore jamais vu à ce jour, mais dont seuls les prêtres sauront deviner l'origine divine. Parce qu'il sera pris de vive force à l'ennemi, il nous permettra de trouver un héros. Parce qu'il faudra pour le trouver la faveur de Bhagos, ce héros sera pieux et soumis aux dieux et à leurs représentants. Fais-le savoir à tous les messagers, qu'ils le proclament partout. Que chacun, à moins qu'il ne soit déjà parti, le sache avant la saison des combats.
Il avait mis un temps fou. Il se tournait à chaque instant vers eux... Si ses yeux, juste endormis, se réveillaient et les apercevaient ? Il ne pouvait guère l'espérer. Et comment ne trouverait-il pas la terre mesquine ? Dans son séjour par effraction chez les dieux, il avait admiré tant de splendeurs flamboyantes. Qu'ils lui aient ôté la vue était plutôt une faveur. Son seul souci devait être d'enseigner à son successeur certains secrets qu'un seul vivant doit savoir, non de contempler le monde. Cette perte l'aiderait à accomplir ce devoir.
Il fit ainsi. De la fin de cette saison froide à ses derniers jours, il l'avait formé malgré la lèpre sacrée qui le dévorait. Son nez et son visage s'étaient gangrenés ; ses doigts, phalange après phalange, livides, étaient tombés comme fruits trop mûrs. Noirs, tels des branches mortes, et finissant comme elles, ses membres s'étaient détachés de son corps. Reggnotis suivait sa maladie. Les dieux le reprenaient morceau par morceau. Il se plaignait d'être brûlé par un feu dévorant. À raison. Les membres perdus semblaient du bois bien sec et à demi consumé. Enfin, un jour, il avait cessé de respirer. Il s'en souviendrait à jamais. C'était le jour où un messager avait annoncé qu'un guerrier – Kleworegs du Cheval ailé – arrivait avec le Joyau. Il avait pleuré sur son maître. Il n'aurait pas la joie de voir sa prophétie accomplie.

A PARTIR DE DEMAIN : LE 1er CHAPITRE DU LIVRE III

20/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-34

Ses jambes ne le portaient plus. Il trembla, saisi en même temps d'une irrépressible joie. S'il se levait malgré la douleur, en dépit de la montagne pesant, lourde comme le monde, sur ses épaules, il aurait la révélation que tous attendaient. Soudain, il fut oiseau. Plus rien ne le retenait à la terre. Il avança, comme en un rêve. Il parvint, dans l'indécise lueur du matin, claire pour lui, pupilles dilatées, comme le plein midi, à l'entrée du sanctuaire. De lourds glaçons pendaient à son toit. Il leva la tête vers le soleil. Faisant obstacle entre l'œil de Dyeus et son regard, un énorme bloc de glace, retenu par un fil d'araignée, était près de tomber à tout instant. La neige avait entraîné la toile. Elle formait, toute bouchonnée, une tache sombre au cœur du glaçon immaculé, baigné par les rayons d'un soleil naissant et les réfractant.
À ses yeux éblouis, à ses sens exacerbés, le bloc de glace apparut tout autre. C’était une gemme incandescente, aux mille feux, un signe dont le favorisaient les dieux. Il contemplait ce petit soleil, ne voyait que lui. Il urina soudain, sans s'en rendre compte, dans la neige devant le seuil… C'était les rayons de la pierre magique qui la faisaient fondre. Il y vit un signe. Porteurs de ce joyau ou de son esprit, les siens s'enfonceraient sans crainte vers les terres sinistres, si longtemps le royaume du froid, de la neige, du frimas. Les éléments hostiles s'écarteraient devant leurs pas triomphants.
Il avança la main pour saisir le joyau. D'un coup, tout devint noir. Sa vue revint. Le glaçon avait chu. Il ne le chercha pas. À quoi bon ? Les dieux l'avaient envoyé, les dieux l'avaient repris. Eux seuls savaient où il était... Mais ils lui avaient dit qui serait digne de mener le prochain Printemps Sacré : qui le trouverait.
Il tomba. Il ne parlerait que le lendemain.
Reggnotis le retrouva au matin sur son seuil, baignant dans sa pisse et son vomi. Il dormait du sommeil de l'ivrogne... S’il ne se réveillait plus jamais, ou si les dieux lui avaient clos les lèvres ! Quelle pitié de le voir ainsi, transi, visage tout griffé ! Il y avait des traces de peau sous ses ongles ; son épiderme, en certains endroits, était noir violacé, comme si du sang près de sourdre de sa peau s'y était accumulé. Il le prit dans ses bras, avec grand respect, le porta à l'intérieur.
Il le lava. Malgré sa peau arrachée et ses bleus, il reprit figure humaine. Il n'irait encore prévenir personne. Il avait besoin de repos. Il avait forcé la porte de la caverne où les dieux cachent leurs secrets. Ce serait bien temps à son réveil. Il guettait : ("Dans quel état il est... Et moi, peut-être, un jour !" ). Rien, sauf un léger ronflement, ne le distinguait d'un cadavre. Enfin, il remua. Il articula – avec quelle peine ! – quelques mots. Ils frappèrent Reggnotis au cœur :

19/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-33


Reggnotis avait disparu dans la neige qui noyait tout. L'oracle barricada sa porte, et mit à flotter une bande de tissu noir, avis explicite à ne pas approcher. Il alla au plus secret du temple du Borgne, où il entreposait les poisons d'épreuves et autres drogues permettant à leur utilisateur, souvent contre sa vie, de voir l'avenir. Il piocha dans les jarres devant lui, prenant une pincée du contenu de l'une, deux de l'autre, la moitié dans une troisième, et ainsi de suite, hésitant ou en reprenant parfois. Il eut bientôt devant lui un grand nombre de plus ou moins petits tas. Il mit le tout dans une coupe, le mélangea, écrasa ensuite le mélange obtenu au mortier. Tout fut bientôt réduit à l'état d'une poudre semblable, d'aspect et de couleur, à la poussière des chemins. Il la touilla avec une eau lustrale jusqu'à la rendre fluide.
Il pria Bhagos, qui avait accepté de perdre un œil, parti vagabonder dans le monde pour apprendre toutes choses et venant lui rapporter chaque nuit tous les secrets découverts dans ses errances. La mutilation du dieu préfigurait et symbolisait celles des oracles. Eux aussi n'hésitaient pas, dans l'urgence, à se sacrifier si les leurs devaient en être favorisés. Conscient d'être un maillon d'une chaîne de prêtres qui avaient sauvé Aryana en en payant le prix, il prit son souffle, ses prières terminées. Il regarda la mixture qu'il allait avaler, au fond de sa coupe. Il ferma les yeux, l'engloutit d'un coup. Elle était d'une épouvantable amertume. Rien qu'à en sentir le goût sur sa langue, la tête lui tourna. Il se raisonna. Elle ne ferait pas effet tout de suite. Il avait le temps, si elle avait la même période de réaction que les poisons d'épreuve, de réciter dix prières et de sacrifier d’un bélier au divin Borgne. Il s'étendit.
Il était nu sur le sol de pierre. Sa tête bourdonnait, plus d'angoisse que de ses effets. Sa vue s'améliora. Ses pupilles s'élargissaient à lui manger les yeux. La nuit devint plus claire. Bientôt, les visions surgiraient... après un mauvais moment à passer, tout proche.
Déjà un fourmillement, chaque instant plus insupportable, une paralysie douloureuse, envahissaient ses membres. Ses sens s'exacerbaient au prix de sa motricité. Bientôt, les nausées arriveraient, puis les vomissements. Trop importants, il rendrait sa mixture et ne pourrait forcer les secrets des dieux ; simples nausées, il périrait empoisonné et, même favorisé d'une vision, n'aurait le temps de la rapporter... On doit être seul pour être admis auprès des dieux. Ils n'apparaîtraient pas s'il y avait un témoin. Il fut soudain pris de spasmes, crut se vider. Il planait sur un nuage de douleur. Avec lenteur, elle s'atténua, s'effaça, disparut. Il était gai, comme lorsqu'il avait bu trop d'hydromel. Voilà qu'il entendait une voix. Il tendit l'oreille. Il n'en comprenait pas un mot. Il parlait tout seul, en homme ivre. Quoi ! Les dieux ? Employer un langage aussi barbare. Il se mit à crier. Ce n'étaient pas les dieux, mais les forces mauvaises. Il fut pris de convulsions et se roula sur le sol. Ses yeux grands ouverts étaient devenus fixes. Devant lui des langues de feu, comme des glaives, se mêlaient en un furieux combat. Bientôt toutes se fondirent en une seule éblouissante flamme, plus claire que l'éclat de cent soleils. Il entendait une voix, à nouveau, mais intelligible. Il avait vu un combat entre les démons qui lui parlaient et les bonnes puissances venues à sa rescousse. Elles avaient vaincu. Il écouta leur parole : "Lève-toi ! Sors !" Il tenta de se mettre debout.