01/02/2012

Aube, la saga de l'Europe, 291

Quelle migraine ! Les mouches à miel vrombissaient sous son crâne ; il n’arrivait pas à décoller ses paupières. Il cracha sur le bout de ses doigts et se les passa sur les yeux. Il put enfin les ouvrir. Medhwedmartor, seul solide, soulevait et lançait au loin de lourdes pierres. Tout le reste de l’escorte sortait du lourd sommeil de l’ivresse. Pourvu que les gardes du k’rawal n’aient pas suivi son mauvais exemple ! Le Joyau, entouré du respect inhérent à tout objet sacré, ne risquait rien. Mieux valait cependant que ses protecteurs restassent lucides à tout instant.
Il s’étira, se leva, gourmanda ses troupes. Des yeux s’écarquillèrent, des bouches s’ouvrirent en longs bâillements, on grogna, on grommela, mais tous furent bien vite debout.
Il avait soif. Il se fit apporter une grande outre d’eau, glacée comme la rosée du matin. Il se sentit tout de suite mieux. Le vrombissement dans sa tête décrût, disparut. Il fit jouer ses muscles. Il les sentit s’assouplir. Cette nuit d’ivresse ne laisserait pas de séquelles. Elle avait même eu du bon. Il n’avait pas eu les cauchemars qu’il redoutait après la mort du patrouilleur.
Il se dirigea vers le chariot du butin. Pewortor y avait veillé, malgré les monceaux de viande et les cruchons d’hydromel engloutis. Il fut un peu jaloux. Son nouveau ner avait tenu mieux que lui tous ces excès. Ah mais ! Il n’avait pas passé la nuit à soutenir un agonisant, lui. Plutôt une fausse excuse que reconnaître la supériorité, en force et en résistance, d’un ancien troisième caste ! Envier un forgeron n’était pas digne de son rang. Il oublia vite son souci. Il était temps de partir.
Après de longs préparatifs, ils se mirent en route. L’escorte du Joyau, à sa grande surprise, se vit entourée de sa propre escorte. Tout le village honoré de sa présence lui faisait cortège. Elle s’égrena petit à petit, mais il en restait encore quand ils parvinrent au village suivant. Cette popularité l’inquiéta. Quelle folie d’avoir jalousé Pewortor ! Si les dieux s’irritaient de toutes ces acclamations ?


***

Les convoyeurs ne se réveillèrent qu’au milieu de la matinée. Les vapeurs de l’ivresse embrumaient encore leur esprit. Entre ceux qui voyaient double et ceux qui n’en croyaient pas leurs yeux, il leur fallut un bon moment pour se mettre d’accord : il leur manquait un cheval ! ... Ce n’est qu’au début de l’après-midi qu’ils virent un rapport entre l’absence du jeune homme et la perte d’une de leurs bêtes. Le sale petit voleur avait bien choisi. La plus belle, dont ils espéraient tirer le meilleur prix. Il ne leur restait qu’à pleurer la monture enfuie, et tenter de vendre mieux les restantes pour compenser sa perte.
Le plus jeune ne l’entendit pas de cette oreille. Ce cheval était son préféré. Il avait capturé sa mère au lasso, l’avait mis au monde, s’en était occupé poulain. Même s’ils partageaient tout en parts égales, il n’entendait pas perdre la bête qu’il avait élevée. Il poursuivrait le voleur. Ils soupirèrent. Il pouvait être n’importe où. Retrouver une aiguille dans un pré serait plus facile.
– Faites ce que vous voulez ! Moi, je laisse pas tomber !
Leurs hôtes étaient emportés contre le ravisseur. Ils ne se feraient pas faute de lui indiquer tout ce qu’ils avaient pu deviner de ses intentions et de sa destination. Il alla voir le chef et attisa sa rage. L’homme lui cracha tout ce qu’il savait du misérable. Son discours indigné manquait de cohérence. Il mettait tous les faits, anodins comme importants, sur le même plan. Il écoutait tout ce fatras, essayant d’y trier ce qui pourrait servir à sa quête. Cet intérêt qui sonnait faux pour Kleworegs ! Ces mines hostiles et ces rictus quand on évoquait ses exploits ! Son voleur poursuivait Kleworegs... pas pour l’honorer, pour lui nuire. Il s'en serait, sinon, enquis sans détours.
Qui était ce Kleworegs ? Où le trouverait-il ? Par chance, il avait parlé des deux grands villages où il ferait halte. Le voyou, même à grand train, ne le rattraperait qu’un jour ou deux avant Kerdarya. Déjà plus d’une demi-journée de retard ! Quel dommage que le cheval volé soit si rapide et docile ! Enfin, il avait un petit avantage ! Il connaissait le chemin le plus direct jusqu’au grand marché à bestiaux quand l’autre perdrait son temps à chercher sa route. Ce ne serait hélas pas suffisant.
Ils discutèrent encore longtemps. Deux avaient passé le coursier aux profits et pertes. Ils s’élevaient contre son projet. Les deux autres appuyaient leur compagnon déterminé à le reprendre et à châtier son ravisseur. Il se fâcha. Chaque instant perdu, c’était un peu plus de champ donné au malfaisant... Et à défaut de vengeance, qu’ils songent au profit ! Kleworegs pourrait acheter leur troupeau. Ils se mirent d’accord. Qu’il parte à la recherche de sa bête ! Ils remontaient sur Kerdarya. Quant à lui, s’il pouvait oublier le vol et avertir le roi du danger... Sa reconnaissance valait le plus beau cheval. La suggestion était bonne, mais il ne s’y résoudrait qu’une fois récupéré son favori... Et il avait passé l’âge de recevoir des ordres, même déguisés.

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