14/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, I-160


Depuis la date, à la fois récente, s’il comptait les années, et quasi-antique, s’il en considérait les suites, où Kleworegs avait demandé à Punesnizdos de lui préparer des armes fiables au sein des plus rudes combats, les forgerons avaient bougé. L’ancienne forge était dans l’enceinte du village. L’ensemble des ateliers de tous les artisans du feu se trouvait maintenant sous son vent, un peu en dehors. Ils œuvraient tout à côté d’un ruisselet, bien utile en cas d’incendie. Ils pouvaient aussi ouvrer de nuit sans réveiller le wiks. Avant, ils s’escrimaient à la tâche en plein midi et exerçaient leur art dans un vrai brasier, l’ardeur du jour s’additionnant à celle de la forge. Ils avaient gagné au change.
Pewortor, devenu ner, se découvrait de nouvelles et nombreuses obligations. Il était passé voir les prêtres. Il se colletait avec eux pour qu’ils entérinent sans attendre son élévation. S’ils ne pouvaient plus la lui refuser, ils argumentaient pour lui faire admettre qu’elle ne touchait que lui. Son fils, s’il en avait un, en serait exclu. Ils n’avaient aucun exemple à l’appui de cette assertion. Ils ne l’avançaient qu’en désespoir de cause. À force, il y serait peut-être sensible. S’il se lassait d’insister et renonçait à l’hérédité de son nouveau statut !
Tous guettaient la moindre ébauche de parole en ce sens. Ils étaient prêts à en témoigner sous serment. Il tenait bon. Ils cédèrent. La loi commune s’appliquerait à lui. Son fils lui succéderait avec son statut, sa fonction, ses titres, ses droits. Encore cela fut-il adopté, contre de beaux taureaux, grâce au premier prêtre. Il lui fit promettre, pour prix de la fin de leur harcèlement, et de leur accord au sujet de son genos, de cesser de réclamer pour ses anciens égaux.

13/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, I-159


Plus avant dans la journée, Kleworegs connut le même bonheur. Sa très jeune épouse avait eu ses premières douleurs la veille, quand il était venu la saluer. Son travail se prolongeait de façon inquiétante. Toutes les femmes de son genos avaient prié Maga Mater, tout le jour, que tout se passe bien, et que sa délivrance survienne vite. Ce n’était pas l’affection qui les motivait. Loin de là. Elles n'éprouvaient, à son égard, que la solidarité féminine indispensable. C'était par elle seule qu'elles pesaient quelque peu. À ciel rouge, au plus long des ombres, la tête se présenta. L'enfant sortit, à leur grande joie, sans peine. Il vagit à les assourdir. À peine sorti, il était vif et fort.
Une des matrones le prit par une jambe et le brandit, la tête en bas, à hauteur de son visage mafflu au nez écrasé. C'était son seul héritage d’un mari guère regretté, peu enclin à la douceur et querelleur à se mettre cent duels sur les bras, surtout quand il avait partagé l’hydromel et les souvenirs de combat avec d’autres gaillards de sa trempe. Il s'en était mis un de trop.
– Quel beau guerrier il fera ! Son père va être heureux, lui qui désespérait d’avoir un mâle.
En entendant ce cri du cœur de veuve au ventre sec, elles se tournèrent vers elle, hostiles. Elles étaient toutes mères, mais n’avaient donné le jour qu’à des filles ou des mal venus qui avaient péri. Ces mots ravivaient leurs plaies encore cuisantes et mal fermées. Faute de s’en prendre à l’accouchée, qui sauvait l’honneur, elles lancèrent leur fiel contre cette cible facile.
– Repose-le, tu lui fais venir le sang à la tête.
– Ne manie pas ce pauvret ainsi, stérile ! Tu n’entends pas comme il crie... À moins que tu ne veuilles le tuer par jalousie, toi qui n'as jamais enfanté ?
En cas de malheur, elles se rappelleraient cet incident. Les nouveau-nés sont fragiles. Elle l'abandonna. Il serait mieux aux bras de sa mère. Une servante entra.
– Le maître arrive. Il veut voir son fils !

12/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, I-158


Aucun n’était né au retour de son père. Le premier fut, le lendemain, celui du prêtre. Dès qu’il se présenta, les matrones le reconnurent pour un garçon. L’orant récompenserait le porteur de cette bonne nouvelle ! Aussitôt, l’une d’elles se précipita hors de la pièce où la parturiente finissait son travail pour l'avertir.
“ Ton fils est né ! ” Il y avait dans ce bref avis de quoi réjouir son cœur. Cette naissance prouvait le soutien des dieux à son genos. Elle en assurait la pérennité. Sur sa tombe s'accompliraient les obligations filiales. Ses traditions perdureraient. Son fils porterait bien haut, après lui, le nom de sa maison. Si son roi pouvait être aussi heureux ! Qu’il en ait un enfin, après toutes ses filles ! Les dieux ne permettraient pas qu’il n’ait jamais de mâle. Ce serait, sinon, la fin du wiks dépecé, à l’occasion de leurs mariages, en fiefs offerts à ses gendres. Il serait bon qu'il échappât à ce malheur. Pourvu que son intuition ait été juste et que Bhagos ait enfin écouté ses prières. Il sourit. Son roi aussi serait exaucé.
La matrone contempla, réjouie, son évident plaisir. Elle lui précisa, les yeux brillants, ce que tous les pères aiment à entendre : son fils lui ressemblait, était plein de santé, était né coiffé. Cette caractéristique rare était un signe d’élection, marque, dans la première caste, des futurs grands récitants. Le dieu des serments et de la parole ne porte-t-il pas un bonnet ? Les vieillards du clan, le voyant, le lui rappelèrent. Les autres prêtres, joyeux, le confirmèrent. Ce nouveau privilège appuierait leur prestige.

11/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, I-157

Vous pouvez voir tous les épisodes de la première partie du livre I à l'adresse suivante :
http://www.lavoixdunord.fr/forum/showthread.php?t=391
BONNE LECTURE

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10/04/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-46

Il la regarda. Il n’avait approché que des servantes, souvent plus délurées et à la langue plus déliée que les femmes de haut lignage, mais jamais jusqu’à présent il n’avait eu l’occasion de rencontrer une femme ayant quelque idée sur le monde et ses luttes. Un homme du commun en aurait eu peur. Il en eut de l’admiration et de la fierté. Il lui permettrait d’écouter ce qui se disait en réunion de guerriers. Elle serait, une fois instruite des secrets du clan, de bon conseil... Et, parlant la dernière, à coup sûr écoutée.
Il lui ferait bientôt la surprise de l’installer comme son conseiller secret. Il préféra de ne pas lui en parler encore. D’où venait sa connaissance de la vie des hommes de son clan, de leurs ambitions et de leurs désirs ? Elle était digne de porter le glaive, et certes l’aurait fait, si l’idée n’avait paru aller au-delà même de la folie... Pourtant, des épouses ou des servantes avaient défendu leur maître blessé en reprenant son épée et en dispersant ses assaillants. A en croire les chants des femmes, chaque génération avait été témoin d’un tel prodige... mais c’était les chants des femmes, à qui un guerrier ne saurait se fier. Il le sentait maintenant : c’était à tort.
– Que ferais-tu, toi ?
Elle le regarda, épanouie. Il lui parlait comme à conseiller et un ami. Elle n’avait jamais entendu dire qu’une épouse était traitée ainsi.
Son père avait dû savoir le véritable fond du caractère de Belonsis quand il avait décidé de leur union. Elle ne lui en fut pas plus reconnaissante. Sa colère contre lui n’avait que de mauvaises raisons. Ce n’est pas la raison, bien au contraire, qui pouvait la calmer. Elle releva la tête.
Je ferais de mon clan le plus puissant des nouveaux territoires... Et pour entraîner mes hommes au combat, je les ferais participer à des raids lointains. Quelques belles victoires, au loin, et ton prestige dépasserait celui de Kleworegs... S’il faiblit, ensuite...
– C’est bien ainsi que j’envisageais l’avenir.
– Ne te fie qu’à toi, ou à nous deux. C’est ainsi que tu seras fort.


DEMAIN, retour à la deuxième partie du Livre I. La première partie est visible sur :
http://www.lavoixdunord.fr/forum/showthread.php?t=391