25/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-30


La fille de Kleworegs avait fini de se vêtir. La jeune épouse de son père se tenait à ses côtés, l’air engageant, remplie du désir éperdu de l’aider et de lui faire paraître ses dernières heures parmi les siens moins pénibles. Elle parlait et s’empressait, pleine de sollicitude. La future mariée n’entendait pas le plus petit mot de ses discours. Elle rêvait… Tout ce qui lui arrivait n’était qu’une idée. Son père n’avait jamais décidé de la donner à un homme. Ce n’était qu’une mise à l’épreuve, destinée à juger de son obéissance. «J’ai été rebelle, oublieuse de toutes les lois, j’ai insulté à sa volonté. J’ai raté l’épreuve qu’il m’a imposée. Je ne serai plus sa préférée, celle qu’il aimait, sa seule, son unique ! ». Elle se lamentait, guettant, impatiente, le moment où il surgirait pour lui dire que le mariage n’aurait pas lieu. Elle lui demanderait son pardon... Elle serait dorénavant toujours soumise. Et il pardonnerait, après un long éclat de colère... Peut-être l’habillerait-il en homme pour l’emmener à ses conseils, afin qu’elle choisisse parmi ceux qu’elle rencontrerait le roi digne d’elle. Elle attendait, elle ne doutait plus. Il l’arracherait à son cauchemar.
– Tu sais, tu as tort de t’inquiéter ainsi. Moi aussi, je me suis retrouvée mariée sans bien savoir ce qui m’arrivait, et j’ai eu très peur. Mais de quoi ? Kleworegs n’avait plus ses parents, et sans swekru, j’étais la maîtresse de la maison. Belonsis est seul, lui aussi. Tu n’auras pas de vieille femme au-dessus de toi.
– ...
– Ah, je vois ! ... Tu ne m’écoutes pas... mais tu m’entendras. Je t’en veux, tu sais, de cracher ainsi sur ton bonheur. Que voulais-tu ? Choisir, ah, choisir... mais une fille de chef n’épouse pas un homme, elle épouse sa famille, elle change de clan. Aurais-tu su deviner, derrière la figure affable ou superbe de l’homme de ton choix, à quoi ressemblaient l’épouse de son père, qui te tiendrait sous sa coupe, et toutes tes futures sœurs, et tes nouveaux frères. Ton père a bien choisi. Tu seras la première femme d’un chef de clan renommé, sans autres pour te dicter ta conduite. Tu seras la maîtresse, et, pour peu que tu donnes de beaux enfants à ton époux, la seule à compter à ses yeux. Aurais-tu su choisir ainsi, et te hausser à un rang qu’une uksor, nouvelle venue dans son clan, ne peut atteindre qu’après une longue patience ? Tu sais bien que non. Seuls les pères peuvent tout savoir de la famille à qui ils donnent leur fille. Celles qui sont indignes ne se voient jamais proposer d’épouse.
– Si je m’étais trompée, ç’aurait été ma faute. J’aurais peut-être été servante sous une belle-mère insupportable, mais c’est moi qui aurais choisi.
– La liberté de choisir sans savoir ce qui se cache derrière les apparences. C’est ça ta liberté ? Tu te veux libre de faire ton malheur, c’est ça ?
– Il vaudrait toujours mieux qu’un bonheur imposé !
– Je ne veux plus discuter de ça. Tiens-toi prête. Ton père vient te chercher bientôt.

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