02/12/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 246

Le butin, bien propre à les exciter, avait déjà été réparti. Des prêtres, qui avaient reçu la quantité forfaitaire habituelle, définie l’année où Kleworegs était devenu roi (Ils auraient dû interroger les dieux. Au lieu d’un nombre fixe de bovins et de pièces de tissu, ils en eussent demandé une part comme ces trop rusés forgerons !), au plus jeune guerrier, chacun avait son dû. Ceux qui, comme les jeunes gardes aux bons réflexes ou les guerriers les plus vaillants, étaient sortis du lot, avaient reçu des parts plus belles. C’était la loi, c’était juste, et nul ne le critiquait. Malgré ce partage, il restait encore réuni en un seul lieu, bien gardé. L’on s’était contenté de marquer ce qui revenait à chacun.
Personne ne se plaignait de n'en pas encore jouir. L’échanger, le garder, la décision était sienne. Cette exposition, au moment du troc ou de l’échange éventuel, permettait, par l’accumulation en un seul lieu de biens pris de vive force à l’ennemi, établissant et soutenant le renom de qui s’en était emparé, d’obtenir les meilleures conditions. Au vu de la splendeur de ce qu’apercevaient ou devinaient les visiteurs, et de leurs réactions, ce but serait atteint. Déjà, quelques rois, et non des moindres, à l’influence reconnue loin, se promettaient de parler de cette année comme de celle du raid de Kleworegs. Jamais aussi petite troupe n'avait amassé autant au combat. Ce butin n’aurait pas fait honte à une armée de cinq à six cents hommes. Même un rassemblement d’une main de clans s’en serait contenté. Que ferait un tel chef menant autant de guerriers ? Certains se le demandaient.
Il tendait l’oreille, à droite et à gauche. À entendre toutes ces louanges, toutes ces suppositions, le bien qu’on disait de lui et de ses exploits, il se gonflait d’orgueil. Bientôt, de fil en aiguille, tout le regyom adopterait pour sienne cette dénomination. Quelle gloire pour lui, son genos, son wiks ! La fortune des grandes familles, pépinière des rois des rois, avait toujours débuté ainsi, à la suite d’un raid célébré où d’un acte dont le bruit s’était répandu partout. Au pire, il laisserait à son fils un nom glorieux et un avenir brillant. Il pouvait faire mieux. Espérer pour lui, non pour sa lignée... Il n’est de limite à l’ascension d’un guerrier courageux et de grand renom.
Il s'en réjouissait. Ils n’avaient pourtant encore vu qu’une partie du butin. Ils n’en connaissaient le reste, à commencer par le fameux Joyau, que par ouï-dire. Nerswekwos n’en avait rien vu, ou si peu, et n’en avait rien su décrire, si ce n’est l’indicible splendeur. Tous ses visiteurs, du plus noble au plus humble, restaient frustrés et insatisfaits. Leur admiration et leur joie stupéfaite devant ce qu’il leur avait laissé admirer n’arrivaient pas à le cacher. Il leur manquait, pour que leur bonheur soit entier, deux choses : un récit complet du raid de la bouche même de son chef, et la vision de la gemme dont tous les admirateurs extasiés vantaient la beauté et l'unicité. Il les avait bien fait mijoter. Il était temps, en cette avant-veille du jour de Thonros, ouverture officielle du troc, de leur apprendre le déroulement de sa dernière saison, avec, en bouquet final, la prise du joyau.
Il partit à la recherche de son crieur, le même depuis l’année de son avènement. S’il avait bien vieilli, sa voix était restée aussi claire et sonore. Il lui donna ses instructions. Il s’en fut, proclamant par tout le wiks et le camp que son roi les conviait tous à venir banqueter le lendemain au plus haut du soleil. Après, il conterait, pour leur plaisir, les tribulations et les prouesses qui lui avaient valu, signe d’alliance et d’affection des dieux, ce joyau qu’ils pourraient tous contempler dès l'aube du jour de Thonros. Des acclamations saluèrent ses paroles.

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