12/07/2009

AUBE, la saga de l'Europe 221

Ils se présentèrent devant la porte de la réserve du sanctuaire. Le prêtre y avait entreposé les trésors du clan, à commencer par elle. Un guerrier farouche la gardait. Son abord peu engageant dissuadait tout indésirable de s’en approcher. Après ce premier gardien commis à l’entrée, deux autres se tenaient dans la maison. Ils couvaient ces richesses d’un regard de louve veillant ses petits. Pendant la foire, pour éviter toute tentative de corruption, on les avait désignés à ces postes. Pour d’obscures raisons familiales, ils se vouaient une détestation forsenée. Ils ne se seraient jamais entendus pour les dérober ou laisser quelqu'un y toucher. Ils continuaient, ayant donné toute satisfaction, à remplir leur office. S’épiant les uns les autres, ils regardaient les visiteurs, et tout être vivant à moins de cinq pas, avec l’aménité du mâtin voyant un étranger s’approcher de son tas d’os. Le k’rawal ne pouvait être plus en sûreté.
Le messager, entré sous leurs regards hostiles (pour tout le monde, Kleworegs le premier. La mutuelle promiscuité qu’il leur avait imposée leur pesait.), l'aperçut. Il était posé sur une pièce de tissu rouge dans son écrin de bois odorant et renvoyait, magnifiée, la parcimonieuse lueur des torches qui l’éclairaient. Ses yeux s’écarquillèrent. On le lui avait peint hors du commun. Sa description ne lui rendait pas justice. Il y avait, entre l’image et la vision, toute l’épaisseur du sacré. Il en ressentait toute la force. Il agrippa le bras de Kleworegs.
– Oui, elle est bien comme celle que j’ai vue, et si différente, pourtant ! Quelle taille, quelle beauté ! Par Bhagos, elle la vaut cent fois !
Kleworegs hocha la tête, un peu déçu. Il avait espéré, malgré les allusions du visiteur, que personne avant lui n’avait trouvé un joyau comme le sien. La joie l’emporta. Si une version minuscule de sa gemme était révérée dans le temple de Dyeus Pater, qu’en serait-il de celle-ci ?
– Ah, c’est quelque chose que tu as déjà vu ? Ce n’était pas aussi beau, hein ?

27/06/2009

AUBE, la saga de l'Europe 220

Kleworegs se leva pour se rendre à son sanctuaire. Il lui emboîta le pas. Le vent porta au roi son odeur. Il empestait comme cent charognes. Cette puanteur était bon signe. Il ne s’était arrêté que pour le strict nécessaire : dormir, satisfaire ses besoins, rien de plus, pas même manger et boire. Il avait reçu l’ordre d’arriver au plus vite. Les perspectives s’annonçaient juteuses. Il serait Kleworegs ner gheslom gwowom, noble aux mille bovins, membre de l’élite des plus riches et vaillants guerriers. Il en avait fait assez pour le mériter.
Cet avenir brillant lui souriait. Il n’était pas pauvre, loin de là. Son clan était le plus riche à la ronde. Il possédait dans ses enclos un grand troupeau. Un surcroît de biens n’est jamais à négliger. L’important était ailleurs. Ce titre le ferait un jour accéder au conseil royal. En attendant, il officialisait aux yeux de tous sa noblesse et sa richesse. Le don de mille bovins des troupeaux royaux se doublait de celui d’un fief inaliénable et héréditaire où ils paîtraient à satiété. C’était une superbe seigneurie, que nul ne pourrait jamais contester à sa lignée... à un détail près. S’il n’y avait aucune terre disponible, il devrait attendre qu’une se libère. Cela pouvait prendre des années... Sauf s’il quittait le sol d’Aryana pour en reconnaître de nouvelles, et les conquérir. C’était, si ses vœux se réalisaient, son intention... son intérêt. Il aurait droit à sept fois plus que s’il s’était contenté de pâtures déjà acquises. Les tribus frontalières lui prêteraient main forte, charge à lui de tout partager à demi au-delà des biens ainsi alloués.
Il profiterait de ces avantages favorisant les audacieux. Ils expliquaient l’extension d’Aryana. Tous les nobles aux mille bovins, choisis pour leur courage et leurs succès guerriers, avaient préféré devenir maîtres de nouvelles terres. Leurs auxiliaires n’avaient pas voulu s’être battus pour rien. Ils les avaient imités, s’étaient enfoncés encore plus avant pour s’emparer de fiefs à eux. Il n’y avait pas d’autre secret à leur expansion. Il agirait comme eux. Entre les mains de ses hommes et des voisins des terres à conquérir, des surfaces immenses tomberaient. Ils s’en enrichiraient tous, ainsi que de nouveaux serviteurs...
… À moins que… Il y avait ces piégeurs à qui il troquait leurs peaux au début de ses raids. Si les occupants de sa future conquête ne se conduisaient pas en ennemis, il agirait de même avec eux. Ils seraient les plus aptes à la mettre en valeur. C’était encore trop tôt pour y réfléchir. Il fallait que la gemme soit ce qu’il espérait.

23/06/2009

AUBE, la saga de l'Europe 219

– Tu t’inquiètes en vain ! Nous avons le Joyau. Notre unité ? Les dieux eux-mêmes la garantissent. Que pourrait-il nous arriver ?
– C’est vrai. Enfin, c’est mieux de bien parler. Laissons leur patois aux troisième caste – Il suffit que le bétail leur obéisse – et parlons comme les dieux et les héros... Tiens, ça m’a donné soif. Je reprendrais bien une corne. Elle est vide.
Kleworegs tendit l’hydromel au messager, pourtant déjà lesté d’abondance.
– Une poterie porteuse si tu veux ! Le medhu ne manque pas chez nous. Sers-toi et bois tout ton saoul. Ce n’est pas ça qui nous privera... Ta chevauchée t’a creusé l’estomac, reprends un peu de viande si tu n’as pas assez mangé. Tu es chez toi !
– Ceux que j’ai croisés n’ont pas exagéré ton hospitalité. Elle est digne de ton héroïsme et de tes triomphes. Mais quelque chose me ferait encore plus plaisir.
– Laisse-moi deviner... Fatigué comme tu l’es, ce n’est pas une servante... Tu veux dormir ? Non... Tu veux regarder le joyau pris aux Muets, et voir s’il est tel que notre messager vous l’a décrit. Tu veux voir le k’rawal... Je ne me trompe pas ?
– Non... À Kerdarya, les bhlaghmenes, sur ma suggestion, nous ont montré un bijou fait, je crois, de la même substance. Ton envoyé pense l’avoir reconnu... Non, il en est sûr. Je l’ai bien regardé. Il est gros comme l’ongle du petit doigt. C’est leur seul de ce genre. Ils l’ont dédié à Dyeus Pater pour sa couleur soleil. Le tien, selon lui, ferait cent fois sa taille. Il tiendrait le mal captif en son sein. Montre-le moi. Je te dirai s’il est ce qu’ils attendent.
– Suis-moi !

21/06/2009

AUBE, la saga de l'Europe 218

Un guerrier entra. Il lui parla très vite. Il répondit de même. Le messager les regarda tour à tour, l’air interrogateur. Il s’en étonna.
La raison de ses sourcils froncés et de son expression d’intense réflexion ? Il les avait écoutés, et n’avait rien compris. Il avait dû être indiscret. Sans doute usaient-ils d’un langage secret quand ils se disaient de choses dont un étranger n’avait pas à connaître ?
– Penses-tu ! Bien sûr que non ! Qu’aurions-nous à cacher ? Nous avons discuté dans le patois d’ici.
Furieux, et d’autant plus qu’il avait partagé sa faute, il se tourna vers qui l’avait interpellé :
– Es-tu fou ? Crois-tu honorer un hôte en parlant devant lui comme le dernier troisième caste ! ?
Pour prouver sa bonne foi, il répéta ses paroles comme le messager aurait dû l’entendre. Il saisit, jusqu’au dernier mot, la mystérieuse conversation. Comment avait-elle pu lui échapper du premier coup ? C’était si évident. Il n’était pas permis d’être aussi bête. Il employa la langue des hymnes et des épopées, que chaque guerrier sait, pour lui dire les raisons de son étonnement et de sa gêne.
– Oui, ça va. Vous parliez trop vite, tous les deux. Pourquoi dites-vous donc essu akwas au lieu de esus ekwos ? Remarque, c’est pire, au levant. J’y étais la dernière saison chaude. Là-bas, ils disent swu aswas. Au couchant, je les comprends mieux. C’est so ekoos. Dieux merci, nous, bien nés, utilisons la langue noble ; mais nos paysans du midi ne peuvent pas parler avec ceux du couchant, et c’est réciproque. Tu as eu raison de reprendre ton homme. Nous ne devons pas parler comme eux... Sinon, un jour, nous ne nous comprendrons plus. Tout frères que nous nous sentirons, nous ne saurons nous le dire. Nous finirons par nous combattre. Vous avez vu. J’ai dû vous faire répéter... Que deviendra notre unité si ça continue... Enfin, tant que le medhu restera le medhu, nous aurons toujours un point d’accord.
Kleworegs voulut effacer son incongruité. Il reprit la balle au bond.

17/06/2009

AUBE, la saga de l'Europe 217

Il s’y attendait. Il était prêt. Il pouvait partir. Tout était calme. Les greniers étaient pleins, le bétail gras. Il n’y avait que les nouveau-nés à tenir à l’œil. Ils étaient en parfaite santé, poussaient que c’en était un plaisir. Swensunus épuisait le lait de sa mère ; Premenos, celui de sa nourrice. Elle avait donné le jour à un enfant mort-né et débordait de lait quand l’épouse du bhlaghmen, malgré son énorme poitrine, n’arrivait pas à allaiter. Le fils de Pewortor, lui, désespérait sa mère, enfin remise. Il avait toujours faim. Cela ne gênait pas sa croissance. Il grandissait à vue d’œil, comme bourgeon au sortir de la mauvaise saison. Rien ne les retenait. Ils n’auraient, en revanche, que des avantages à partir. La remise des plus belles pièces du butin au grand trésor était un devoir. Elle était surtout la certitude de dons splendides. Pour chaque objet exceptionnel de beauté ou de rareté, sans rien de magique ou de sacré, ils recevraient un superbe étalon, orgueil des écuries royales. Pourquoi pas, et ce n’était pas vain optimisme, un petit troupeau ou la donation d’une terre, voire d’un fief étendu, source, pour eux et leur lignée, de renom et de prestige. Le k’rawal était sacré, peut-être plus. Ils avaient tout à espérer.
Il se mettrait en route sans tarder. Ses hommes ne perdraient eux non plus pas un instant.
Un guerrier entra. Il lui parla très vite. Il répondit de même. Le messager les regarda tour à tour, l’air interrogateur. Il s’en étonna.
La raison de ses sourcils froncés et de son expression d’intense réflexion ? Il les avait écoutés, et n’avait rien compris. Il avait dû être indiscret. Sans doute usaient-ils d’un langage secret quand ils se disaient de choses dont un étranger n’avait pas à connaître ?
– Penses-tu ! Bien sûr que non ! Qu’aurions-nous à cacher ? Nous avons discuté dans le patois d’ici.
Furieux, et d’autant plus qu’il avait partagé sa faute, il se tourna vers qui l’avait interpellé :