17/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-31

– Ne croyez plus rien qui ne soit avancé par les hauts bhlaghmenes ou les oracles. Eux seuls, en ce qui regarde le Printemps Sacré, sont assez proches du divin pour parler vrai.
C'était une initiative du chasseur de maléfices. À voir les sourires de satisfaction des prêtres, elle était la bienvenue. Ils avaient, en un instant, recouvré une partie de leur pouvoir. Ils venaient de prouver, en un beau coup double, que les dieux ne les avaient jamais abandonnés et qu'un roi impie n'aurait jamais leur aval.
Tremblant de frayeur sacrée, les hauts rois virent le sacrilège et le mignon du premier d'entre eux, nus et recouverts d'une indélébile liqueur noire, chassés de Kerdarya. Que nul ne leur donne eau, nourriture, vêtement ou abri ! Ils étaient devenus animaux, non point loups qu'il faut tuer, mais qui méritent encore le respect, basse vermine dont le simple contact est souillure. Ils disparurent. Les bêtes des forêts à l'entour savent ce qu'ils devinrent.
Dans la foulée du terrible châtiment et de la mort du mauvais roi, on élut un nouveau regs regom. Il était, de tous les grands rois, le plus proche des souhaits des prêtres : Nul n'était plus prêt à leur obéir pour tout ce qui touchait au divin. Dommage qu'il ait une si haute idée de son rang. C'était, au vu de leurs projets, minime inconvénient. Il suivrait leurs directives pour le Printemps Sacré. Aucun risque qu'il soit détourné ou serve à l'élévation d'un de leurs ennemis.

Plusieurs lunes s'écoulèrent. Les signes et prodiges tant espérés ne se manifestaient pas. On murmurait contre les oracles. À quoi bon leur monopole des visions divines et de leur interprétation, s'ils ne voyaient rien ? Quelques porteurs de lin soudoyés et quelques guerriers, fidèles de l'ancien roi dont chacun avait oublié le nom, prétendirent avoir été touchés par l'aile du divin. Les puissances, à ce qu'ils disaient, étaient fâchées que les augures et les premiers servants des autels se soient arrogé le pouvoir de prophétiser, quand il avait de tous temps été accordé à chaque homme libre assez pieux. Ce n'était qu'un vague prurit, de l'énervement que les hauts prêtres affectaient de mépriser, laissant le nouveau roi le réprimer sans pitié. Il pouvait s'enfler, et tout emporter à nouveau. Ils commençaient, en cette saison froide où les hommes, réunis autour des foyers, parlent de tout et échangent des idées que l'oisiveté rend vite subversives, à le voir : L'absence de prophétie pour désigner le meneur du Printemps Sacré pesait. Il y avait eu trop d'espoirs fauchés par la chute des impies. Après un premier mouvement de colère envers eux, leurs dupes s'en prenaient, en termes voilés, à ceux qui leur avaient ôté leurs illusions. Et si bientôt, frustrées de leurs rêves de conquête, elles regrettaient l'ancien roi ?

16/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-30


– Reg bhlaghmen e ! Pourquoi as-tu sacrifié pour un sacrilège ? Le prêtre qui a dit que Nerghwen devait mener le Printemps Sacré a menti.
Il y eut un instant de stupeur. Des hurlements s'élevèrent. Le seul à réagir fut le prêtre félon. Il se rua vers l'autel. La pierre cria de plus belle :
– Arrêtez celui qui est indigne de la robe de lin.
Les prêtres, et quelques guerriers rassurés par la licence de frapper un première caste se précipitèrent et lui bloquèrent la route. L'autel parla à nouveau :
– Éloignez-le de moi ! Éloignez cet impie !
Plusieurs prêtres de confiance ôtèrent le sacrilège des mains de ceux qui lui faisaient un mauvais parti et l’éloignèrent du lieu du sacrifice. Chacun regardait l'autel. Le roi des rois et son mignon avaient compris. C'en était fini de leurs ambitions. Il continua :
– Prêtres, guerriers, interrogez-vous et cherchez à savoir à qui aurait profité la fraude. S'ils ne se punissent eux-mêmes, je m'en chargerai vite.
Tous les regards se tournèrent vers le roi des rois et son giton. Il était verdâtre, le roi d'un rouge violacé, veines sur le point d'éclater. Il ne pouvait rien faire. Il regarda son vainqueur, ce prêtre qui n'avait pas hésité à se mutiler pour lui montrer qu'il ne le craignait pas. Dire que jusqu'à ce que l'autel parle, il pensait l'avoir abattu... L'autre triomphait. Il ne lui donnerait pas le plaisir de mourir. Son honneur exigeait qu'il aille combattre dans une bataille dont il savait ne pouvoir sortir que mort. Il n'en était pas question. Que les dieux lui règlent son compte, s'ils l'osent. Il vivr/
Mais quel était ce bruit dans sa tête, pourquoi ce voile rouge, puis noir, devant ses yeux ? Il s'était écroulé. Ses ongles grattaient le sol et il voyait – non, il ne voyait pas, c'était une autre sensation, pour qui il aurait bien voulu trouver un nom, si le chercher ne l'avait fait autant souffrir – un visage furieux. C'était celui du dieu qui châtie les parjures, ou celui de Thonros, mais il avait les traits du regs-bhlaghmen et tout devint noir et il n'y avait plus de visage et il n'entendit ni ne sentit plus rien il n'y avait plus qu'un corps tout bleu et il ne savait même pas que c'était le sien il ne savait plus ri... Il n'était plus personne, qu'un nombre appréciable de livres de chair morte, à la peau bleuie, mal caché sous un manteau soudain trop petit.
Chacun s'éloigna du corps – du cadavre – avec horreur. La voix s'éleva, une dernière fois :

15/02/2009

AUBE, la saga de l'Europe L II, p 029

Il ne s'inquiétait pas. Il accompagnerait le mignon du roi des rois et se tiendrait à ses côtés devant les pierres de sacrifice. Il ferait s'en élever la voix des dieux. Ce tour, un sacrilège de la part de guerriers ou de producteurs, lui apparaissait normal et licite venant de lui, porteur de lin. Il n'avait pas reçu un tel pouvoir sans raison. Il ne faisait que son devoir en tentant de devenir le regs-bhlaghmen, fonction vers quoi le poste auquel il s'était désigné n'était qu'un marchepied. Un jour, il referait parler les autels sacrés. Ils clameraient que lui seul était digne de sacrifier au nom de tout Aryana. Il n'était pas très fier de servir ce roi des rois pour accéder au plus haut rang, mais l'arrogant ne serait pas éternel... et le jeune homme qu'il favorisait était si beau.
La cohorte des usurpateurs se présenta devant les autels. Derrière les pierres sacrées trônaient les prêtres principaux. À part le prêtre roi et le haut prêtre de la fécondité, dardant vers lui un regard tout de férocité et de haine, et le grand Oracle avec son masque, il n'en reconnaissait aucun. Son cœur était si égal qu'il ne s'étonna même pas de la présence, au côté du regs-bhlaghmen, d'un répugnant vieux prêtre à la robe blanche couverte de fils rouges. Le premier orant parla :
– Je vais sacrifier d’un bélier sur l'autel du maître des serments. Il nous montrera, en acceptant ce sacrifice, s'il reconnaît pour sienne la parole qui t'a désigné pour mener le Printemps Sacré.
Le mignon, interpellé, leva la tête et fit un signe discret à son protecteur et au jeune prêtre. Ils guettaient de tels signes, preuve de leur connivence sacrilège. S'ils avaient, un instant, douté du bien-fondé de leurs contre-mesures, cela leur était, après ces clins d'œil, bien passé.
Le premier prêtre fit venir un bélier et l'immola sur l'autel. Il récita les routinières prières où il demandait à la divinité, en acceptant l'offrande, de bénir celui au nom de qui il la faisait. Jamais un autel n’avait déclaré qu'un sacrifice lui avait déplu. Aussi longtemps qu'ils ne diraient mot, ils consentiraient et accepteraient les prières des suppliants. Le sang coula sur l'autel, on démembra l'hostie, son corps fut distribué aux guerriers à dix pas. Les viscères consacrés furent mis à cuire, et quand ils furent carbonisés, le premier prêtre demanda au dieu s'il était satisfait. Une voix, sourdant de la pierre sacrée, s'éleva :

14/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-28

Le messager reçut de nombreux biens. On lui ordonna de partir et de tenir sa langue. Les hauts prêtres s'entretinrent afin de trouver le moyen d'abattre celui qui s'était fait désigner comme le roi du prochain Printemps Sacré. Il avait annoncé sa venue prochaine. Tout serait combiné pour sa chute à son arrivée. Plusieurs auraient préféré abattre sa superbe dans son fief. La majorité refusa. Le bruit de l'usurpation s'étant répandu par tout Aryana, son humiliation serait publique. Elle aurait lieu devant leurs autels sacrés. Nul autre site ne serait plus propice.
L'unanimité se fit autour de cette idée. Ils la peaufinèrent les jours suivants. Chacun était prêt quand, accompagné du roi sacrilège, l'homme désigné par fraude pour mener le prochain Printemps Sacré se présenta aux portes de la cité sanctuaire. Ils l'attendaient. Ils avaient inspecté tout le pourtour des autels, au cas où au lieu d'avoir su faire parler les pierres, le prêtre félon aurait eu recours à un complice qui s'y cachait. Il ne recommencerait pas ici. Personne ne s'en approcherait à moins de cinq pas, qui ne soit connu d'eux. Sur la suggestion du chasseur de maléfices, cette distance fut étendue à dix. Une précaution exagérée, de son propre aveu, mais il s'en voudrait toujours si celui qui faisait parler les choses, comme lui, faisait encore illusion à la plus courte distance. À celle qu'il imposait, tout risque était conjuré.
Sans perdre de temps, ils firent annoncer qu'en ce jour favorable, ils feraient un grand sacrifice de réception pour demander aux dieux du serment et de la punition du parjure de se prononcer sur le prodige qui avait fait du mignon du roi des rois le meneur de la prochaine conquête, et de son prêtre le premier servant de la fécondité. Se voyant déjà désigné et accepté à ce poste, le traître aux siens voulut se mêler à ceux de son futur rang, tout près des autels. Il n'en était pas question. En un tel lieu, il lui eût été aisé d'accomplir ses maléfices. Et il était trop tôt pour le faire récuser par l'autel lui-même. Aucun des prêtres opposés à l'usurpation ne tenait à dévoiler leur arme. À la fin, le grand prêtre en personne lui ordonna de rester avec ceux de son clan, jusqu'à ce qu'il l'appelle auprès de la pierre où il sacrifierait. Il consentit à attendre.

13/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-27

Ils étaient peu, dans ce village, à douter de l'imposteur. Tous ou presque l'auraient suivi, s'il le leur avait demandé... avant la révélation de l'animal voix des dieux. Maintenant, tous, à commencer par ceux qui y croyaient avec le plus de fanatisme, l'auraient mis en pièces, lui et ses complices. Déjà ils parlaient de prévenir tous leurs voisins, et de leur rapporter l'avis divin. Le messager ne doutait plus. Lui et le prêtre partirent sitôt que, à ce qu'il sembla aux villageois, la chèvre eût fini de parler. Il y eut quelques-uns d'entre eux à établir un rapport entre leur présence et les paroles de l'animal. Ce ne fut pas dans le sens du scepticisme. La bête n'avait pu parler que par une faveur de ces voyageurs, dieux sous défroque humaine. Très vite se répandit la légende qu'ils étaient venus en personne se plaindre du sacrilège dont ils avaient été victimes. Les deux héros ne le surent que plus tard... Ils en crevèrent d'orgueil, dit-on.
Le messager jubilait. Les basses manœuvres des ennemis des prêtres et de leurs complices échoueraient. Son avenir s'annonçait radieux.
Ils arrivèrent à Kerdarya. Le prêtre fut mené sans délai au temple de Dyeus Pater, saisi aux épaules et embrassé par le premier des bhlaghmenes comme un égal. Il lui demanda sans tarder une démonstration. L'autel du dieu du jour parla : l'usurpation serait décapitée et arrachée. Même prévenu, il fut tout surpris. Il regarda derrière. Non, personne ! Il revint vers le magicien, soulagé comme les malheureux à qui on a arraché la dent qui leur élançait. Sa vengeance, et leur triomphe, ne tarderaient plus.
L'arrivant pouvait bien être leur futur sauveur, il puait trop. Il lui dit d'aller se laver et de revêtir sa robe de chasseur de maléfices. Deux pas du soleil après, tout luisant de propreté à en paraître écorché, la barbe et les cheveux bien peignés (Il avait pourtant utilisé pour les lisser, négligeant le peigne d'os qu'on lui avait offert, une simple branche épineuse.), il s'était présenté devant le conseil des prêtres rameuté à la hâte. Il avait, dans sa robe parsemée de fils rouges, une allure décidée et conquérante. Les participants à la réunion, qui se souvenaient de sa description peu flatteuse, hésitèrent à le reconnaître. Il avait à l'appui de ses prétentions le témoignage du messager. Il pouvait certifier ses pouvoirs et les réactions quand il les avait manifestés. L'assemblée écoutait. Il eut tout le loisir de s'expliquer. Le premier prêtre jugea une démonstration plus éloquente que tout discours. Il lui en demanda une. Démangé depuis le début par l'envie de briller devant tous ces prêtres dont il avait longtemps oublié, dans son exil, qu'il était l'égal, il s’exécuta. Il fit dialoguer les autels entre qui il se trouvait. Même si leurs deux voix se ressemblaient, il aurait fallu ne pas être émerveillé par sa prouesse, qui retenait toute l'attention, pour le remarquer. Seul le messager le nota. Il lui en parlerait. Il saurait y remédier.