27/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 241

Après la cérémonie, une grande fête eut lieu. Autour des tombes où on avait enterré les cuirasses des héros, un banquet avait commencé. En festoyant sur cette terre sacrée où reposaient plusieurs générations de guerriers, on y associait le clan tout entier, morts et vivants. Et autant pour impressionner ses voisins que pour permettre à ses ancêtres de se réjouir de sa bravoure et de constater que leur fils était digne de leur sang, le moindre de l’expédition y allait, à pleine voix, de son récit. À la différence de l’après-midi, ils pouvaient les clamer. Ils ne s’en privaient guère. À chaque instant, l'un d'eux, pris d’une soudaine et irrépressible impulsion, levait la corne ou le cruchon d’hydromel ou de cervoise, liqueur ambrée et mousseuse des paysans.
À force de rasades et de lampées, ces liqueurs leur tournaient la tête. À partir d’un nombre variable, mais toujours élevé, de gorgées, ils ne contenaient plus leur envie de faire étalage de leurs exploits et d’en conter tous les détails. C’était à qui aurait accompli les prouesses les plus hautes, massacré le plus d’ennemis. L'un prétendait en avoir tué dix, il s’en trouvait tout de suite un autre, à côté ou autour d’un feu proche, pour surenchérir. À force de les entendre se renvoyer la balle en récits épiques, on aurait pu croire, à la fin de la soirée et du festin, qu’ils avaient à eux seuls débarrassé la Terre de tous ses Muets, devenus, par la magie du verbe, plus nombreux que les étoiles. Si les captifs, en cette occasion, avaient été admis à les servir et avaient pu les comprendre, ils ne se seraient pas reconnus, fils d’un ensemble disparate de clans ou de petites bandes au faible effectif, vivant d’élevage bon an, de rapines plus ou moins fructueuses mal an, dans cette multitude de loups furieux gorge déployée pour tout engloutir. Ils s’en seraient peut-être réjouis. Un peuple n’est pas vaincu quand ses ennemis en gardent un tel souvenir.
De corne en cruche, d’exploits mémorables en prouesses inimitables, la nuit était tombée, profonde. L’heure était venue de se séparer et de prendre congé jusqu’au matin. En dépit des rixes où ils s’étaient affrontés, des défis qu’ils s’étaient lancés, de l’ivresse qui serrait leur tête dans son étau, ils s’unirent dans l’invocation à Dyeus Pater, ciel diurne père, afin qu’il renaisse et revienne chasser les ténèbres qui obscurcissaient la terre :
– Dyeou, pater nosom...
Ciel du jour, notre père au nom béni
Reviens-nous demain comme tu étais là hier
Féconde les récoltes
Donne-nous la nourriture du jour à venir
Que ton nom soit sanctifié ! Ô toi qui favorises tes fidèles et leurs sacrifices.

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