09/03/2012

Aube, la saga de l'Europe, 314

INSERT, 1
 
 
 
 
 
En ces jours où Kleworegs et les siens, enrichis d’un butin divin, chevauchaient, sereins, par steppes et bois, la planète vivait une de ses heures les plus calmes. Würm, la dernière glaciation, était finie depuis des siècles. Passé le danger d'un retour offensif du froid et des glaces, de nouvelles terres s'offraient à mesure du réchauffement imperceptible et harmonieux du globe. Elles seraient à ceux assez hardis pour rejeter l'atavique frayeur qui les retenait d'y pénétrer.
La vie de la Terre, qu’elle veille ou sommeille, est à sa mesure. Après un temps de changements – le renne s'éloignant, fuyant la chaleur, des rives du Danube où il paissait vers les plaines arctiques, les derniers mammouths et rhinocéros laineux agonisant et disparaissant à jamais –, elle était retournée à sa routine endormie. Glaciation et redoux n'avaient laissé d'autres vestiges, de nombreuses espèces triomphantes, que des légendes. Certaines contaient qu'on retrouvait parfois, enchâssées dans la glace comme l'araignée dans la pierre-soleil, des créatures plus grandes que les chariots ou les huttes. Mais c'était des légendes et nul, sauf quelques enfants crédules et des vieilles édentées et gâteuses, n'y accordait crédit. Dans le sommeil ou l'âge extrême, des humains à la raison engourdie avaient engendré des monstres. Qui allait penser qu'en resurgissait la mémoire enfouie ?
Sur cette terre dormant d'un calme apparent, après avoir sacrifié quelques hôtes majestueux, moins que pucerons à son échelle, la vie continuait. À des lunes de chevauchée, sur un sol ignoré, elle crachait son trop-plein de puissance en un immense et sombre panache. Son feu embrasait et noircissait le ciel, occultant soleil et étoiles... Plus près d'Aryana, mais non moins à l'insu des siens, la même force secouait un archipel à l'orient. Là, quelques îlots, rongés par les flammes souterraines, s'enfonçaient, avec lenteur ou violence au gré de la colère des profondeurs, sous des eaux d'une couleur immuable.
Nul témoin n'en rendrait compte. Les flots formaient encore une barrière infranchissable. Quant au mont grondant sur le sol lointain, peut-être quelques lointains parents des Muets le sentaient-ils trembler, mais une terreur sacrée les en avait, depuis longtemps, détournés. Tous, lâches comme héros, avaient fui ou fuiraient bientôt ses abords pour les douces plaines du midi. Ils s'y établiraient et oublieraient à jamais le tonnerre de la terre. Personne ne le verrait exploser en blocs énormes et infimes poussières.
De ces cataclysmes – moins que friselis à la surface du globe – à frapper d'effroi le plus endurci, d'innombrables existences, en ces temps et ceux à venir, allaient dépendre. Et le destin d'Aryana en serait tout changé.
Ce mouvement représentait une seconde pour la Terre, un jour pour l'humanité, un an pour les peuples.
Pour les simples mortels, une vie.
Pour quelques héros, sans qu'ils n'en sachent rien, l'occasion d'enfanter l'histoire.
 
FIN DU LIVRE I

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