20/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 235

Les tensions se calmèrent. Ils surenchérirent sur leur indifférence à l’égard du statut évoqué. C’était un hochet dont ils se passaient. Qu’était-ce, naître combattant ? Il valait mieux être courageux et savoir se battre. Grand bien fasse à Pewortor s’il s’en trouvait heureux... Bon, si on le leur proposait, ils n’iraient pas jusqu’à refuser, mais enfin... Il faudrait que ce soit dans de meilleures conditions. Il n’avait pas de quoi être fier. Beau père spirituel que recevait son fils pour le guider ! Un homme à la semence guerrière rancie, affaiblie, malsaine. Sa longue agonie et sa mort dans un chariot plutôt qu’au combat le prouvaient.
Récriminations – même si elles s’étaient vite calmées dans l’espoir qu'il y répondrait – des siens ; difficultés élevées par les prêtres ; tentatives d’obstruction des neres les plus en vue ; dédain de ses nouveaux pairs : Tout sarabandait, effréné, entêtant, sous son crâne. Cette polémique autour de son nouveau rang lui pesait. Il se rendit à la cérémonie, qui unirait son genos et celui du parrain de son fils, hargne et fiel au cœur.
L’humeur de l’autre n’était pas plus réjouie. Certains, honteux de ce qu’un guerrier aussi noble que leur fils féconde celui d’un genos si humble, y voyaient injustice. Les autres, l’estimant méritée, éprouvaient une honte égale à y compter un pleutre juste bon à se fondre dans un faux seconde caste... Pas un ne se sentait fier. Derrière les politesses, leurs mines longues comme un jour de jeûne parlaient... hurlaient. Il n’était pas moins humilié. L’ambiance était glaciale. Tous supportèrent cependant sans le moindre mot blessant les longues formalités d’échange de sang et de serments de soutien et aide mutuels. Il en eût fallu peu pour qu'il fît un esclandre. Son genos, qu’il était à lui tout seul, s’irritait que les autres neres aient sous-estimé Peworis et décidé qu’il avait hérité de l’âme du mésestimé. S’il avait jugé en forgeron, il n’eût pas été fâché. Celui qui ensemençait l’âme de son fils lui semblait le meilleur. Il se mettait dans la peau de sa nouvelle fonction, plus sensible au panache qu’à l’efficacité. On l’injuriait. De bon armurier qu’il serait né, son fils était devenu mauvais guerrier. En valait-il la peine d’avoir renoncé à ce qui faisait l’essence de sa vie ?
Il regrettait son serment. Il en avait pesé avec soin tous les termes. Il avait même trouvé une échappatoire passée inaperçue des prêtres. Pourtant l’envie de le briser, tout favorable qu’il lui soit, montait en lui par bouffées. Qu’il soit humilié, passe encore. Mais son fils, ner dès qu’il avait ouvert les yeux, devait être traité à l’égal de ses pairs... C’était insupportable qu’on le déprécie ainsi. Devant cet autel, il commença, entre les répons, à réfléchir aux moyens de ne pas plus respecter cette promesse qu’on ne le respectait. C’était encore, alors, plus un jeu qu’autre chose, un projet caressé plus qu’un plan approfondi. La mesquinerie d’un clan ulcéré n’était pas un motif de sacrilège et parjure.

19/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 234

Le surlendemain fut encore jour de fêtes et de cérémonies. On célébrait l’accueil des nouveau-nés et l’inhumation des armes des morts au combat, ultime hommage à ceux qui avaient péri pour le clan. Ç’aurait dû être pour chacun jour de réjouissances. Pour Pewortor, la polémique en ternit l’éclat.
Le moment fort de l’accueil des nouveaux fils d’Aryana était la solennité où les âmes de ces héros venaient se fondre avec les corps des trois premiers seconde caste nés au retour des raids et les féconder de leurs vertus viriles. Nul n’y redisait pour le fils de Kleworegs et celui du jeune guerrier dont l’épouse avait accouché le même jour. Pour celui du forgeron, cela passait moins bien. Son accueil serait expédié comme une tâche ennuyeuse ou répugnante. On s’en débarrasserait vite. “ Qui a un cul à biser le fait en courant. ” Rien ne résumait mieux l’état d’esprit des sacrificateurs.
Les guerriers rechignaient moins. Le fils de Pewortor était des leurs. Aucun n'en doutait. N’y avait-il pas déjà un signe de son appartenance à leur caste dans cette taille rare chez un bébé ? Ce n’était pas ce qui les persuadait le plus. L’indice manifeste de son statut leur apparaissait dans la parfaite balance entre les trois morts et les trois naissances. Flagrante était la présence, dans cet échange d’âmes, de celle d’un moins vaillant qui trouverait le réceptacle adéquat dans le corps de ce ner par raccroc.
Non, nul ne pouvait douter de ce statut, non plus que de la subtile construction de Bhagos. Aucune famille n’aurait accepté pour parrain de son fils un homme dont la longue et pénible agonie prouvait son inimitié avec Thonros. Le clan du mort n’aurait pas plus admis que l’âme de son fils erre, faute de trouver qui en voulait. Elle ne devait non plus, en aucune façon, tomber et se fondre dans l’esprit d’un troisième caste. Le fils du forgeron n’était pas un vase reluisant, mais la famille du mort, tout irritée qu’elle était, ne subirait pas la honte de savoir un des siens ne plus combattre. Pewortor n’était guère plus satisfait. Si son fils et tous ses descendants seraient considérés comme guerriers, avec un début de lignée dans sa nouvelle caste, l’humiliation n’en était pas moins patente. Ils verraient ! Il serait le meilleur de tous ceux nés cette année-là. Celui dont l’âme avait transmigré en lui avait toujours su se battre. Il valait mieux que nombre de héros célébrés et chantés, lui qu’on abaissait à cause de sa fin. Peworis lui rendrait son renom, s’il l’inspirait et lui faisait partager ses vertus guerrières comme il partageait son esprit.
Pewortor admira l’intuition merveilleuse des prêtres. Ils avaient découvert que l’âme s’envole du corps au moment de la mort comme la semence au paroxysme du plaisir. Pendant qu’une partie de cet esprit rejoignait le séjour de Thonros, une autre allait féconder les jeunes seconde caste de sa force guerrière. Comme le mariage, cette fécondation mystique n'avait lieu qu’entre gens de statut égal. Nul n’allait plus lui contester son rang. Son âme avait reçu celle de l’agonisant selon un plan fixé de toute éternité.
Il était avec ses anciens compagnons. Ils avaient pris sa renonciation à revendiquer pour eux de nouveaux avantages (“ Ça, c’est un coup des prêtres ! ”) sans trop d’acrimonie. Sa promotion suffisait à les flatter. Certains cependant se plaignaient de son égoïsme. Egnibhertor les tança. Quand avaient-ils protesté contre leur statut ou osé exiger leur ascension ? Ils seraient, sans lui, pauvres et méprisés.  
Ils grognèrent. Des reproches justifiés, s’ils font réfléchir, aigrissent trop souvent contre ceux qui ont raison. Il devait soigner les blessures d’amour-propre. Il les rassura. Leur patriarche n’avait pas renoncé à ses objectifs. Il préparait un plan afin de faire accéder un jour chaque forgeron respectueux de son autorité au statut de guerrier. Il avait déjà résolu des cas plus complexes. Cela ne lui causerait pas grand peine.
Il fit un signe de tête pour l’approuver. Il sortit. Il avait envie de retourner voir son fils.

18/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 233

Le forgeron marchait maintenant, anxieux. Le pas rapide et lourd, il semblait se hâter pieds liés. Quand le bhlaghmen l'avait convoqué, sa femme, étendue sur un tapis de paille propre, avait ses premières douleurs. Elle avait un ventre énorme, mais était forte et de large bassin. L’accouchement aurait dû avoir lieu, des vagissements l'accueillir.
Il arriva. Tout était fermé. La naissance tant espérée attendait encore. De quoi s’inquiéter. À la différence de ce qui s’était passé pour les fils du prêtre et du roi, il n’y avait autour d'elle, selon les us de ceux du métal, aucune assemblée de matrones caquetantes et, hormis l’accoucheuse, inutiles. Seule une servante, réputée connaître les herbes, l'aidait.
Il allait ouvrir sa porte. Une vieille domestique, qui lui venait de sa femme et était restée à son service, lui signifia d’arrêter. Sa jeune épouse n’avait pas encore été délivrée. C’était un garçon, mais il s’était présenté par le siège. Elle craignait pour la suite. Quel dommage pour le clan si elle n’était pas menée à bonne fin ! Le bébé était énorme, le plus gros qu’on ait jamais vu naître. Il fallait souhaiter que tout se passe bien. Il serait un forgeron exceptionnel, à travailler le métal à coups de poings comme le héros fondateur du clan.
Il fronça les sourcils. De quoi se mêlait cette servante, un des rares biens amenés par son épouse. Ce pénible accouchement l'angoissait... Et comment, femme et captive, ou descendante de captifs, osait-elle évoquer leurs mythes ? Il se serait, en temps ordinaire, fâché de cette familiarité. Son enthousiasme envers le fils de sa maîtresse l’incita à l’indulgence. L’y poussa aussi la réminiscence de cette grande loi qui veut que les dieux favorisent les souhaits des compatissants et des bénins. Il la remercia... Quand même, où avait-elle appris les légendes sacrées ? ... Malgré une difficulté de dernière minute, tout se présentait bien. Il serait, à leur instar, miséricordieux. Ils aideraient sa femme et feraient sortir l’enfant au plus vite.
Il allait faire nuit. L’attente se prolongeait, pénible. Il ne pouvait entrer tant qu'il n’était pas né. Il se rongeait les sangs. Pour se donner une contenance, ou faire passer le temps, il se mordilla les ongles. Il donnait des petits coups de dent secs. L’ongle de son pouce en était tout barbelé. Arrivé à l’extrémité, il prit le bout découpé entre ses incisives, se piquant la langue. Il tira dessus un grand coup, l’arrachant avec un peu de peau et de chair. Son doigt saigna. Pour arrêter la rouge liqueur qui sourdait du bout de son pouce blessé, il se le mit dans la bouche et le suça, avec un petit bruit d’aspiration.
Des cris d’enfant, à vriller les tympans, s'élevèrent soudain. Il avait fermé ses oreilles à tout autre bruit. À ce son discordant, pour lui la plus douce musique, il se précipita. En même temps, l’accoucheuse ouvrait la porte pour l’avertir de venir voir son fils. Il alla s’écraser contre le mur opposé. Il eut un réflexe de protection. Seul son coude porta contre. Sans se soucier un instant de la douleur, ni du châtiment à lui infliger, il lui demanda de lui présenter le bébé. Il était couché sur le ventre de sa mère. Elle le saisit sous les aisselles et le brandit à bout de bras.
La mère avait esquissé un geste de refus. Son bras était aussitôt retombé. Épuisée par le travail et assommée par une tisane d’ergot de seigle, elle était tombée dans une torpeur morbide, à peine troublée par les hallucinations que lui procurait la décoction. Nul ne s’en inquiétait plus. Elle avait fait son devoir.
Il le prit et le leva vers le ciel, moitié pour le soupeser, moitié pour le montrer aux siens. Prévenus par la vieille servante, ils arrivaient en foule.
– Qu’il est lourd, il fait ses douze livres !
Tout en l'admirant et en partageant sa joie, ils sourirent. Il exagérait. Son estimation dépassait trop le poids d’un nouveau-né. Ils l’examinèrent mieux. Il était énorme. Ils se réjouirent sans réserve. Il se tourna et le leur présenta :
– Pour la force invincible qu’il promet, j’appellerai mon fils né en ce jour Peworis, celui du feu.
– Comme... comme l’ancêtre du clan ? Tu sais ce que tu fais, au moins ?
Ils étaient une main d'anciens à se récrier, choqués. Il n’était pas d’usage de donner à un enfant le nom du fondateur de sa lignée. Qui porte le nom de son premier risque d’en devenir le dernier. Pewortor, fort de son titre confirmé par cette naissance et de sa nouvelle dignité héréditaire de deuxième caste – à elle seule suffisante pour faire taire les récalcitrants bien qu’il n'en désirât pas user devant ses anciens pairs – gronda. Ses rares opposants se turent. Les autres l'approuvèrent.
– Comme l’ancêtre fait de métal, il est né plus lourd que tous les autres. Qu’il porte son nom, puisqu’il est Peworis réincarné !
Patriarche des forgerons, il en était, de par leurs traditions, le grand prêtre. Sa parole avait force de loi parmi eux. Il en fit argument d’autorité. Même les plus opposés à sa décision s'inclinèrent. Il avait le droit de nommer ainsi son fils.
– Qu’il ait tout le lait dont il a besoin ! J’ai eu une rude journée. Je vais dormir.

16/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 232

Plus avant dans la journée, Kleworegs connut le même bonheur. Sa très jeune épouse avait eu ses premières douleurs la veille, quand il était venu la saluer. Son travail se prolongeait de façon inquiétante. Toutes les femmes de son genos avaient prié Maga Mater, tout le jour, que tout se passe bien, et que sa délivrance survienne vite. Ce n’était pas l’affection qui les motivait. Loin de là. Elles n'éprouvaient, à son égard, que la solidarité féminine indispensable. C'était par elle seule qu'elles pesaient quelque peu. À ciel rouge, au plus long des ombres, la tête se présenta. L'enfant sortit, à leur grande joie, sans peine. Il vagit à les assourdir. À peine sorti, il était vif et fort.  
Une des matrones le prit par une jambe et le brandit, la tête en bas, à hauteur de son visage mafflu au nez écrasé. C'était son seul héritage d’un mari guère regretté, peu enclin à la douceur et querelleur à se mettre cent duels sur les bras, surtout quand il avait partagé l’hydromel et les souvenirs de combat avec d’autres gaillards de sa trempe. Il s'en était mis un de trop.
– Quel beau guerrier il fera ! Son père va être heureux, lui qui désespérait d’avoir un mâle.
En entendant ce cri du cœur de veuve au ventre sec, elles se tournèrent vers elle, hostiles. Elles étaient toutes mères, mais n’avaient donné le jour qu’à des filles ou des mal venus qui avaient péri. Ces mots ravivaient leurs plaies encore cuisantes et mal fermées. Faute de s’en prendre à l’accouchée, qui sauvait l’honneur, elles lancèrent leur fiel contre cette cible facile.
– Repose-le, tu lui fais venir le sang à la tête.
– Ne manie pas ce pauvret ainsi, stérile ! Tu n’entends pas comme il crie... À moins que tu ne veuilles le tuer par jalousie, toi qui n'as jamais enfanté ?
En cas de malheur, elles se rappelleraient cet incident. Les nouveau-nés sont fragiles. Elle l'abandonna. Il serait mieux aux bras de sa mère. Une servante entra.
– Le maître arrive. Il veut voir son fils !

Depuis la date, à la fois récente, s’il comptait les années, et quasi-antique, s’il en considérait les suites, où Kleworegs avait demandé à Punesnizdos de lui préparer des armes fiables au sein des plus rudes combats, les forgerons avaient bougé. L’ancienne forge était dans l’enceinte du village. L’ensemble des ateliers de tous les artisans du feu se trouvait maintenant sous son vent, un peu en dehors. Ils œuvraient tout à côté d’un ruisselet, bien utile en cas d’incendie. Ils pouvaient aussi ouvrer de nuit sans réveiller le wiks. Avant, ils s’escrimaient à la tâche en plein midi et exerçaient leur art dans un vrai brasier, l’ardeur du jour s’additionnant à celle de la forge. Ils avaient gagné au change.
Pewortor, devenu ner, se découvrait de nouvelles et nombreuses obligations. Il était passé voir les prêtres. Il se colletait avec eux pour qu’ils entérinent sans attendre son élévation. S’ils ne pouvaient plus la lui refuser, ils argumentaient pour lui faire admettre qu’elle ne touchait que lui. Son fils, s’il en avait un, en serait exclu. Ils n’avaient aucun exemple à l’appui de cette assertion. Ils ne l’avançaient qu’en désespoir de cause. À force, il y serait peut-être sensible. S’il se lassait d’insister et renonçait à l’hérédité de son nouveau statut !
Tous guettaient la moindre ébauche de parole en ce sens. Ils étaient prêts à en témoigner sous serment. Il tenait bon. Ils cédèrent. La loi commune s’appliquerait à lui. Son fils lui succéderait avec son statut, sa fonction, ses titres, ses droits. Encore cela fut-il adopté, contre de beaux taureaux, grâce au premier prêtre. Il lui fit promettre, pour prix de la fin de leur harcèlement, et de leur accord au sujet de son genos, de cesser de réclamer pour ses anciens égaux.
Il s’insurgea. Si l’on continuait à s’opposer à ses justes demandes, la qualité des armes baisserait l’an prochain. Ce ne fut qu’un ultime soubresaut. On lui avait accordé l’essentiel. Il ne persista pas dans son chantage, plus propre à toucher des guerriers. Il lui faisait horreur. Ils prirent congé. Ne restèrent devant l’autel que le forgeron, le bhlaghmen et un acolyte mineur, témoin de l’échange des fois jurées.
S’observant encore avec méfiance, ils s’exécutèrent. La cérémonie fut longue. Malgré son impatience de rejoindre son épouse en train d’accoucher, il cherchait chacun de ses mots. Il n'y fallait pas la moindre faille où les porteurs de lin se glissent, quand il devait se donner le plus large champ. Il essayait aussi de voir s’il n’y avait pas un double sens ou une équivoque dans les paroles du prêtre. Celui-ci finit par reconnaître son droit et celui de son genos à accéder à la seconde caste contre sa promesse de renoncer à toutes ses revendications concernant l’élévation de ses pareils, hors de son clan. Pewortor avait insisté là-dessus.
Les prestations de serment terminées, le prêtre fut plus aimable. S’il avait à la fin pris son parti, qu'il ne chante pas victoire. La naissance de son fils l’avait incité à une particulière indulgence. Elle lui avait fait saisir son souci et sympathiser avec lui, même s’il n’était pas persuadé de son bon droit… Un père pouvait bien accorder une faveur à un autre père. Il lui donna congé sur cette dernière humiliation.
Le marchandage avait pris du temps. Le soleil rougissait quand Pewortor put partir. Il s’empressa de s’esquiver et partit au galop vers le hameau des artisans. Le voyant ainsi courir, le jeune acolyte qui avait assisté à l’échange des serments se mit à rire.
– La bonne farce, maintenant, s’il avait une fille !
Il avait trop attendu son héritier. “ Tu te crois drôle ! ”. Il le congédia d’un ton sec. Il regrettait presque d’avoir discuté son statut au fils – il espérait que ce en serait un – de Pewortor.

15/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 231

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HONNEURS ET BLESSURES


La nuit était déjà avancée. Le défilé avait pris fin à la lueur mouvante des torches sous la brise. Fatigués, heureux, ils étaient rentrés dans l’enceinte. Des feux dansaient partout. On célébrait les guerriers à grand renfort de cris joyeux et d’hymnes.
On avait descendu avec précaution les huit blessés gisant, à moitié inconscients, au fond des chariots, et exposé sur les autels les armes des trois tués au combat. À la vérité, seuls deux y avaient péri. Le troisième, blessé à mort, avait souffert deux longs jours enfiévrés avant de les rejoindre. Lui si brave ! ? Cette dure agonie devait châtier une lâcheté tue aux hommes, sue des dieux. Sa mort en avait été moins noble. Son rang près de Thonros serait moins haut. Pourtant, sa lame lui avait expédié plus d’ennemis que celles des deux autres tombés pour le Joyau... Il déciderait. S’il pardonnait cette couardise cachée, cela se saurait un jour...
Il y avait trois morts à déplorer. Il y avait en revanche, pour se réjouir et exulter, abondance de naissances, tant chez les neres que les wiroi. La liesse régnait dans le cœur des arrivants. Certains l'éprouvaient deux fois. Ils accueillaient en leur foyer un nouveau venu.
La plupart seraient dans l’immédiat sans influence. C’était le cas des filles, de ceux qui mourraient en bas âge (Le village avait beau être riche et bien situé, la maladie prenait son lourd tribut.), des stériles, ou de ceux qui n’accompliraient rien qui soit digne d’un chant. Ceux-ci avaient pourtant leur place. À l’âge d'homme, ils engendreraient des fils, pères à leur tour, maillons d’une immense chaîne de médiocres et héros, misérables et puissants, humbles et superbes, dans les générations sans nombre à venir. Au sein de celle-ci, seuls trois compteraient.
Aucun n’était né au retour de son père. Le premier fut, le lendemain, celui du prêtre. Dès qu’il se présenta, les matrones le reconnurent pour un garçon. L’orant récompenserait le porteur de cette bonne nouvelle ! Aussitôt, l’une d’elles se précipita hors de la pièce où la parturiente finissait son travail pour l'avertir.
“ Ton fils est né ! ” Il y avait dans ce bref avis de quoi réjouir son cœur. Cette naissance prouvait le soutien des dieux à son genos. Elle en assurait la pérennité. Sur sa tombe s'accompliraient les obligations filiales. Ses traditions perdureraient. Son fils porterait bien haut, après lui, le nom de sa maison. Si son roi pouvait être aussi heureux ! Qu’il en ait un enfin, après toutes ses filles ! Les dieux ne permettraient pas qu’il n’ait jamais de mâle. Ce serait, sinon, la fin du wiks dépecé, à l’occasion de leurs mariages, en fiefs offerts à ses gendres. Il serait bon qu'il échappât à ce malheur. Pourvu que son intuition ait été juste et que Bhagos ait enfin écouté ses prières. Il sourit. Son roi aussi serait exaucé.
La matrone contempla, réjouie, son évident plaisir. Elle lui précisa, les yeux brillants, ce que tous les pères aiment à entendre : son fils lui ressemblait, était plein de santé, était né coiffé. Cette caractéristique rare était un signe d’élection, marque, dans la première caste, des futurs grands récitants. Le dieu des serments et de la parole ne porte-t-il pas un bonnet ? Les vieillards du clan, le voyant, le lui rappelèrent. Les autres prêtres, joyeux, le confirmèrent. Ce nouveau privilège appuierait leur prestige.