06/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-13
– Certes, mais lequel peut se targuer d’avoir enfanté des êtres au-dessus du reste des hommes comme Nemoklewos qui, attaqué et mordu par un loup furieux, lui enfonça son poing si profond dans la gueule qu’il ressortit de l’autre côté, lui permettant de saisir la queue du monstre et de le retourner comme une vieille peau, à l’épouvante de toute sa horde...
... Comme le premier Belonsis que deux hommes portèrent sur leur dos quand on l’enterra, alors qu’il en fallut cinq, tous forts comme des taureaux, pour porter le glaive avec qui il avait pourfendu plus d’ennemis qu’il est de pierres brillant au firmament...
... Comme Nsisyonemos qui ne pouvait supporter que les chênes soient plus hauts que lui et, dans sa fierté, les enfonçait à coups de poing, jusqu’à les surplomber d’une tête...
... Comme un autre Belonsis qui, d’un seul coup de massue, faisait rentrer sous terre le cheval et le cavalier qui l’attaquaient...
– À qui veux-tu faire croire ça ! Jamais, depuis que le monde est monde, nul n’a vu des ennemis d’Aryana se battre à cheval. Nous en sommes nous-mêmes incapables, alors qui le pourrait. Es-tu bien sûr de ce que tu viens de dire ?
– Nos chants ne mentent pas !
La discussion allait virer à l’aigre. Kleworegs éluda.
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05/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-12
« Nous n’allons quand même pas rester ainsi, comme des statues ou des maudits pétrifiés par un sorcier ! » Ils partageaient la même pensée, mais chacun attendait que l’autre ouvrît les lèvres en premier. Ce oui les avait surpris l’un et l’autre. Kleworegs s’était imaginé une moue offusquée, un air interrogatif, des cris de protestation. Belonsis avait pensé jouer l’étonné, le méprisant, le condescendant... et il avait dit oui. Un oui qui ne l’engageait à dire vrai guère. Il sous-entendait des propositions qu'il aurait tout loisir de juger inacceptables. Il pouvait, sans que sa fierté en soit atteinte, prendre la parole pour lui demander d’être plus explicite.
– Oui, mais qu’as-tu à me proposer ?
– Je te l’ai dit, je te propose d’épouser ma fille aînée... Elle a un peu plus de treize ans, et tous s’accordent à dire qu’elle est une beauté.
– Je n’en doute pas, mais crois-tu que ce soit très important. Ce serait un bien plus beau gage d’amitié si tu me disais de quels biens tu vas lui faire don... Je crois que...
– Je te fais don de l’amitié d’un haut roi. Comptes-tu cela pour rien ?
– Certes non ! Mais il est d’usage qu’un haut roi soit généreux avec sa fille, quand il la donne en mariage... On reconnaît même sa haute naissance, ainsi que son désir d’amitié, à l’abondance de ses dons.
– Tu ne seras pas déçu !
– Et n’oublie pas que si un haut roi veut marier sa fille à un homme de très haute naissance, les dons doivent être encore plus beaux.
– Je sais tout cela, figure-toi !
– Et le clan des chasseurs de loups des terres au-delà de la grande eau du levant est plus riche de héros que tous les autres. Imagine le nombre de bisons qu’il y a dans une horde qui couvre la steppe, puis considère une goutte d’eau. La horde de bisons, c’est cette goutte, la foule de nos héros, le fleuve qui borde nos terres. Qui peut-en dire autant de son clan ?
– Tout guerrier d’Aryana, qu’importe son clan, est un héros... Ne crois pas que je méconnais ton genos.
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04/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-11
Belonsis haussa les sourcils de surprise, puis ordonna au messager de le prier d’entrer dans la tente royale. Il avait bien fait de taire ses projets. Sans convoquer aucun conseil, parlant d’homme à homme à son haut roi, il déciderait de leur réconciliation, et mettrait chacun devant le fait accompli. Il serait bon, pour son honneur, de laisser Kleworegs parler en premier... de toute façon, le protocole l’exigeait. Tout était pour le mieux. Kleworegs venait lui faire des avances. Il pourrait jurer aux siens que c’était Kleworegs qui était venu proposer la paix, non lui qui était allé la solliciter. Son autorité s’imposerait sans le moindre effort. Il s’habilla du mieux qu’il pouvait et rejoignit la pièce au sol jonché de peaux de loups où le haut roi l’attendait. Il lui sourit, tout en s’inclinant, puis attendit ses paroles... une formule de politesse ampoulée, sans doute, à qui il répondrait de la même façon obscure et pompeuse. Il se tint fin prêt.
– Belonsis reg, pour que toute querelle s’éteigne entre nous, je viens te donner ma fille aînée pour épouse. L’acceptes-tu ?
– Oui !
Belonsis regarda Kleworegs. Le haut roi était tout aussi surpris de sa réponse immédiate qu’il l’avait été de sa question inattendue. Le oui flottait entre eux comme les bulles s’exhalant des mares stagnantes, aussi fragile qu’elles. Chacun attendait, au cœur la crainte que toute parole, tout geste, le moindre clignement d’œil, rompît le charme. Ils avançaient les lèvres, comme pour parler, puis les rétractaient et les pinçaient jusqu’à ce que leurs bouches serrées les fassent ressembler à des petites vieilles édentées... Comme s'ils en avaient la même timidité, le même désir de ne pas paraître, de se glisser dans le plus petit trou de souris, de se fondre en néant.
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03/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-10
« Je suis trop influençable ! » Méritait-il d’être roi s’il ne considérait un projet comme réalisable que lorsqu’un autre le soutenait et parlait le dernier en sa faveur ? Il ne pourrait mener à bien son projet qu'avec le soutien des siens. Etre ainsi prisonnier de ses hommes ou, pire, de celui de ses conseillers qui parlerait le plus fort ! Il en voyait tous les inconvénients. Cette faiblesse l’exposait à la surenchère. Il suivrait le plus véhément, le plus ardent, le moins sage. Peut-être même, de peur anticipée, se livrerait-il à des gestes fous, ou élèverait-il des prétentions démesurées, pour prouver aux siens qu’il méritait d’être leur roi. Il paierait sa volonté de réconciliation en montrant envers Kleworegs, au moindre signe d’insuccès, une haine qu’il ne ressentait pas. Chaque geste aimable du haut roi se heurterait à une attitude hautaine. Il accepterait son amitié, mais en la faisant payer au plus haut. Peut-être, alors, voyant Kleworegs humilié par lui comme un vieillard malpropre par une servante rusée, ses hommes l’admireraient et, satisfaits d’avoir été les plus forts, ne haïraient plus leur haut roi... Comme si le mépris valait mieux que la haine. Faire l’union de tous était une belle résolution... La tiendrait-il, et à quel prix ?
Il s’endormit. Il rêverait que les dieux lui donnaient ce caractère qui lui manquait. Il pria que le rêve se réalise. S’ils avertissent les hommes et leur dictent le bon chemin, pourquoi n’auraient-ils pas la vertu de modeler qui les reçoit ? Il n’y aurait rien d’étonnant à ce nouveau pouvoir.
Hormis les sentinelles s’enivrant aux parfums de la nuit, le sommeil vint coucher tous ceux du Printemps Sacré. Influencés par les douces fragrances, les rêves furent emplis de visions idylliques, avant-goût du monde que ceux qui ont bien vécu sont admis à fouler dans l’au-delà. Au matin, chacun se réveilla, le cœur léger. Les ennemis de Kleworegs eux-mêmes semblaient apaisés, assagis. Ils en arrivaient presque à sourire aux hommes des autres clans. Plusieurs de ses guerriers vinrent lui rapporter le fait. Il ne douta plus, dès lors, que son projet serait bien reçu par le successeur de Thonronsis. Il prit sa plus belle fourrure, ses torques de cou et de poignets les plus lourds. Il se dirigea vers son camp, saluant ses hommes abasourdis par sa venue. Il se fit annoncer au jeune roi.
– Kleworegs veut me voir ? »
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02/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-09
... Il y avait ses guerriers. Ils avaient, eux, épousé la querelle de leur ancien roi. Ils la poursuivraient au-delà de sa mort. Ils ne lui étaient en outre guère favorables. Ils le disaient veule, porté au compromis, toujours d’accord avec celui qui avait parlé en dernier. Ils en attendaient, pour lui témoigner autre chose qu’une déférence polie et révocable, qu’il surenchérisse sur leur méfiance et leur haine. Il était lucide. Cette démarche, au-delà de l’opinion sur Kleworegs, était suicidaire pour tous les participants au Printemps Sacré. Plus lucide encore... Il doutait de sa capacité à le représenter aux siens, encore plus à le faire accepter. Elle était, pourtant, nécessaire. Il ne pouvait être question de montrer une ouverte et continuelle réserve envers lui, et de se couper du reste des clans installés sur les nouvelles terres. Il ne leur présenterait pas la situation de ce point de vue. Il leur dirait ce qu’ils attendaient, qui répugnait à son esprit ennemi de la cautèle : Autant profiter des bonnes dispositions des dieux le temps qu’elles dureraient. Ils sont d’humeur changeante. Leur bienveillance pouvait se transformer en indifférence, voire en hostilité. Qu’alors nul ne puisse lui reprocher, non plus qu’à eux, de lui avoir marchandé sa confiance, du moins tant qu’il les avait eus avec lui. Non, il convenait de se réconcilier avec lui, sans être dupe. Des «Pourvu que ça dure ! » lancés à bon escient par des hommes zélés auraient mille fois plus d’effet qu’un sabotage larvé. Les catastrophes qui ne manqueraient pas de s’abattre ne pourraient leur être reprochées. Il ne raterait pas l’occasion, alors, de revendiquer les anciens succès et de réclamer le pouvoir pour lui, descendant de la plus vaillante tribu de tout Aryana.
Aurait-il la force d’expliquer ce projet, destiné à les calmer et à obtenir leur approbation, à ses conseillers les plus proches, tout en se tenant à la ligne de loyauté qu’il avait résolu de suivre ? Il en ferait se récrier une bonne partie. Ils étaient plus habitués à l’action qu’aux longues et tortueuses intrigues. La patience n’était pas leur fort. Il lui faudrait des trésors d’argutie pour le leur faire accepter. Pourvu que quelques-uns, au moins, soient convaincus par ses arguments et parlent en dernier. Il aurait alors la force de l'imposer... La coexistence forcée et la fausse amitié, ensuite, deviendraient peut-être avec le temps une estime véritable, une alliance forte, une fidélité sans nuages. Mais comment y parvenir si, pour garder l’estime de ses hommes, il devait cultiver leur morgue envers les autres et leur hostilité envers celui que, seul de son clan, il ne haïssait pas ?
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