13/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, I-159


Plus avant dans la journée, Kleworegs connut le même bonheur. Sa très jeune épouse avait eu ses premières douleurs la veille, quand il était venu la saluer. Son travail se prolongeait de façon inquiétante. Toutes les femmes de son genos avaient prié Maga Mater, tout le jour, que tout se passe bien, et que sa délivrance survienne vite. Ce n’était pas l’affection qui les motivait. Loin de là. Elles n'éprouvaient, à son égard, que la solidarité féminine indispensable. C'était par elle seule qu'elles pesaient quelque peu. À ciel rouge, au plus long des ombres, la tête se présenta. L'enfant sortit, à leur grande joie, sans peine. Il vagit à les assourdir. À peine sorti, il était vif et fort.
Une des matrones le prit par une jambe et le brandit, la tête en bas, à hauteur de son visage mafflu au nez écrasé. C'était son seul héritage d’un mari guère regretté, peu enclin à la douceur et querelleur à se mettre cent duels sur les bras, surtout quand il avait partagé l’hydromel et les souvenirs de combat avec d’autres gaillards de sa trempe. Il s'en était mis un de trop.
– Quel beau guerrier il fera ! Son père va être heureux, lui qui désespérait d’avoir un mâle.
En entendant ce cri du cœur de veuve au ventre sec, elles se tournèrent vers elle, hostiles. Elles étaient toutes mères, mais n’avaient donné le jour qu’à des filles ou des mal venus qui avaient péri. Ces mots ravivaient leurs plaies encore cuisantes et mal fermées. Faute de s’en prendre à l’accouchée, qui sauvait l’honneur, elles lancèrent leur fiel contre cette cible facile.
– Repose-le, tu lui fais venir le sang à la tête.
– Ne manie pas ce pauvret ainsi, stérile ! Tu n’entends pas comme il crie... À moins que tu ne veuilles le tuer par jalousie, toi qui n'as jamais enfanté ?
En cas de malheur, elles se rappelleraient cet incident. Les nouveau-nés sont fragiles. Elle l'abandonna. Il serait mieux aux bras de sa mère. Une servante entra.
– Le maître arrive. Il veut voir son fils !

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