23/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 237

Comment agir avec ses anciens pairs ? Il aurait fort à faire pour les hisser aussi haut qu'il le souhaitait. En avaient-ils la volonté ? Les forgerons d’ici étaient des privilégiés, une exception. Il en avait interrogé nombre d'autres. Dans certains clans, en particulier ceux du levant, sa revendication n’eût pas même été examinée. Au mieux, on l’aurait regardée avec mépris ou commisération, comme celle d’un enfant réclamant la Brillante ou d’un vieillard ivre défiant les héros. On l’aurait repoussée d’un haussement d’épaules ou d’un rire à fendre les pierres. Au pire, un guerrier levé du mauvais pied aurait tenté de lui passer sa lame à travers le corps pour le châtier de son insolence. Peut-être, même, l’aurait-on accusé de sacrilège et pendu. Son âme infecte ne s’évaderait pas par sa bouche et n’irait pas polluer l’au-delà, pas plus que sa part destinée à pénétrer l’âme d’un mortel ne trouverait cible à souiller de ses infamies pour propager le mal de par le monde.
Cause ou conséquence de cette attitude, ils en étaient restés, comme aux premiers temps, au cuivre pur. Seuls les plus hardis osaient un mauvais bronze. Tous étaient bafoués, sans réclamer ni espérer un sort meilleur. Peut-être fallait-il avoir déjà un peu changé pour vouloir changer le destin des siens et des autres.
Ici, ils avaient osé. Ils avaient ouvré des armes belles et puissantes. Cela changeait tout. On les honorait, quoique avec réticence. En choisissant d’entériner le nouveau statut de Pewortor, fruit de son action d'éclat, on avait fêté leur plus haute famille sans rien accorder à leur groupe. On leur avait donné, en le favorisant, l’impression de les tenir en estime. Cet honneur n’était qu’un chemin de traverse. Il avait bénéficié de cette élévation pour un haut fait qui avait révélé son appartenance probable à la caste combattante et en acceptant le passage d’une moindre âme guerrière dans le corps de son fils. L’honneur était à peine pour lui, pas du tout pour eux.
Par cette subtile distinction, les neres avaient sauvé la face. La concomitance entre la fin du guerrier mort de ses blessures et l’arrivée d’un enfant parvenu à ce titre non par naissance, mais par faveur, pour en recevoir l’âme quand nul bien né n’en aurait voulu, le prouvait. L’accession du forgeron et de son fils à la deuxième caste résultait de la volonté des dieux. Il était vain de s’y opposer, même s’il n’était pas interdit de s’en offusquer et de montrer au nouveau ner qu’il devait rester humble et ne pas se croire leur égal. Dans de telles circonstances, cette promotion, partout ailleurs monstruosité, était reléguée à l’état de simple petit scandale comme il y en a deux ou trois par an dans tout village.
Restaient les forgerons. Ils pouvaient eux aussi se satisfaire de l’ascension d’un des leurs. Toutes leurs criailleries et leurs récriminations, fruits de la jalousie, ne les empêchaient pas de la considérer comme une victoire. Après avoir bien polémiqué avec lui, plus encore avec Egnibhertor, ils s’en réjouissaient. Oublieux de leur envieux mépris envers sa promotion au rabais, ils s’accrochaient à l’espoir du même destin. Ils reprenaient à leur compte ses prétentions à une haute origine. L’accueil de Peworis parmi les guerriers prouvait l’exactitude des récits de son père sur leurs ancêtres et sur la noblesse de leur souche.

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