12/05/2009

AUBE, la saga de l'Europe 187

... Non, il n’y aurait pas de défaite ! Ni dans notre abstention, ni dans notre anéantissement. J’avertis les miens de se tenir prêts à se battre à l’arc et au javelot. Ce sont armes de gens sans grand courage, mais les lois de la guerre autorisent à s’en servir en cas de trop grand déséquilibre. Notre honneur ne souffrirait pas... Thonros merci, nous n’en eûmes pas besoin. Le grand dieu des combats, en nous laissant entrevoir la horde comme une multitude, n’avait voulu que nous éprouver. Devant notre dégoût à manier ces armes de couard, il nous fit rencontrer une bande qui, malgré sa richesse en combattants, n’était pas au-dessus des moyens d’une troupe de presque trente mains d’hommes (les autres gardaient les captifs) sachant se battre, comme la nôtre...
... Trois ou quatre jours après, nous rencontrâmes ses premières traces. Nous les examinâmes. Elle était moins nombreuse que nous ne l’avions craint. Cela ne l’empêchait pas de posséder – d’avoir volé – de quoi remplir, jusqu’à faire s’enfoncer leurs roues profond dans le sol, quatre gros chariots, lourds et pansus. Si son butin était aussi riche qu’il semblait, les dépouilles gagnées dans cet assaut vaudraient, maintes fois, les risques. Nous essaierions de les réduire encore. Nous devions, pour cela, en savoir plus sur notre proie...
... Par ses traces, nous pouvions déterminer sa vitesse et la distance qui nous en séparait. Bouse et crottin, par leur état de fraîcheur, permettent de deviner depuis combien de temps l’animal est passé. Si la horde faisait halte chaque soir, on devrait en trouver des concentrations. Il calculerait la distance entre chacune. Il se faisait fort de savoir ainsi le chemin parcouru par la horde en une journée, et de deviner le temps qui nous restait pour la rejoindre. Eussent-ils fait des bivouacs, c'eût été plus facile. Dans nos terres, nous allumons des feux pour nous protéger du froid de la nuit. Les Muets, eux, ne le font presque jamais, comme s’ils craignaient un ennemi attiré par leurs foyers. Il leur faut, pour s’y risquer, une sécurité absolue. Est-il meilleure preuve qu'ils usurpent ces plaines ? Qui aurait peur sur sa propre terre ! Nous serions, quand nous verrions leurs feux, sûrs de les surprendre...

10/05/2009

AUBE, la saga de l'Europe 186

Je regrettai mon réflexe. Sa mort avait rendu espoir à nos captifs. Sa cervelle, d’un gris sale mêlé de rouge, avait éclaboussé ma plus belle fourrure. Nos captifs crurent qu’il m’avait blessé. Qu’il n’en soit rien n’avait rien changé. Ils avaient repris courage. Après son exécution, et jusqu’à ce que nous détruisions la horde, il passa pour un prophète, celui de notre destruction. Il avait prédit sa fin, et qu’elle préfigurerait la nôtre. Ils nous voyaient bientôt comme lui et, quand nous les pressions, ricanaient... Bientôt, la grande horde nous écraserait ! Ceux qui en ignoraient tout n’en étaient pas les moins certains. Nous dûmes, ce qui ne nous était jamais arrivé avant, trancher la gorge de quelques meneurs. Je n’en fus pas fier. Tuer un captif, en plus d’être lâche, est stupide. Cela diminue un butin pour quoi on a peiné et risqué gros... À quelque chose ce malheur fut bon. La colère d’avoir dû les sacrifier nous donna la volonté de nous emparer de la horde, malgré sa puissance. Elle effaça la peur que nous aurions pu ressentir. Nous nous mîmes en route. La victoire serait au bout...
... L’atmosphère nous pesait. Nous continuâmes vers le midi. Nous bifurquâmes, suivant ses indications, vers une très haute montagne au couchant. En entendant quelques ricanements – discrets, l’exécution des meneurs était passée par-là –, je le revis. Quoique rachitique, c’était un gaillard. Aucun homme, depuis que je maniais une arme, ne nous avait fait autant de mal. À quoi ce courage lui avait-il servi ? Il était mort, et nous vaincrions sa malédiction... Enfin, je l’espérais. Il me restait un petit pincement au cœur. Rien que pour cela, pour chasser ce doute, pour que les Muets perdent à jamais l’envie de se moquer, victoire posthume du captif que Thonros ne nous pardonnerait point, nous devions écraser la horde. En attendant, il avait réussi ! Nous courions, comme s’il nous l’avait ordonné, sus à la cible qu’il nous avait désignée et, si elle n’était que moitié aussi redoutable qu’il l’avait prétendu, à notre perte. Là encore, il aurait vaincu. Mais Thonros ne saurait, de cette défaite, nous tenir rigueur...

09/05/2009

AUBE, la saga de l'Europe 185

... Cette menace ne me fit ni chaud ni froid. On m’en avait déjà lancé, de ce genre, plus qu’il n’est de brillantes au firmament. Elle ne m’en déplut pas moins. Je bridai le réflexe, bien légitime, qui me démangeait, de brandir ma masse et de lui briser la tête. Je voulais avant – Ah, j’en vois qui ont l’air déçu. Ne vous inquiétez pas ! Il a payé son insolence déplacée – en connaître plus sur ce qu’il avait appelé la grande horde, quoi que ce puisse être : fable destinée à nous effrayer et à rendre cœur aux siens – fourberie usuelle –, secret, ou fait connu d’eux tous mais qu’il avait eu, lui, l’imprudence ou le front de nous révéler. Leurs réactions le laissaient croire, sans nous l’assurer. Il se pouvait qu'ils n’aient ri et trépigné de joie qu’à cause de sa bravade, sans rien savoir de cette réelle, ou prétendue, horde...
... Son interrogatoire fut aisé. Egnibhertor n’arrivait pas à le suivre. Questions, menaces, étaient inutiles. Par la massue de Thonros, c’est lui, au contraire, qui nous menaçait. La horde, la grande horde, existait. Il était trop heureux de nous en parler, que nous tremblions et fuyions. Nous en rîmes. Des paroles ! Il s’emporta. Il nous jura bien que non. La meilleure preuve en était que son frère (C’était, je l’appris par ses voisins, un mauvais sujet, ripailleur, chapardeur et violeur, jadis exilé par les siens.) en faisait partie. Je me demandais encore s'il n’affabulait pas. Que valaient ces témoignages ? Deux des nôtres me firent signe. Ils avaient fouillé en se bouchant le nez sous un monceau de peaux mal tannées, plus proches de la charogne que de la fourrure. Ils y avaient découvert un glaive, de mauvais cuivre certes, mais à la poignée guillochée d’or. Nos forgerons y reconnurent un travail étranger. Cette trouvaille appuyait les assertions sorties d’entre ses noirs chicots...
... Je le poussai dans ses retranchements. Vaine fatigue. Nous voulions savoir où opérait sa grande horde. C’est du meilleur cœur qu’il nous l’indiqua. C’était, je l’avais déjà compris à son recrutement et à son butin, un de ces ramassis de brigands qui, nombreux et prêts à tout, vivent du sac des riches caravanes. Il nous invita à lui livrer assaut, pour nous faire détruire et réduire en bouillie sanglante... Ce que mon marteau fit de sa tête aussitôt que j’eus compris qu’il n’avait plus rien à nous dire. Comme il l’avait proclamé bien fort, et ils l’avaient tous entendu, il ne vivrait pas assez longtemps pour le voir, mais périrait heureux... Nos sorts étaient liés.

08/05/2009

AUBE, la saga de l'Europe 184

... Bien pourvus de sauvagine, bièvres, goulpils, nous poursuivîmes notre route. Très vite nous nous retrouvâmes en pleine terre des Muets, dans ces steppes vallonnées où pas un arbre n'arrête le regard. Là, nous n’allions plus nous frotter à de misérables traqueurs d’inoffensives bêtes à fourrure. Nous ferions face à des clans entiers d’ennemis endurcis et cruels qui, s’ils pensaient à s’unir, nous écraseraient comme mouche entre deux pierres... Dieux merci, ils se haïssent encore plus qu’ils ne nous craignent. Je n’ai jamais entendu parler – si, une seule fois, il n’y a même guère – d’une action concertée de leur part...
... Nous lançâmes une suite de raids destructeurs. Chaque fois nous leur ôtions cent guerriers ou plus. Nous prîmes, avant de passer plus au midi où sévissent les pillards, un imposant cheptel de nombreux bovins et captifs mais, hélas, bien peu de chevaux. Le petit bétail, je vous en ferai grâce. Il ne nous servait qu’à la bombance. Nous n’en avons pas tenu compte dans le butin.
Nous en étions à notre dixième assaut. À l’issue de notre victoire et du rassemblement des vaincus, l’un d’eux, alors que je m’en approchais, me hurla au nez, dans son parler barbare. Je ne le compris pas. Je crus néanmoins distinguer le mot “ grand ”. Je l’avais appris à force d’entendre mes serviteurs.
À l'ouïr gueuler ainsi, me soufflant dans les narines une haleine de dents pourries et de viande mal digérée, ils ricanèrent. Ils auraient dû être glacés par l’accablement qui saisit tout captif sitôt après la défaite qui l'a privé de liberté. Pour qu'ils réagissent ainsi, les mots assenés par ce barbare superbe malgré son malheur portaient un message, d’une rare force, d’espoir de délivrance et de vengeance. Je les lui fis répéter. Il les clama encore plus haut, m’empuantissant derechef, sous leurs ricanements toujours plus hostiles. Egnibhertor avait appris le langage des Muets qui, entravés, charrient les pierres mères du métal. Il s’approcha et me rapporta, sans doute adoucies, ses paroles de défi : “ Chétifs chiens châtrés, pilleurs de villages sans défense, la grande horde vous crèvera tous ! ”...

07/05/2009

AUBE, la saga de l'Europe 183

... Nous partîmes sans délai. Nous avions des provisions jusqu’aux terres des Muets. Nous ne perdrions pas un temps précieux à chasser pour nous nourrir. Beaucoup le négligent. Ils courent, courent sus au gibier ... Autant de temps perdu. Il nous tardait d’arriver là où erraient leurs bandes, poussant devant eux de riches troupeaux à demi sauvages, mais toujours bons à prendre. Ce n’était que cible mineure. En descendant encore plus avant, nous rencontrerions des bandes de pillards qui assaillent les caravanes. Grottes au trésor ambulantes, elles vont et viennent entre des cités de mystères et de richesses, comme Shumeru ou la terre des hommes sombres, ou d’autres sans doute, mais nous ne connaissons que les deux premières. Elles sont la proie favorite de ces hordes qui s’emparent de leurs biens, si étranges et si beaux qu’on pourrait les croire trésors abandonnés par les dieux quand, après avoir établi l’ordre du monde, ils ont cessé de le fouler. Quand les Muets reviendraient vers leurs camps d’hiver, chargés de cet injuste butin, nous fondrions sur eux et les leur reprendrions de vive force. Tâche douce et bénie ! Il ne convient pas que ce que les dieux nous ont laissé tombe en des mains viles et impies. Quant aux objets profanes ou de moindre valeur, ils seraient notre lot pour avoir préservé leur héritage d’une grave souillure. Nous l’accepterions avec gratitude...
... Au début de notre périple, nous nous contentâmes de prendre des peaux aux trappeurs que nous rencontrions. Les fourrures sont un bien indispensable. Chaque guerrier doit en posséder en prévision du froid qui glace les corps et raccourcit les jours. Je vous ai dit prendre, c’était troquer, même si nous le faisions dans des conditions bien inégales. Je préférais, à les pourchasser pour les spolier du fruit de leurs efforts, leur échanger quelques babioles contre leur sauvagine. Je gagnais des jours sur mon chemin vers les terres du soleil haut, et nous y retrouvions tous. Mes serviteurs-chasseurs étaient assurés de leur sécurité et d’avoir de quoi se nourrir longtemps ; les miens, parés pour l’hiver. À ce stade, je leur proposais, s’ils en avaient envie, de rentrer. C’était inutile. Ils désiraient tous continuer. Seuls nos anciens, qui nous avaient fait escorte jusque là, repartaient avec nos peaux. Pour les autres, je leur dois de dire qu’il n’y a jamais eu de désertion dans leurs rangs. Cette année aussi, notre tradition de vaillance fut respectée. Ce n’était pas une surprise. Les miens sont des vaisseaux de courage...