30/05/2009
AUBE, la saga de l'Europe 205
Le prêtre tenait le Joyau à hauteur du front. Son respect et ses précautions l’avaient tétanisé. Raide comme piquet, il les laissait le dévorer du regard. Les mieux placés, plutôt que de céder leur place à ceux du fond, qui voulaient à leur tour bien voir son captif, le leur décrivaient en termes vagues. Cela ne faisait que les exaspérer. Comment se satisfaire de ne se le représenter qu’à travers ce que les privilégiés des premiers rangs en distinguaient et en voulaient dire ? Déjà s’élevaient des interrogations. Comment la bête y avait-elle pénétré ? Notables ou gens de peu, chacun se posait les mêmes questions, élevait les mêmes doutes.
Il se serait cru la veille au soir. Il y avait eu, comme ici, une majorité pour tomber d’admiration et louer son roi d’avoir été distingué par les dieux. Les cris de la minorité curieuse avaient prévalu. Comment l’animal ou le démon, d’évidence ni peint ni sculpté – nul ne serait arrivé à une telle perfection dans la précision et la minutie des détails, faute de couleurs et d’instruments appropriés – avait-il été introduit dans le bloc d’or limpide ? Devant lui, ils avaient cherché partout à sa surface une ligne indiquant que le bloc avait été clivé et creusé, l’animal posé dans la cavité ainsi formée, les deux plaques recollées. Ils s'étaient crevé les yeux en pure perte. La pierre dorée l’englobait d’un seul tenant. Le comment de sa présence restait une parfaite et totale énigme. Quant au pourquoi, on n’en savait pas plus.
Pewortor avait son idée. Au moment de la mort de la femme qui le lui avait confié, son esprit, avide de revanche et de carnage, s’y était introduit et matérialisé sous la forme de ce monstre noir et velu. Cette étrange créature à six bras, noire, jonglant avec des formes évoquant des crânes, ressemblait trop à la disposition de son cadavre et des têtes coupées des Muets ornant son tombeau. Le Joyau tenait en son sein une déité de destruction et de mort, toute à leur service et à leur dévotion. La plupart n’étaient pas d’accord. Elle représentait un démon, analogue à l’astre noir, prisonnier du soleil à jamais. Il avait arrêté les discussions. Soumis volontaire ou captif, déesse ou démon, il était en leur pouvoir. Cela seul importait. On attendrait les jours suivants, ou jamais, pour exposer son hypothèse. Ils avaient préféré s’intéresser à son aspect. La substance de la gemme les étonnait par sa beauté. La présence de la créature y ajoutait le mystère. Nul n’aurait l’outrecuidance de le vouloir percer. Cette prise était digne du palais du roi des rois ou plutôt, au vu de son caractère sacré indubitable, de l’érection d’un temple à Kerdarya. Elle apporterait à leur hôte un renom dans tout le pays.
Il revint à eux. Qu’ils arrêtent avec leurs questions ! Leurs prêtres et rois l’avaient fait avant. Le Joyau venait des dieux. La bête n’avait pu y pénétrer ou y être enfermée que par leur soin. Cette réponse semblait les satisfaire tous. Soudain, un grand rire éclata.
15:57 Publié dans Autres, Europe, livre et littérature, Loisirs et Culture, roman | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ancêtre, aventure, écrivain, épique, épopée, europe, européen, feuilleton, fresque historique, histoire
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