14/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 230

Premenos, le fils du bhlaghmen, dormait, d’un souffle régulier. Le prêtre le regardait, avec plus d’intensité encore, peut-être, que le jour de sa naissance. L’enfant n’entendait rien. Il n’irait pas le réveiller pour qu’il l'écoute. Il lui parlait plus pour être ouï des dieux et leur adresser un vœu que pour qu’il capte ses mots-prières.
– Je pars, mon petit. Ça me fait peine de te quitter. Ne m’en veux pas. C’est la chance de ta vie. Une fois à Kerdarya, avec ce que j’y apporte, on m’admettra au sein d’un des collèges de prêtres les plus réputés, ou on bâtira pour le Joyau un temple dont je serai le desservant. Tu entreras chez les prêtres de Dyeus ou de Bhagos, ou peut-être, si tu as la langue déliée et la parole aisée, dans le collège des récitants d’hymnes. C’est là que j’aurais voulu être. Mais quand j’étais en âge d’étudier les grandes épopées et les chants sacrés, nous étions pauvres. Je ne pouvais rien espérer, qu’un rôle subalterne dans un petit temple. Maintenant, ce village est le plus riche alentour, et si Kleworegs n’a pas mille bovins, son clan en possède bien dix mille, plus que de nombreux villages cinq à six fois plus peuplés... Rien qu’avec cela, toutes les ambitions t’étaient offertes. Qu’en sera-t-il quand nous avons la gloire d’avoir trouvé la pierre-soleil ! Tu feras ce que je n’ai pu que rêver.
 
Kleworegs, comme ses compagnons, avait mangé sur le pouce. Il aurait plus de temps pour se reposer et faire ses adieux. À peine chez lui, on vint le solliciter... Jusqu’à son départ il devrait avoir l’œil à tout. Il serait dérangé à chaque instant. Parfois, la pression se relâchait. Qu’il retourne chez lui contempler le sommeil de son fils, on venait le tarabuster : “ Wentosyokophos n’a pas l’air au mieux. Laisse-le ici et attelle à ton char Okeusdramos. ”. Sous peine de passer pour un roi qui n’a pas réponse à tout, il devait résoudre le problème. “ Tu es sûr ? Il caracolait comme un jeune poulain, hier midi. Enfin, s’il n’est pas bien, prends plutôt Woghomdeuktor. En cette saison, je préfère une bête plus robuste. ”. La question résolue, il s’imaginait s’occuper de son fils. Tout aussitôt, un autre survenait : “ Le seul beau casque que je possède a une défense brisée. C’est arrivé au cours de ce combat où j’ai empêché un Muet de blesser le demi-frère de l’oncle maternel de ton ancienne femme. Prête-m’en un intact pour faire honneur à l’escorte. Je n’ai rien qui m'aille ! ” – “ Va chez les forgerons ! ” – “ J’en viens, ils n’ont rien à ma taille ! ” ... Et c’était reparti... Quelle nuit d’adieux, où il n’avait le temps de dire adieu à personne !
La lassitude eut raison des fâcheux. À Brillante haute, il put aller se coucher. En pure perte. Le sommeil l’avait fui. Il se releva. Il vint s’asseoir près du berceau de son fils.
– Ah, fils, je ne te reverrai pas avant la saison chaude. J’espère que tu seras déjà fort et bientôt prêt à marcher à mon retour... Si je reviens. Peut-être est-ce toi qui viendras, avec les miens, à Kerdarya. Si je deviens un ner regis, un noble du roi à mille bovins, pourvu d’un beau fief, tu ne passeras pas ton enfance dans un petit village, si riche soit-il. Pour accéder aux plus hautes fonctions, tu devras apprendre l’art du combat avec les jeunes de ton rang, fils des grands guerriers et des favoris du roi... C’est tout le mal que je te souhaite. Le borgne divin, par la bouche du conseil des rois, décidera. J’ai confié hier soir aux prêtres de beaux béliers dont sacrifier en ton nom. J'emporte des gâteaux de miel que je mettrai au feu chaque soir, en oblation. Avec ces hosties, il ne manquera de nous être favorable.
 
Ce soir-là, il avait pris congé. Il s'était fait expliquer en détail comment se rendre au village qui avait envoyé un des siens à la grande foire de Kleworegs. L’autre avait proposé de lui offrir encore quelques jours l’hospitalité ou de l’y conduire. Il avait refusé. Il en avait fait assez. Il serait sacrilège d’en exiger davantage. Il avait juste accepté de se reposer pour la nuit. Il partirait avec l’aube. Il serait plus vite chez ceux qu’il désirait rencontrer. Là-bas, on savait.

13/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 229

QUELQUES NOUVEAUX EXTRAITS D'AUBE, LA SAGA DE L'EUROPE

PROCHAINE PARUTION DU LIVRE I EN E-BOOKLE 1/1/2012

 

Il avait reçu le message caché derrière l’impolitesse calculée. À cette revendication, exprimée d’un ton calme et froid, il opposa la même tranquille froideur, la même indifférence. Il fit comme s’il n’en avait rien entendu et poursuivait une autre conversation :
– Il faudra que je te prenne un glaive, un glaive ouvré par toi, en personne, j’y tiens.
– Suis-moi... Je suppose que pour ce qui est d’être payé, nous nous arrangerons à Kerdarya ?
– Je te donnerai assez de cuivre pour fabriquer trois lourds glaives si celui que tu me proposes est de la qualité de ceux que tu forges pour vos guerriers.
– Ils sont tous excellents. Tu n’en verras jamais de mauvais chez moi. Je les brise.
– ... Et choisis tes plus beaux pour les présenter aux rois du grand conseil... Avec ça, tu pourras revenir beaucoup plus riche que tu n’es parti. Ça ne te tente pas ?
– Ça tenterait n’importe qui. Ta proposition est bonne. Je te remercie de tes conseils et de tes suggestions. Je les accepte avec gratitude… Voici ma forge, où je garde les meilleurs… Solides, mais tout simples, sans or qui orne leur poignée. Ça ne te gêne pas, ou faut-il, pour avoir ta pratique et la leur, les guillocher de métal précieux ?
– Inutile, nous voulons des glaives tranchants, pas des bijoux. C’est décoratif, mais moins que le triomphe qu’apporte une bonne lame.
– Alors, j’ai ce qu’il te faut, et tout de suite. Entre !
– J’arrive !
– Pendant que j’y pense, si tu n’as pas vu Kleworegs, Nous partons après-demain, à l’aube.

– Lève-toi ! Je pars.
Il se leva. Sa jambe avait cessé de lui élancer, sa blessure au flanc était oubliée. La souffrance était partie. La perspective d’avoir retrouvé le fil, un instant brisé, de la piste de son ennemi, l’avait revigoré. Il parvint près du char du voyageur. L’homme l’invita à y monter. Il y parviendrait tout seul. Ce serait un signe que les dieux approuvaient son projet et l’invitaient à l’accomplir sans perdre un instant. L’aide de son compagnon fut si discrète qu’il ne la vit pas.
Ils se mirent en route. Le visiteur était une mine d’anecdotes, qu’il eût trouvées passionnantes, et de plaisanteries, qui l’auraient fait éclater de rire s’il n’avait eu la tête ailleurs. La seule histoire qui l’eût intéressé eût été celle, même racontée par un bègue postillonnant et cherchant ses mots, qui lui aurait appris où trouver Kleworegs. Il l'écoutait malgré tout. Que faire d’autre en attendant d’arriver, le lendemain dans la soirée ? Il n’aurait ensuite qu’une journée de marche pour trouver le village où quelqu’un savait comment aller au clan du Cheval ailé. Il lui en indiquerait la route.
Après, tout dépendrait de lui. Il encouragea le cheval de la voix.
... Il ne lui faudrait plus longtemps pour se trouver face à sa cible.

 
Après la journée consacrée au choix de l'escorte, la veille du départ se passa en préparatifs pour s’assurer le meilleur voyage. On sélectionna les plus beaux et les plus solides chevaux, les chars les plus neufs et les mieux ornés. On prépara un ultime et gigantesque banquet en l’honneur du bijou sacré. Ils interrogèrent le messager sur le meilleur chemin et les haltes. À part Gwowomakwelya, la rivière des bœufs, marché à bestiaux de grand renom, et Walkwis, la place du loup, fameux rendez-vous de chasseurs et grande foire à fourrures, ce n'étaient que minuscules villages indignes de les recevoir. Leur passage y serait un événement tel qu’il ne s’en produit qu’un toutes les trois ou quatre générations.
Le banquet fut copieux, mais bref. Ceux qui partaient se couchèrent tôt. Ils se réveilleraient à ciel rose pour avoir le temps de faire leurs adieux. Kleworegs, le bhlaghmen et Pewortor ne furent pas les derniers à en profiter. Ils saoulèrent de recommandations leurs remplaçants et celles qui allaient prendre soin de leurs enfants pendant leur absence. Après qu'ils furent couchés, ils restèrent à les regarder. S’ils survivaient aux mille dangers et maladies qui les guettaient, ils leur feraient honneur et continueraient leur lignée glorieuse. Pour l’instant, ils se portaient bien, comme leurs mères, et dormaient d’un sommeil paisible et rassurant. Aucun des récents nouveau-nés n’avait péri. Ils en remercièrent les dieux.
Les enfants des trois héros du cortège étaient superbes. Peworis, le fils du forgeron, toujours plus énorme, passait déjà pour un petit ogre. Il épuisait le lait de sa mère et de sa nourrice, et, criant à en réveiller les morts, réclamait encore après une telle ventrée. Les armuriers se réjouissaient de ces hurlements témoins de son inextinguible appétit. Le Peworis de la légende avait, lui aussi, tari la poitrine de ses nourrices, deux géantes, pourtant. Cette fringale féroce signait sa haute origine et sa future haute destinée. S’il mangeait comme deux, c’était qu’il avait en lui, à côté de l’âme d’un forgeron, celle d’un guerrier avide de grandir très vite pour arriver au plus tôt à l’âge de combattre. Tous ces signes faisaient de lui, à sa manière, le wunderkind du wiks. Son père était aussi heureux de sa belle vigueur que des sentiments que le reste du village éprouvait à son égard.

 

 

22/01/2011

Poètes d'Europe - Hrafn Andrés Harðarson (Islande)

author_icon_22744hrafn.jpgHrafn Andrés Harðarson est né en 1948 en Islande.

Poète et bibliothécaire à Kopavogur, Islande, il est membre de l'Institut des Bibliothécaires et Professionnels de l'information (Royaume-Uni) Il a publié 6 livres de poésie en islandais, 1 en anglais, et 2 livres avec traduction de poésie Lettonne. Les Compositeurs Gunnar Reynir Sveinsson (Hlér et TonePicturePoems) et Rosalind Page (Ravensongs) ont fait des adaptations musicales  pour sa poésie. Il est ambassadeur pour l'Islande de Poetas del Mundo

Skáld og bókavörður í Kópavogi. Hann er Fellow of the Chartered Institute of Library and Information Professionals, UK. Hefur gefið út 6 bækur með ljóðum sínum á Íslensku, eina á ensku og tvær bækur með þýðingum á lettneskum ljóðum. Tónskáldin Gunnar Reynir Sveinsson og Rosalind Page hafa samið sönglagaflokka við ljóð hans. Hann er ambassador á Íslandi fyrir Poetas del Mundo.

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11/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-25

Il regarda de côté celui sur les épaules de qui tout reposait... Serait-il à la hauteur ? Ah, obtenir une preuve décisive, et qui le rassure, avant d'arriver à Kerdarya !
Ils finirent leur repas. Le magicien buvait plus que de raison, mais se tenait bien et faisait bonne figure. Leur échanson était un gnome au regard ironique qui, chaque fois qu’il croyait ne pas être vu, s'emparait d'une lèche de viande ou buvait une furtive gorgée de bière au cruchon qu'il apportait. Le messager le surprit et s'en plaignit à son maître. L'hôte haussa les épaules.
– Ah, oui, c'est bien son genre. Je le ferai bastonner pour ça, si vous voulez.
– Fous-lui un bon coup de pied dans les fesses, ça sera bien suffisant.
– Ah non !
– Pourquoi ? C'est très bien pour un serviteur qui chaparde. Ni trop indulgent, ni trop cruel.
– Regarde-le un peu ! Il est bête à faire sous lui, et il le fait. Eh toi, simplet, tourne-toi !
Le serviteur leur montra son séant. Sa tunique y était d'un marron sale, maculée comme la croupe des bovins qui s'assoient dans leurs bouses. Le maître raconta combien il était stupide et malpropre, ne comprenant rien aux ordres et faisant devant tout un chacun comme même les chiens ont désappris de le faire. Il écoutait d'un air niais. Sa stupidité jouée lui évitait bien des corvées ; sa malpropreté lui permettait bien des vengeances, mesquines, mais toujours agréables. Ils éclatèrent de rire comme devant un bossu ou un bancroche. Ils échangèrent des paillardises et se moquèrent du pauvre hère, coi. Son statut lui interdisait de répondre. Très vite, il fut l'objet de la risée publique. On l'invita à boire jusqu'à plus soif. Un serviteur ivre conforte le sentiment de supériorité des hommes libres. Rage au cœur, plein de mépris pour ses tourmenteurs, il s'exécuta. Sous ces dehors de soumission et même de participation à son avilissement, il voulut néanmoins préserver sa dignité bafouée. À défaut de son maître, il se vengerait des hôtes, cause de son humiliation.
L'heure du sommeil arrivait. Les brimades cessèrent. Pendant que les voyageurs se dirigeaient vers la maison des hôtes, le putois du plus âgé de ceux qu'il estimait cause de son tourment vint lui flairer les jambes. Il n'avait rien contre l'animal, même si son maître le respectait plus que lui, mais il paierait la honte subie. Qu'il ait un instant l'occasion de pouvoir, sans risque, s'en prendre à lui !

07/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-21

... Il continuait. Il tolérait que nous dirigions la vie des troisième caste, mais nous cesserions de nous mêler de celle des hommes du glaive. C'était déjà insupportable, mais ne lui parut pas suffisant. Il voulait aussi régler la nôtre. Nous ne serions plus que l'instrument de leurs ambitions (des siennes, et c'est sans doute cela, plus l'aide divine, qui nous a permis de tenir face à lui et qui va nous aider à l'abattre.), au lieu qu'ils soient le bras armé de ce qu'il appelait les nôtres. Comme si c'était nos volontés, non celles des dieux, que nous ordonnons...
... J'allais protester. Il ne m'en laissa pas le temps. Jusqu'alors, je l'avais cru pris de folie. J'étais prêt à lui pardonner, bien que cela m'en eût coûté. Ses paroles m'en ôtèrent l'envie à jamais. Je vais te les répéter. Elles m'ont marqué plus profond que le cuivre ardent. Ta colère éclatera à les entendre. Imagine la mienne.
« Écoute-moi, reg bhlaghmen e. Je comprends que tu n'apprécies guère mes projets, mais tu t'y feras. Tu n'y perdras rien, de toute façon. Si tu fais ce que je dis et si tu pries pour que les dieux me favorisent, tu auras en abondance tout ce que tu désires. Qu'aimerais-tu ? Des serviteurs, des servantes, des troupeaux ? Parle ! »
... Ma seule réponse fut un crachat, juste entre ses pieds. Devant une telle proposition, je n'allais pas faire de phrases. Lui faire l'honneur d'un glaviot était bien assez. Lui bailler un soufflet m'eût sali la main. Je lui montrai la porte. Il me regarda, furieux. L'immémoriale interdiction de pénétrer dans un lieu sacré avec une arme avait du bon. Sans elle, et malgré l'énormité du prix du sang, il me l'eût passée à travers le corps. Il rassembla son poing, me le brandit sous le nez, gronda :
« J'aurais dû me méfier. Tu es maigre. Tu n'as ni désirs ni besoins, que celui du pouvoir. J'en trouverai de plus dociles que toi, et tu n'es pas éternel. Pour commencer, j'ordonnerai que tes autels soient désertés, et tu verras le prestige de tes rivaux augmenter à mesure de l'abondance des dons à leurs temples. Crois-tu qu'ils supporteront longtemps que le premier prêtre ait moins de victimes à immoler qu'eux-mêmes, et que les plus grands dieux reçoivent moins de sacrifices. Tu devras céder la place, s'ils voient que tu n'as pas les moyens de nous assurer leur faveur. »