20/01/2009

AUBE, la saga de l'Europe. Livre II, 005

Il avait été au bon moment, au bon endroit, pour en être favorisé. Quelques mois avant son arrivée, des microséismes, à la source bien lointaine, que seuls des animaux aux sens ultrasensibles avaient détectés, avaient secoué le sol et clivé ses couches souterraines en d'innombrables fissures invisibles, mais d'où, poussés par les mouvements de l'écorce de la terre, s'étaient élevées des vapeurs délétères, toutes lourdes et stagnantes. Elles avaient trouvé dans un petit creux de terrain, au sud du village, où s'épandre à leur aise aussi longtemps que les vents, soufflant en majorité vers l'est, ne les en chassaient pas. Elles s'y amassaient au niveau du sol, au plus haut à la hauteur du visage d'un homme allongé sur une couche basse. Peu concentrées, elles ne causaient aucun dommage notoire, que ces sensations pénibles de chaleur à l'intérieur de son corps, et d’assèchement à sa surface, qu'il avait, après tant d'autres, ressenties. Dire qu'il en avait douté un instant et cru qu'il se sentait mal ! Le prêtre avait dit vrai. Ce qui s'y passait était au-delà de l'entendement d'un mortel. Les dieux se manifestaient.
Avait-il senti que l'épanchement de vapeurs trouvait sa source dans des mouvements du manteau de la terre ? Avait-il deviné les gigantesques éruptions, dévastant de lointains territoires et crachant de noires fumées qui, lancées à l'assaut du ciel, modifieraient le climat sur une partie de la planète, dont Aryana et ses alentours ? Il avait vu la catastrophe et décidé que les dieux lui ordonnaient d'indiquer à ses meilleurs fils de pousser vers le nord-ouest. Ils y seraient à l'abri de l'assèchement des sols et de la raréfaction des récoltes, de l'amaigrissement du cheptel et de la famine. Dans son état de veille anxieuse, ses savoirs enfouis étaient venus, comme les bulles s'exhalant de la vase des marais sous l'aiguillon d'une branche qui les agite, crever en surface. Ils lui avaient imposé cet abandon du sud, cette nouvelle ruée vers les terres où se couchait le soleil.
Sa sensation d'étouffement et les phosphènes entraînés par les gaz stagnants, son impression de voir les poils de sa poitrine s'épanouir en forêt luxuriante, l'avis que le sentiment d'oppression n'était sensible qu'au sud du village, s'étaient mélangés et avaient réagi les uns sur les autres. Miette par miette, une foule de souvenirs, qu'il croyait enterrés, et de connaissances, qu'il s'imaginait avoir oubliées, avait surgi. Il étouffait quand la chaleur était pesante. Ressentir, par cette fraîche nuit d'automne, cette sensation typique des jours d'été trop chauds renforçait cet aspect de prémonition et d'avis solennel. La chaleur brûlante, dessicante, allait surgir pour dévorer ces terres. Toujours il avait chaud quand il descendait vers le sud, toujours il se retrouvait transi et mouillé quand il allait vers le couchant ou la terre des arbres moussus. Si la chaleur augmentait à en devenir insupportable au midi, le temps deviendrait doux et agréable dans les anciennes terres plus froides de l'ouest. Les poussières vertes qu'il avait vues entre ses paupières fermées et qui, avec la pilosité de sa poitrine, lui avaient évoqué les mousses et les feuilles, avaient elles aussi indiqué avec clarté où devrait s'avancer son peuple, vers les terres humides et fraîches et les impénétrables forêts.

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