07/01/2012

Aube, la saga de l'Europe, 276

Il s’y attendait. Il était prêt. Il pouvait partir. Tout était calme. Les greniers étaient pleins, le bétail gras. Il n’y avait que les nouveau-nés à tenir à l’œil. Ils étaient en parfaite santé, poussaient que c’en était un plaisir. Swensunus épuisait le lait de sa mère ; Premenos, celui de sa nourrice. Elle avait donné le jour à un enfant mort-né et débordait de lait quand l’épouse du bhlaghmen, malgré son énorme poitrine, n’arrivait pas à allaiter. Le fils de Pewortor, lui, désespérait sa mère, enfin remise. Il avait toujours faim. Cela ne gênait pas sa croissance. Il grandissait à vue d’œil, comme bourgeon au sortir de la mauvaise saison. Rien ne les retenait. Ils n’auraient, en revanche, que des avantages à partir. La remise des plus belles pièces du butin au grand trésor était un devoir. Elle était surtout la certitude de dons splendides. Pour chaque objet exceptionnel de beauté ou de rareté, sans rien de magique ou de sacré, ils recevraient un superbe étalon, orgueil des écuries royales. Pourquoi pas, et ce n’était pas vain optimisme, un petit troupeau ou la donation d’une terre, voire d’un fief étendu, source, pour eux et leur lignée, de renom et de prestige. Le k’rawal était sacré, peut-être plus. Ils avaient tout à espérer.
Il se mettrait en route sans tarder. Ses hommes ne perdraient eux non plus pas un instant.

Un guerrier entra. Il lui parla très vite. Il répondit de même. Le messager les regarda tour à tour, l’air interrogateur. Il s’en étonna.
La raison de ses sourcils froncés et de son expression d’intense réflexion ? Il les avait écoutés, et n’avait rien compris. Il avait dû être indiscret. Sans doute usaient-ils d’un langage secret quand ils se disaient de choses dont un étranger n’avait pas à connaître ?
– Penses-tu ! Bien sûr que non ! Qu’aurions-nous à cacher ? Nous avons discuté dans le patois d’ici.
Furieux, et d’autant plus qu’il avait partagé sa faute, il se tourna vers qui l’avait interpellé :
– Es-tu fou ? Crois-tu honorer un hôte en parlant devant lui comme le dernier troisième caste ! ?
Pour prouver sa bonne foi, il répéta ses paroles comme le messager aurait dû l’entendre. Il saisit, jusqu’au dernier mot, la mystérieuse conversation. Comment avait-elle pu lui échapper du premier coup ? C’était si évident. Il n’était pas permis d’être aussi bête. Il employa la langue des hymnes et des épopées, que chaque guerrier sait, pour lui dire les raisons de son étonnement et de sa gêne.
– Oui, ça va. Vous parliez trop vite, tous les deux. Pourquoi dites-vous donc essu akwas au lieu de esus ekwos ? Remarque, c’est pire, au levant. J’y étais la dernière saison chaude. Là-bas, ils disent swu aswas. Au couchant, je les comprends mieux. C’est so ekoos. Dieux merci, nous, bien nés, utilisons la langue noble ; mais nos paysans du midi ne peuvent pas parler avec ceux du couchant, et c’est réciproque. Tu as eu raison de reprendre ton homme. Nous ne devons pas parler comme eux... Sinon, un jour, nous ne nous comprendrons plus. Tout frères que nous nous sentirons, nous ne saurons nous le dire. Nous finirons par nous combattre. Vous avez vu. J’ai dû vous faire répéter... Que deviendra notre unité si ça continue... Enfin, tant que le medhu restera le medhu, nous aurons toujours un point d’accord.
Kleworegs voulut effacer son incongruité. Il reprit la balle au bond.

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