23/02/2012

Aube, la saga de l'Europe, 305

Ils arrivèrent à la première levée. Un prêtre les accueillit. Il les pria de s'arrêter. Il prit une mine interrogative. Patience ! Les hiérarques venaient de se faire confirmer leur arrivée. Ils en répandaient partout le bruit. Ils devaient attendre que chacun, prévenu, ait quitté sa tâche pour descendre les honorer, eux et leur précieux fardeau. Les patrouilleurs prirent congé. Ils retournaient à leurs rondes.
Il les salua d'un air distrait. Il jaugeait, du coin de l’œil, le rempart. Il était haut comme deux hommes, vertical du côté des arrivants, couronné d'une palissade de forts rondins. Sur sa chaussée, des postes de guet s’échelonnaient tous les cent pas. Sa vue décourageait l'attaque, et si des fous passaient outre, les guerriers, au sommet des talus aménagés et dans les trouées entre les anciens mamelons en partie rasés, les repousseraient sans peine... De tels remparts étaient autre chose que sa clôture.
Il s’en lassa vite. Il aurait cent fois l'occasion de les observer de près. Allaient-ils attendre encore longtemps ? Il avait soif. Pouvait-il boire à sa gourde d'hydromel devant les gardiens ? Le messager, lui, bâfrait et rendait compte de sa mission entre chaque bouchée quand ils faisaient le pied de grue comme gens de rien. Quelle amertume de voir traités ainsi le Joyau et ses protecteurs ! La réception devrait compenser l'attente !
Bien juché sur son char, il croisait et décroisait les doigts. Le pire était de n’avoir aucune idée de sa durée. Heureux messagers ! Ils entraient partout sans délai. Comment se débrouillait-il ? ... Ah, être dans la peau d’un furet ou d’une couleuvre chasse-souris, lové dans un recoin de la salle du trône, pour l'entendre !

Le messager n'avait eu qu'à montrer son enseigne pour être admis dans la citadelle. Assurés de sa mission, les gardiens de la trouée avaient sonné de la corne pour l'annoncer aux guerriers de la polis, énorme bâtisse, fortifiée et entourée d'une palissade de troncs d'arbres centenaires, contenant en son sein le palais royal, les principaux sanctuaires, les salles de conseils des prêtres et des rois.
Un second coup de corne avait répondu. Les lances qui l'avaient arrêté s'étaient décroisées. Il pouvait pénétrer dans le troisième cercle, en direction de la citadelle.
Il était tôt. Une intense activité régnait déjà au pied du tertre où était bâti le vrai Kerdarya. Indifférent à cette agitation, à cette presse, à l'animation que donnaient au camp installé au bas du tertre sacré artisans et troqueurs, il s'était présenté sans délai devant les gardiens des massives portes de la ville-ner. Peu après, le temps d'avertir les principaux prêtres et le regs regom, on l'avait invité à entrer et emmené au palais.
Il y avait suivi son guide. Il s'attendait à voir, trônant, le roi des rois. Le regs bhlaghmen, entouré des plus hauts prêtres, l'accueillit. Des bruits couraient sur leur rôle accru depuis l’affaire des voix. Il n'en sourirait plus. Ils venaient, sous ses yeux, de s'avérer.
Le regs bhlaghmen l’avait salué sans l’inviter à parler. Il le regardait avec avidité, presque désir. Il retardait l’instant d’entendre que le Signe était arrivé. Il était loin, au temps où le roi de tout le peuple était choisi dans les première caste. C'était avant la grande expansion, avant que le diadème ne soit passé sur la tête des manieurs du glaive victorieux. Il ne leur était resté que le sacré. Le Joyau – le patrouilleur arrivé une demi-lune avant l'avait confirmé – en participait. Le prêtre recevait au palais royal, avant tout le monde, ses porteurs. Si cette brève prééminence, surtout protocolaire, pouvait être le signe de quelque chose de plus fort et de permanent ! Il montrerait, pendant ces jours où la pierre et ses servants seraient le point de mire, que le pouvoir leur était revenu. Si assez s'en laissaient convaincre, pourquoi ne perpétuerait-il pas cette autorité retrouvée ? Le roi actuel n'avait guère été élu pour sa forte personnalité. Il se faisait fort, bon manœuvrier, de récupérer la quasi-totalité du pouvoir dont ils avaient été dépossédés. Pourvu que le messager confirme tout !

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