23/01/2012
Aube, la saga de l'Europe, 286
TRAQUES
L’escorte s’éloigna à pas lents du petit fort où flottait la bannière en peaux de cheval emplumées cousues ensemble. Kleworegs, les yeux battus, somnolait. Son village s’enflait en une de ces cités immenses vantées par le messager. Pour avoir donné à Aryana tant de héros, il rivaliserait bientôt avec elles. Il avançait, paupières mi-closes. Les paysans labouraient en vue des semailles proches. Des sillons griffés par l’araire montait un péan. De chaque grain tombé dans ce sol fertile naissait un guerrier tout armé, prêt à le suivre et à combattre à son côté.
Qu’il rêve ! Les chevaux connaissaient le chemin. Ils allaient, d’un pas régulier et tranquille, en terrain familier. Nul ne leur demandait le moindre effort. Il en serait ainsi tout au long. Ils iraient à l’allure placide des bœufs traînant le chariot de bijoux et d’armes. Il s’en serait passé. Il bouillait de se retrouver devant le conseil des prêtres et le roi. Le messager et Pewortor avaient insisté, appuyés par l’escorte. Se rendre à Kerdarya, et n’en pas profiter ! Il s’était résigné. De quel droit refuser aux siens d’échanger leur part de butin contre des bêtes des plus hautes souches ?
Pewortor somnolait lui aussi. Il était trop fatigué pour rêver. Il ne voyait rien d’autre que la prochaine halte : un bien bien petit village.
Il avait fait du chemin. La douleur à sa jambe était passée, sauf dans la course. Au bout de quelques foulées, il ressentait un léger tiraillement. Ses muscles ne l’élançaient que s’il insistait. Il revint au pas. À ce train, il rencontrerait avant ciel rouge un de ceux qui savaient. C’était plus sage. Il importait d’abord qu’il soit fort et rapide quand il frapperait. Une journée de repos ne serait pas perdue, si elle permettait une meilleure attaque.
Les fumées du village lui apparurent enfin. Il dit d’où il venait, ce qu’il désirait. Le gardien le fit entrer et le conduisit à son roi. Il profitait du bon renom de ceux chez qui il n’avait fait que passer. Le roi, venu au grand troc organisé par Kleworegs, devançait toutes ses questions. Il n’eut qu’à le laisser parler. Les autres s’étaient joints à lui. Il redisait la beauté du butin, la taille des transactions, le mystère du joyau, l’abondance des troupeaux, la richesse des greniers débordants. Il écoutait, fasciné. Le ciel s’obscurcit. On apporta les torches. Il parlait toujours, semant à foison les anecdotes, donnant de nouveaux détails, en rajoutant dans son admiration. Il continua à prêter l’oreille la plus attentive. Il guettait une perle dans tout ce fatras. S’il pouvait en jaillir, spontané ou à la suite d’une question, le moyen de parvenir à ce village aux merveilles. Pour ce que le conteur en disait, il aurait aussi bien pu se trouver dans les plaines de Thonros.
La nuit s’avançait, s’éternisait. Personne n’avait encore dit où trouver Kleworegs. La réunion allait se terminer. Hésitant entre un air dubitatif et un air enthousiaste (il opta à la fin pour ce dernier), il osa, les yeux brillants. Comment se rendre dans cet opulent village ? À son âge, il devait connaître ceux qui avaient enlevé un tel butin, s’il voulait un jour les imiter.
Le récitant l’avait presque oublié. Il le regarda. Quelle présomption ! Lui, si malingre, un jour leur égal ? Il se ravisa... Cette longue, vilaine cicatrice sur sa cuisse. Un homme qui a marché longtemps malgré une telle blessure n’élève pas ce vœu en vain.
– Ce n’est pas très facile à expliquer. Je te montrerai ça demain matin, quand nous serons tous bien reposés. Veux-tu ?
– Volontiers, je suis mort de fatigue.
– Va dormir à la maison des hôtes ! Je te réveillerai en milieu de matinée.
Village minuscule, hospitalité somptueuse. Kleworegs s’y réveilla heureux, repu. Il ne pouvait rendre sur-le-champ tous ces bienfaits, mais les recevrait à son retour. Ils prirent congé au milieu de la matinée après avoir partagé l’hydromel nouveau, frais et sapide. Le bhlaghmen en abusa. Il se retrouva dans le même état que Kleworegs et Pewortor la veille, avec un mal de tête tenace comme tique. Dieux merci, la prochaine halte serait en rase campagne. S’il pouvait, en attendant, se bassiner les tempes avec un linge humide ! Il se passa la main sur le front. Ça ne soulageait pas, mais valait mieux qu’attendre, passif, la fuite de la douleur.
09:00 Publié dans Europe, livre et littérature, Loisirs et Culture, roman | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, saga, roman historique, épique, épopée, préhistoire, europe, européen, livre, roman en ligne
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