08/12/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 252

Je regrettai mon réflexe. Sa mort avait rendu espoir à nos captifs. Sa cervelle, d’un gris sale mêlé de rouge, avait éclaboussé ma plus belle fourrure. Nos captifs crurent qu’il m’avait blessé. Qu’il n’en soit rien n’avait rien changé. Ils avaient repris courage. Après son exécution, et jusqu’à ce que nous détruisions la horde, il passa pour un prophète, celui de notre destruction. Il avait prédit sa fin, et qu’elle préfigurerait la nôtre. Ils nous voyaient bientôt comme lui et, quand nous les pressions, ricanaient... Bientôt, la grande horde nous écraserait ! Ceux qui en ignoraient tout n’en étaient pas les moins certains. Nous dûmes, ce qui ne nous était jamais arrivé avant, trancher la gorge de quelques meneurs. Je n’en fus pas fier. Tuer un captif, en plus d’être lâche, est stupide. Cela diminue un butin pour quoi on a peiné et risqué gros... À quelque chose ce malheur fut bon. La colère d’avoir dû les sacrifier nous donna la volonté de nous emparer de la horde, malgré sa puissance. Elle effaça la peur que nous aurions pu ressentir. Nous nous mîmes en route. La victoire serait au bout...  
... L’atmosphère nous pesait. Nous continuâmes vers le midi. Nous bifurquâmes, suivant ses indications, vers une très haute montagne au couchant. En entendant quelques ricanements – discrets, l’exécution des meneurs était passée par-là –, je le revis. Quoique rachitique, c’était un gaillard. Aucun homme, depuis que je maniais une arme, ne nous avait fait autant de mal. À quoi ce courage lui avait-il servi ? Il était mort, et nous vaincrions sa malédiction... Enfin, je l’espérais. Il me restait un petit pincement au cœur. Rien que pour cela, pour chasser ce doute, pour que les Muets perdent à jamais l’envie de se moquer, victoire posthume du captif que Thonros ne nous pardonnerait point, nous devions écraser la horde. En attendant, il avait réussi ! Nous courions, comme s’il nous l’avait ordonné, sus à la cible qu’il nous avait désignée et, si elle n’était que moitié aussi redoutable qu’il l’avait prétendu, à notre perte. Là encore, il aurait vaincu. Mais Thonros ne saurait, de cette défaite, nous tenir rigueur...
... Non, il n’y aurait pas de défaite ! Ni dans notre abstention, ni dans notre anéantissement. J’avertis les miens de se tenir prêts à se battre à l’arc et au javelot. Ce sont armes de gens sans grand courage, mais les lois de la guerre autorisent à s’en servir en cas de trop grand déséquilibre. Notre honneur ne souffrirait pas... Thonros merci, nous n’en eûmes pas besoin. Le grand dieu des combats, en nous laissant entrevoir la horde comme une multitude, n’avait voulu que nous éprouver. Devant notre dégoût à manier ces armes de couard, il nous fit rencontrer une bande qui, malgré sa richesse en combattants, n’était pas au-dessus des moyens d’une troupe de presque trente mains d’hommes (les autres gardaient les captifs) sachant se battre, comme la nôtre...
... Trois ou quatre jours après, nous rencontrâmes ses premières traces. Nous les examinâmes. Elle était moins nombreuse que nous ne l’avions craint. Cela ne l’empêchait pas de posséder – d’avoir volé – de quoi remplir, jusqu’à faire s’enfoncer leurs roues profond dans le sol, quatre gros chariots, lourds et pansus. Si son butin était aussi riche qu’il semblait, les dépouilles gagnées dans cet assaut vaudraient, maintes fois, les risques. Nous essaierions de les réduire encore. Nous devions, pour cela, en savoir plus sur notre proie...
... Par ses traces, nous pouvions déterminer sa vitesse et la distance qui nous en séparait. Bouse et crottin, par leur état de fraîcheur, permettent de deviner depuis combien de temps l’animal est passé. Si la horde faisait halte chaque soir, on devrait en trouver des concentrations. Il calculerait la distance entre chacune. Il se faisait fort de savoir ainsi le chemin parcouru par la horde en une journée, et de deviner le temps qui nous restait pour la rejoindre. Eussent-ils fait des bivouacs, c'eût été plus facile. Dans nos terres, nous allumons des feux pour nous protéger du froid de la nuit. Les Muets, eux, ne le font presque jamais, comme s’ils craignaient un ennemi attiré par leurs foyers. Il leur faut, pour s’y risquer, une sécurité absolue. Est-il meilleure preuve qu'ils usurpent ces plaines ? Qui aurait peur sur sa propre terre ! Nous serions, quand nous verrions leurs feux, sûrs de les surprendre...

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