30/01/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-13

– Maître, ne nous as-tu pas parlé des gens qui parlent par la bouche des autres, comme le paysan maudit qui voulait être roi ?
Le grand Oracle releva la tête d'un coup. Reggnotis, sur ces seuls mots, venait de briser les barreaux emprisonnant sa mémoire. Ses souvenirs affluaient, en un flot bouillonnant. Il hurla.
– Écoutez-moi, j’ai compris l'imposture et l'infamie.
Le premier prêtre des dieux de la nature cria sa satisfaction. Les autres ne furent guère plus discrets. Le vieil oracle les foudroya du regard. Chacun se tut.
– Reggnotis m'a fait me rappeler un secret, auquel seul un très grand oracle a pu songer. Je vous le conte à mon tour. Nous verrons alors comment agir pour que les usurpateurs soient punis comme le faux roi...
... Voilà des générations, au cours d’une cérémonie d’accueil des jeunes première caste, l'un d'eux se trouva, par j’ignore quel hasard, dans les bras d'un paysan. Soudain, la voix de cet enfant s'éleva. Écoutez ses paroles :
« En vérité, il sera bon, pour que mille bénédictions tombent sur ce village, que celui qui me tient en ce moment en devienne roi ! »
... Vous devinez la surprise. Ce n'était que visages effarés, expressions de stupéfaction et de doute. Même le paysan désigné pour le trône avait l'air étonné. L'enfant répéta encore une, puis deux fois son vœu, ou plutôt ce qui semblait un ordre des dieux. Et nos ancêtres, dans leur piété, le suivirent, quoique absurde. Comme si cette absurdité n'était pas la preuve d’une origine bien basse ! ...
... Pendant plusieurs mois, le paysan régna sur son village. Tous les jours, selon ses caprices et son gré, les femmes venaient partager sa couche, et la bonne chère lui arrivait à foison, à ce point qu'il enfla comme une tique repue. Cette situation ne faisait pas l'affaire de tous. Celui qui, sans l'intervention d'en haut, aurait dû régner, ne digérait pas sa disgrâce. Si encore l'autre avait prouvé, par son attitude et ses actes, qu'il était digne de son haut rang. Non, il ne faisait que forniquer et bâfrer. Et le roi légitime, évincé, doutait que son éviction fût la volonté divine...
... N'y tenant plus, il sauta sur son cheval et porta ses griefs à Kerdarya. Il vint tempêter auprès des prêtres. Ils l'écoutèrent, mais ne surent que dire. Les dieux avaient parlé, que pouvaient-ils ? Ils l'envoyèrent chez nous. Seuls les oracles diraient s'il y avait imposture, et comment y remédier...
... Il passa nous voir. Il nous expliqua son malheur. Les meilleurs augures se penchèrent dessus. Ils le jugeaient insoluble. Un jeune oracle survint. Quelle serait sa récompense s'il restaurait l'infortuné ? Il lui promit la moitié de ses biens, tandis que le collège des voyants lui garantissait, pour lui et ses descendants, la fonction de chasseur de maléfices. Il demanda au plaignant de se taire, mais de garder la bouche ouverte, puis s'approcha de lui. Le roi déchu parla, bouche bée, d'un ton étrange, lui disant mille mercis...

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