23/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-28
« Pas de ça, pas de sentiments, de regrets, de rêves. L’avenir du Printemps Sacré, celui d’Aryana, se jouent à travers ce mariage... Le mien aussi, si mon gendre travaille pour ma gloire. Je ne me conduirais pas ainsi, la sueur au front, si n’importe quelle autre de mes filles se mariait. Permi n’est qu’une d'elles... Et elle au moins, à la différence de sa sœur, est vivante, même si ma famille en portera le deuil. »
Il s’éloigna. Il alla vers les siens. Ils avaient entassé le gibier abattu pour le dépecer. L’odeur en était prenante, un peu écœurante, mais n'offusquait aucun narine. Ceux qui la humaient y trouvaient plutôt motif à se réjouir. Une odeur annonciatrice de franche ripaille ne peut être qu’un parfum. Ainsi pensaient ceux qui entouraient le charnier. Ils se regardaient, sourire aux lèvres. Un se détacha de la petite foule et vint vers lui.
– Ah, Kleworeg, la fête et les sacrifices pour célébrer notre arrivée, c’est pour bientôt ?
– Je ne vais pas tarder à les déclarer ouverts. Tu as l’air pressé. Tu veux me demander quelque chose. Parle !
– Roi Kleworeg, ma femme vient d’accoucher. Voudras-tu ordonner qu’il soit reçu parmi ceux de sa caste, en ce jour qui marque notre prise de possession de ces terres ?
– Est-il solide ?
– Je vois à quoi tu penses. Oui, rassure-toi. Les dieux du serment me foudroient si !...
– Va voir notre premier prêtre. Il sacrifiera pour voir son avenir, et acceptera peut-être, si les présages sont bons. Alors, tu appelleras ton fils Wesnessunus, le fils du Printemps. Il y a-t-il dans ton clan un guerrier mort dans un combat glorieux, dont l’âme n’a pas encore trouvé d’hôte, pour le féconder ?
– Non, mais celles des héros des anciens Printemps Sacrés errent sur ces plaines. Mon fils, si les dieux le veulent, recevra l’esprit de l’un d'eux.
– Et tous ceux qui naîtront dans ces terres avec lui. Tu dis juste. Dans leurs vaisseaux coulera la vigueur des premiers héros... Qui sait s’ils ne parleront pas par leur bouche, nous envoyant leurs conseils et leurs avis. Pour penser avec une telle sagesse, tu es le roi de ton clan, n’est-ce pas ?
– Non, mais il écoute mes avis, et les suit souvent.
– J’en ferai autant. Va voir les prêtres ! Dis leur ce que les esprits des guerriers des anciens Printemps Sacrés t’ont révélé !
– Tu crois qu’ils m’écouteront ?
– Je suis le haut roi du Printemps Sacré. Les dieux favorisent de visions ceux qui me suivent. Non, va! Fût-il porteur de lin, nul ne s’élevera contre ton haut roi.
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22/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-27
« Que ferai-je de Belonsis et des siens, qui ne pensent que raids et combats ? Peut-être aurai-je à m’en servir, mais tout ce que mes guides m’ont appris sur ces terres m’en dissuade. Il serait indigne de massacrer les hommes pacifiques ou les frères disparus qui y vivent. Mais peut-être, plus loin, rencontrerons-nous des guerriers hostiles, à combattre, ou des tribus riches et arrogantes, à soumettre. Les hommes de Belonsis, sans femmes ni biens, seront là pour ça... Et nos troisième caste seront trop heureux de paître leurs troupeaux, ou de faire pousser leurs récoltes, sur ces terres de conquête. Mêler l’esprit des anciens et des nouveaux Printemps Sacrés nous sera profitable au plus haut point. Conquérir, s’enraciner, garder en nous le sentiment d’Aryana, doit être notre but. Je serai là pour l’accomplir. »
Vint le jour du mariage. Il avait pris son parti de l’hostilité de sa fille, et tenté de reconsidérer son attitude vis-à-vis d’elle. Quelle injustice dans sa passion à son égard, quand la mort d’une de ses sœurs n’avait entraîné chez lui, au retour d’un raid, qu’un furtif « C’est bien malheureux ! ». Autant il avait, à cette occasion, été raisonnable, autant ses inquiétudes, quand elle avait le moindre bobo, ou la plus petite contrariété, étaient ridicules. Il essayait de s’en moquer, sans succès. Il l'avait choyée, l’avait préférée à toutes les autres, et il ne pourrait se défaire de cette prédilection. Il ne se pardonnait plus de l’avoir donné en mariage contre son gré, comme il le devait pourtant. Il aurait dû la laisser choisir son futur époux. Il ricana... Des idées peu ordinaires lui venaient parfois, mais cette extravagance... D’abord, comment aurait-elle su choisir ? Il aurait fallu en avoir la capacité, la sagesse. Les femmes l’auraient-elles jamais ?
Il regarda la porte de la tente où les servantes, sous les ordres de son épouse, la préparaient. Quel masque affectait-elle ? De colère, de résignation ? De fierté, peut-être, si elle avait fini par comprendre combien son union servait son clan ? Cela faisait plusieurs jours, après son éclat, qu’il avait renoncé à passer la voir. Il avait peur de ne pas se conduire à son égard en père, maître de sa famille et de son clan, mais en vieil oncle maternel, indulgent à toutes les foucades, prêt à céder au moindre caprice. Même en ce jour, il ne croiserait pas son regard. Chargé de haine, de résignation, de détresse, il en souffrirait. Heureux, il en serait jaloux. Jaloux du bonheur de sa fille, plus encore de la chance de son époux.
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20/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-26
Il se récita les gestes des précédents Printemps Sacrés... les tout premières. Elles évoquaient l’ancienne tradition, qui offrait aux cadets de fuir la puissance de leur père ou de leurs aînés en les quittant et en partant s’emparer, avec pour tout bagage leur char attelé et leurs armes, de terres où ils deviendraient chefs à leur tour. Mais comme cette fuite rompait les liens familiaux, sacrilège envers les lois des clans, ils dédiaient, pour cette faute, leur entreprise aux dieux, et en faisaient d’une certaine façon leurs complices. Aussi ces hommes jeunes, dont l’ambition et le courage étaient plus forts que leur crainte des divinités, partant seuls et sans aucun bien, étaient autorisés, voire incités, pour que elles sourient à leur aventure, à leur sacrifier tout être vivant qui croiserait leur ruée. Les hommes de Belonsis avaient gardé l’esprit de ces temps féroces, et voulaient en imiter les exploits. Les quelques troupeaux, les rares troisième caste, qui les accompagnaient, n’étaient qu’une concession à l’esprit du temps. Plus que créer des établissements, leur idée était de s’enfoncer loin dans ces terres, d’y détruire toute opposition et d’y prendre femme quand les hommes des tribus indigènes auraient été exterminés par leurs soins. Ainsi avaient agi les héros des premiers Printemps Sacrés, dont nul ne savait plus le destin. Seuls contre l’immensité, ils avaient sans doute fini par être engloutis. Les plus récents avaient été menés avec plus de sagesse, et Aryana s’en était trouvé bien. Elle s’était étendue de toutes parts, et chaque tribu avait gardé au cœur le sentiment de son appartenance. Entre cette sagesse et la folie des premiers, il avait choisi. Un raid ne vaut que si l’on revient près des siens, riche de biens. S’il s’agit d’installer un camp et de faire des enfants à quelques étrangères à la feinte soumission, prêtes à leur enseigner la haine de leurs pères, autant jeter des graines dans un fleuve. Il envisageait tout autre chose. Il couvrirait la Terre de vrais fils d’Aryana, non d’enfants dont leur séjour dans le sein de femmes étrangères aurait corrompu le sang. Belonsis l’avait d’ailleurs compris, qui avait pris pour épouse une femme d’Aryana. Une graine pousse d’autant mieux qu’elle germe dans une bonne terre. Les fils de Belonsis et de sa fille ne seraient jamais faits pour la servitude. Il n'en serait pas de même pour ceux nés de l’union de ses guerriers et de leurs servantes. L’exemple de ceux qui n’avaient rien laissé, qu’un brumeux souvenir, était là pour le rappeler.
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19/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-25
Il s'en voulait. Il comparait sa rigidité de roi et père de son clan, sévère et inflexible, et son indulgence envers elle. Quelle honte ! Pourquoi avait-il pour elle, à l’exclusion de ses autres filles, de telles faiblesses ? Il s’imaginait, en dehors des occasions fixées par les traditions, écoutant les doléances de ses hommes, et réagissant comme il réagissait face à son aînée. Combien de temps lui faudrait-il pour devenir la risée de ses guerriers, voire de ses paysans ou, pire, de ses serviteurs ? Fille de son père et femme de son clan, elle devait lui obéir. « Et si elle se prend à me haïr ? Elle en serait capable. »
Il rejetait très vite l’idée. Son sang le trahirait ? Quelle absurdité ! Il se caparaçonnait de sévérité. Fille aînée ou serviteur, quiconque dépendait de lui lui devait obéissance et soumission. Il lui annonça sa décision. Elle le regarda, yeux flamboyants :
– Que je l’aime ou je le haïsse, le mari que tu m’imposes aura au moins mon respect. Il dépend de toi, mais ne t’obéit pas. Je le lui rappellerai.
Il sortit de sous sa tente. Enfin elle acquiesçait à l’union projetée! Quant aux menaces, et à ce qu’elle lui avait dit sur l’indiscipline de Belonsis, il n’en avait rien entendu. Il aurait eu, sinon, trop de questions à se poser, dont il ne souhaitait pas, tout bien considéré, avoir la réponse.
« Avec le temps, tout s’arrangera ! Ne songeons plus qu’à préparer ce mariage ! »
La battue de Kleworegs lui permit de prendre assez de gibier pour que chacun, y compris le plus humble troisième caste, ait son morceau de viande pour fêter l’arrivée dans le nouveau domaine. Celle de Belonsis fut moins réussie. Il devrait, s’il voulait que son mariage soit aussi mémorable qu’il l’avait promis, faire une coupe claire dans le cheptel qu’avait amené sa tribu... un cheptel des plus réduit. A croire que la moitié de son troupeau s’était noyée en traversant le fleuve du couchant, ou avait péri au long de son trajet. Leur troupe était d’ailleurs aussi pauvre en producteurs. Il y avait là une intention. Il devait essayer de la deviner.
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18/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-24
Sa fête, tous le savaient, serait somptueuse. Celle de Belonsis ne pouvait être moindre. Il en allait du renom de sa tribu. Il voulut organiser une battue, lui aussi. Kleworegs lui représenta qu’elle serait inutile. Il vaudrait mieux que tous participent à la sienne. Il n’en voulut pas démordre. Après un long marchandage où Belonsis concéda qu’une partie des siens – les moins nobles et les moins vaillants, comme il allait s’en apercevoir – prenne part à la battue commune, il se résolut à le laisser mener sa propre chasse. On tira au sort quel secteur de la forêt serait parcouru par ceux qui refusaient de chasser en commun. Sous leur prétexte invoqué, de ne demander à personne la moindre aide pour l’accueil de sa fille dans son nouveau clan, Kleworegs avait compris le défi. Il y avait dans leur esprit non une grande tribu faite de multiples clans, mais la sienne, et celle du Printemps Sacré. Il ne s'en inquiétait pas. Une fois sa fille calmée (et cela finirait par arriver, tout susceptible qu’elle fût), elle expliquerait à son époux combien son attitude était nuisible au bien commun, et combien il risquerait d’en pâtir... Mais elle ne semblait pas répondre à son attente.
Il allait pourtant la voir tous les jours. Il lui envoyait son épouse, guère plus âgée qu’elle, à qui elle pourrait se confier comme à une amie. Elle n’avait rien à dire. Elle écoutait ses exhortations, le nez de plus en plus baissé, l’air buté ou hargneux selon le moment. Il ne décolérait pas. Il aurait accepté un caprice, pas cette attitude déterminée et sournoise indigne d’une fille de roi. Ce fut bien pire quand elle refusa de s’alimenter. Elle tenait donc à gâcher sa beauté, à lui faire honte. Rien ne semblait venir à bout de son obstination. Il avait dompté des chevaux bien plus rétifs, mais ne savait comment agir avec elle. Sa conscience de ses droits de demospotis lui criait de la contraindre sans se soucier de ses réticences et de ses pleurs. Son sentiment de père lui soufflait de la persuader, de l’amadouer, de lui faire admettre que ce mariage projeté était le plus grand bonheur qui puisse lui arriver. La seule chose à laquelle il ne pouvait renoncer était cette union. Elle devrait le comprendre. Une fille de haut roi n’est pas une servante, qui peut s’accoupler à qui elle veut dans la mesure où cela ne crée aucun désordre.
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