10/01/2012

Aube, la saga de l'Europe, 279

– Espérons qu’ils te répondent... Et presse-toi. Tu attendras moins pour le savoir... Surtout, tu verras Kerdarya. Même s’ils restaient cois, rien que cela en vaut la peine. Tu t’y croirais tous les jours à la fête des sacrifices ou à la foire. Le parfum des animaux immolés sur les autels plane partout. Dans cent camps au pied de la colline sacrée on prie et honore les dieux. Il y a, devant chaque temple, des hommes de tous nos clans : bhlaghmenes à la chevelure de miel ; guerriers du couchant, aussi clairs de teint que les prêtres ; colosses du midi-couchant ; héros du levant, avec leur long nez et leur barbe qu’ils frisent à l’imitation de Shumeru. Sauf pour discuter de tribu à tribu, ils parlent dans leur patois. Tu entendrais la cacophonie ! Parfois, en fermant les yeux, on se croirait à cent lunes !
– Hein, des bhlaghmenes, des guerriers, même à Kerdarya, même devant les autels !
– C’est normal. Nous avons soumis tant de peuples, à qui nous avons appris à parler comme des humains. Ils ont, avec leurs gorges imparfaites, plus propres à grogner ou à siffler qu’à parler, un peu modifié notre langue. Chaque fois qu’ils avaient un mot plus court ou, à leur idée, plus beau, ils l’ont gardé, et nous l’avons adopté à notre tour, pour notre usage quotidien ou quand nous voulons qu’ils nous comprennent. C’est plus facile de dire cruche que poterie porteuse.
– Ah, tu dis cruche ?
– Oui. D’autres disent pot, d’autres “ porteuse ” tout court, ambhori, ou le déforment en “ anfori ”. Je n’y suis pas habitué, mais c’est quand même “ pot ” le mieux !
– Tout à l’heure, j’avais pris à la légère tes remarques. J’avais cru que seuls les producteurs ou les casaniers parlaient un langage incompréhensible pour leurs voisins. Ce n’était guère inquiétant. J’avais même ri de tes craintes... Et tu me dis que partout, même les guerriers, sauf à utiliser la langue des hymnes, ne se comprennent pas... Mais bientôt, nous ne nous reconnaîtrons plus comme un seul peuple ! Sans le conseil des tribus et la bonne religion, ce serait même déjà fait, j’en ai peur. Vois les exemples que tu m’as donnés !
– C’est pourquoi ta trouvaille tombe à pic. Elle sera la glaise de notre unité. Elle est même si bien venue que tu peux espérer la plus haute destinée, toi qui as arraché aux êtres des ténèbres ce joyau protecteur et sacré.
– Sacré, ça, tu l’as dit ! J’en ai eu la preuve. Regarde !

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