05/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-41

Que fait Belonsis ? Cela l’intriguait, et les hommes du jeune roi, qui ne le voyaient plus au bivouac d’honneur, avec lui. Ils chuchotaient, les yeux écarquillés, s’interrogeant, essayant de deviner. Les plus malins avaient tous leur explication, mais elles ne devaient guère être convaincantes, et ils étaient contraints de baisser le nez sous les sourires ou les mouvements d’ironie. Belonsis revenait enfin.
Il n’était pas seul. Une petite foule le suivait, traînant tout le gibier sacrifié dans sa battue. Il le montra à Kleworegs, puis cria à la cantonade :
– Les Chasseurs de loups offrent toute cette bonne viande aux autres, pour qu’ils s’en régalent en l’honneur de mon mariage avec la fille de Kleworegs. Son fumet montera aux narines des dieux avec celui des taureaux sacrifiés pour les remercier et attirer de nouvelles bénédictions sur tous ceux qui suivent Kleworegs dans la voie qu’ils lui ordonnent. Tel est mon gage de fidélité au père de ma femme.
Kleworegs le remercia, et tous le louèrent. Belonsis regarda tout autour de lui. Il cherchait à voir les visages de ses compagnons, tremblant qu’ils soient enragés de son initiative. Non, pas la moindre colère, le moindre reproche. Ils semblaient l’approuver. Il ne comprenait pas.
Ils croient que ce que je fais cache quelque chose... Je ne cherche que notre gloire.
Il était trop lié aux siens. Un jour, Kleworegs échouerait dans quelque entreprise. Tout bénin que soit cet échec, il s’élèverait contre lui... A moins qu’il n’ait réussi à faire taire toutes les rancœurs, à faire accroître aux siens qu’il valait mieux le soutenir dans une épreuve peut-être provisoire que l’accabler. En aurait-il la force ? Il le devrait pourtant sous peine d’être indigne d’être roi ou de périr de leur colère.
 « J’en parlerai à mon épouse. »
Ce n’était pas non plus une pensée de roi… ni même d’homme. Il n’en eut cure. Elle était belle, et sûre d’elle... Pourvu qu’elle soit aussi sage.
 
 Le banquet dura jusqu’au soir. On entonna des chants en l’honneur du Belonsis, et tous lui souhaitèrent d’être vite père d’un garçon robuste pour lui succéder lorsque le poids des ans serait trop lourd. Kleworegs se mit lui aussi de la partie, bien qu’il eût de beaucoup préféré que son gendre n’ait que des filles. Les représentants des producteurs y allèrent eux aussi de leurs vœux, et tout inférieurs qu’ils étaient aux yeux de Belonsis, ils furent bien accueillis. Qui saurait mieux parler de la fécondité, et en invoquer les dieux, que ceux qui travaillent la Terre et dépendent des forces qui rendent les sols fertiles ?
 Le dernier à parler, sur l’insistance réitérée du haut roi, fut Udnessunus. Les hommes de Belonsis avaient beau être dans la joie de la fête partagée, ils grondèrent en l’entendant. Sans lui, leur ancien roi serait à la place de Kleworegs. Belonsis accueillit ses vœux avec beaucoup plus de plaisir, mais afficha une froideur hargneuse pour plaire à ses compagnons. Le jeune paysan sentit leur hostilité, et fit vite. A peine son discours terminé, il se replongea dans la ripaille, comme si rien autour de lui n’existait.
 – Je t’ai déjà fait des coutres, mais je crois que je vais devoir te forger un glaive !
Il tourna la tête. C’était Pewortor. Le forgeron s’installa à sa droite.
Udnessunus le regarda, pensif. Pewortor respecta son silence. Il finirait bien par lui répondre.

04/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-40

Il sourit. Entre les hommes de Belonsis qui étaient venus assister au sacrifice et étaient restés, ceux qui étaient partis et revenus, et ceux qui avaient suivi leur roi après son mariage, il ne restait plus grand monde chez les Chasseurs de loups. Ils viendraient bientôt, rage au cœur, incapables de résister au parfum et au plaisant vacarme. Il fit passer à ses guerriers l’ordre de les bien recevoir et de les inviter à tout partager en abondance. Déjà, ceux qui, obéissant à Belonsis, avaient accepté de côtoyer les autres clans, se dégelaient, échangeaient des récits d’exploits guerriers et de bonnes fortunes, et ne se faisaient pas prier pour engouffrer les mets offerts.
La fête continua. Petit à petit, des hommes de Belonsis arrivaient. On les accueillait par des démonstrations de joie trop excessives pour venir du cœur. Ils les acceptaient comme un dû. Personne ne relevait leur arrogance. Ce serait pour plus tard, peut-être, quand les derniers à venir se conduiraient de même devant les convives ivres et devenus oublieux des conseils de modération. Quelques hommes devaient rester lucides pour régler les querelles qui éclateraient alors... La réconciliation était trop fragile même si, il en aurait juré, son gendre était sincère. Elle ne réussirait que si ses hommes faisaient preuve de bonne volonté et ne contrecarraient pas ses efforts.
Belonsis se leva et repartit vers son campement. Il l’aurait bien suivi, mais un tel geste serait malvenu. Il regardait ses guerriers, ceux restés pour festoyer et qui formaient quelques noyaux compacts et inentamables, ceux venus avec lui, répartis dans tous les autres groupes, et ceux qui arrivaient de loin en loin, installés à la fortune du pot. Ils étaient moins méfiants, presque amicaux... Voilà qu’il parlait d’eux comme de ceux que les siens rencontreraient bientôt, et qu’il essaierait d’amadouer de la même façon. Ces étrangers adopteraient envers lui et les siens la même attitude de méfiance qui ne demande qu’à disparaître ou à se transformer en une carapace de haine, pour un mot, un geste, heureux ou malheureux.

03/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-39


Kleworegs et Belonsis avaient fini d’échanger leurs serments. Le haut roi regarda son gendre.
– Voilà ! J’espère que les tiens seront nos meilleurs guerriers, maintenant qu’ils ont compris que les dieux sont avec leurs rois.
– Oui ! Ah, Kleworegs, tu m’as comblé en me donnant une épouse aussi belle. Comment pourrais-je te manquer après une telle preuve d’amitié ?
– (Un homme peut-il penser ainsi !?)... Si nous allions fêter notre union. Venez tous au grand banquet pour célébrer notre arrivée dans nos nouveaux fiefs. Je dois aller le présider.
– Mais il y a le banquet du mariage. Nous avons rassemblé le gibier, les bêtes sont prêtes à être sacrifiées. Sors, regarde. Le bûcher est dressé.
– Ce sera comme tu veux, mais il vaudrait mieux, pour montrer combien tu m’es fidèle, que tu présides la grande fête avec moi. Nous festoierons pour le mariage ce soir, au coucher du soleil.
Permi intervint.
– Vas-y ! Ceux du Printemps Sacré doivent apprendre à connaître leur futur haut roi. Prends ton char, fais-toi accompagner de tes guerriers, et reparais là-bas. Je t’attendrai.
Kleworegs la regarda avec colère et appréhension. Comment son mari, s’il avait de l’honneur, supporterait-il qu’elle lui donne des ordres ? Il s'inclina.
– J’ai vu ta beauté. Je suis heureux de découvrir ta sagesse.
Il sortit prendre son char. Kleworegs le suivit, l'air sombre. Avait-il perdu son aînée ?... Pour la première fois, il craignait de devoir répondre oui.
 
L’arrivée de Belonsis et de ses guerriers au banquet fit sensation, et plus encore l’ordre qu’il leur donna de se placer pour que ceux de Kleworegs et les siens soient mélangés autour des feux. Chacun attendait que le haut roi ouvre la ripaille. Satisfait que Belonsis se conduise en allié loyal, même s’il n’avait amené qu’une petite partie des siens, il déclara qu’il était temps de commencer à se goberger de la viande sacrifiée. Le vent caressait sa joue. L’odeur des viandes devait parvenir au camp de son gendre. Ceux qui avaient prétexté la préparation des fêtes du mariage pour ne pas venir recevraient de plein fouet les odorants effluves des grillades, et auraient les oreilles martelées des chants joyeux de ses hommes.

02/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-38

Ce serait de mauvaise politique, et le prêtre qui officiait pourrait soudain devenir vigilant quand ils réciteraient les serments qui engageaient les deux clans. Mieux valait compter sur sa fille, même si elle semblait encore ingrate. Elle avait la vertu évidente de dominer son époux, et, à en juger par son attitude et sa détermination, elle saurait rester la maîtresse. Même si elle avait changé de clans et d’ancêtres, ses racines lui restaient. Elle ferait profiter ceux du Cheval ailé de son influence.
« Certes, elle est amoureuse de son mari, mais elle a son caractère. Tout son amour ne l’empêchera pas de vouloir commander. Ah, la façon dont elle traitait ses servantes, y compris les plus proches, qui avaient remplacé sa pauvre mère ! Elle les aimait, mais il fallait voir comme elle leur parlait. Ce sera pareil avec Belonsis. Elle a mon sang. Elle ne peut qu’ordonner ! Et ordonner dans le sens de nos intérêts. »
Oubliées les réticences et l’hostilité de sa fille, oubliée son omission, à l’évidence volontaire, de sa naissance. Elle était royale, impérieuse, semblant diriger le mariage qu’elle refusait quelques pas du soleil avant. C’était au tour de Belonsis de jurer sur ses autels sa fidélité à Kleworegs. Le haut roi du Printemps Sacré se surprenait à se conduire envers Belonsis avec plus d’amabilité et moins d’arrogance que sa fille, tout amoureuse de lui qu’elle était. Non, il avait tort de qualifier ainsi son attitude. Elle se voulait l’égale de son mari, et exagérait sa roideur. Se faire désirer encore plus en se montrant inaccessible ? Peut-être était-ce son intention, mais tout le reste, le parfum de son corps, le feu à ses pommettes, la lueur dans ses yeux, signifiait avec assez d’évidence son désir. Il ne comprenait pas. Ces jeunes gens amoureux ? Un étrange jeu de soumission et de domination ? L’époux de sa fille ne devait pas être un vrai homme, pour la laisser parler lui sur ce ton... Il s’en souviendrait, si l’autre lui était rebelle. On ne suivrait pas plus un homme esclave de son épouse qu’on ne l’aurait suivi, s’il avait cédé à sa fille.

01/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-37


– J’en étais d’accord. Je n’ai pas changé d’avis.
– Et n’oublie pas ! Tes enfants seront vassaux des miens, mais si tu as des filles, mes fils les épouseront. Ainsi, un jour, un enfant possédant les vertus des héros du Cheval ailé et des Chasseurs de loup sera haut roi de ces terres qui s’étendent devant nous/
– Et roi des rois de tout Aryana, si les dieux lui sourient !
– Les dieux lui souriront.
– Les dieux te parlent souvent. Tu ne dirais pas cela en vain.
– Attends. Je n’ai pas terminé. N’oublie pas que si tu devais répudier ton épouse, sans qu’aucune faute ne puisse lui être imputée, tu devras tout lui rendre. Et/
– Ça n’arrivera pas ! Laisse le prêtre qui nous unira en parler, parce que ça fait partie des rites du mariage, mais c’est inutile. Cependant, j’en ferai le serment, pour que notre union soit conforme à la coutume.
Permi, bientôt lasse d’entendre les deux hommes de sa vie discuter, vint se placer entre eux.
– Je suis prête.
Ils la regardèrent, interloqués. Kleworegs était furieux… Sa fille, se conduire ainsi, mais devait se taire. Belonsis hochait la tête en signe d’approbation. Le prêtre, qui venait d’arriver et avait entendu l’adolescente, les observait, offusqué. Jamais une femme ne se conduisait ainsi avec ceux dont elle dépendait. Il grommela entre ses dents une formule destinée à détourner du couple et des guerriers de Belonsis le malheur. Quoi d’autre un clan où l’épouse ordonne, l’homme obéit, peut-il espérer ?
Il n’eut pas le temps de la terminer. Le couple était devant lui. Il ne pouvait plus, dès lors, que faire ce pour quoi on l’avait appelé. Il marmonna les paroles rituelles qui entouraient toute union, rappela à chacun ses obligations. Il demanda à la fille de Kleworegs de sacrifier sur l’autel, et elle versa la rosée devant la pierre sacrée de son clan avec la force des guerriers qui jettent derrière eux le fond d’une cruche d’hydromel pour désaltérer les esprits errants des héros. Avec les mêmes gestes brusques, elle prit des mains de son père le gâteau de cire, le posa sur l’autel ardent de son nouveau clan et annonça, d’une voix forte, qu’elle était désormais l’épouse de Belonsis et la femme du roi des Chasseurs de loups. Kleworegs tiqua. Elle avait omis de dire qu’elle n’était plus fille du clan du Cheval ailé. Cet oubli n’était pas fortuit. Il allait intervenir, mais ni le prêtre, ni son époux ne semblaient avoir relevé ce manquement. Il n’interromprait pas la cérémonie. A quoi bon indisposer Belonsis par une exigence qui pourrait lui paraître insultante. Mieux valait se montrer accommodant et ne pas rompre le charme qui le maintenait dans ce si plaisant état d’hébétude énamourée... Et s’il essayait d’en obtenir plus qu’il n’avait déjà promis ?