13/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-19


Il prit congé, sans un mot. Il ferait connaître par son héraut le moment et l'ordonnance des cérémonies. Mêlant les festivités de l’arrivée dans les terres nouvelles et du mariage, elles réconcilieraient chacun autour de lui et du nouveau couple, en associant les plus réticents à la joie de la fête. Nul ne saurait pour quoi les participants à la ripaille s’étaient réjouis. Tous ceux qui festoieraient en cette proche journée reconnaîtraient par là sa légitimité. Il y gagnerait tout autant que Belonsis.
 Il arriva en vue des tentes et chariots de son clan. Il s’arrêta un bref instant, se saisit le menton :
– Maintenant, il faudrait peut-être que j’annonce à ma fille que j’ai décidé de la marier, et à qui.
 
– Je ne suis pas une servante, qu’on vend comme ça au premier passant pour faire une affaire!
– Calme-toi! Belonsis est un très beau parti, beau garçon, en plus. Des milliers de filles t’envieraient, et toi...
– Oui, moi...
– Et toi, tu fais la fine bouche, tu décides que celui que je t’ai choisi n’est pas assez bien pour toi. Qui voulais-tu donc pour époux ? Le fils aîné du roi des rois ? Remarque bien que ça ne m’aurait pas déplu, mais il a une femme, et tous ses frères avec lui.
– J’aurais voulu que tu ne me maries pas à un ennemi. J’en ai entendu de belles sur Thonronsis et sa bande. Tu me livres à des loups. Je ne serai pas une épouse, mais un otage. Et tu prétendais m’aimer.
– Belonsis n’est pas un loup. C’est un garçon de valeur, guère plus âgé que toi... Tu n’aurais quand même pas voulu d'un vieillard ?
– Ta femme n’est pas beaucoup plus âgée que moi !
– Tu veux dire... moi, un vieillard ! Mais amène-moi tous les jeunots que tu veux, et je te les casse en deux... Et puis qu’est-ce que tout ça a à voir avec ton mariage. Tu serais mon fils, tu aurais vu, si on discute mes décisions.
– Tu m’as vendue !

12/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-18


– Je ne voulais pas favoriser un seul d’entre vous au détriment de tous les autres... Et je voulais pour notre tribu une alliance profitable. Kleworegs est haut roi, et il n’y a que trois mains de hauts rois en Aryana. Bien sûr, si l’un d’entre vous a mieux à me proposer... mais je crains qu’il ne soit trop tard. Nous avons échangé des serments. Et il m’a accordé tout ce que je lui demandais.
 Il continua. Kleworegs l’écouta sans grand plaisir, ne lui prêta plus qu’une oreille distraite. Ne le citer que par son nom, omettre avec soin ses titres, n’avait rien d’amical... Peut-être devait-il cette impolitesse à son auditoire. Il n’aimait pas plus ses derniers mots. Ils puaient le mensonge éhonté... à moins que Belonsis n’ait su, dès le début, ce qu’il voulait. Il avait poussé ses premières exigences très haut dans le seul but de parvenir au résultat présent. Il n’empêchait... Alors que tous les autres clans se fondraient en une seule tribu, ceux des terres au-delà du fleuve du levant garderaient leur indépendance. Ils seraient, au rebours de tous les autres, une tribu dans la sienne... Ce que Thonronsis aurait voulu, son alliance en plus. Même s'il comptait lier son gendre dans tout un filet d’obligations, il avait, pour le moment, gagné.
 Il observa ses hommes. Quelques-uns, les plus vieux ou les plus sages, chuchotaient à l’oreille de leurs voisins. La houle de colère s’apaisait à mesure que leurs paroles passaient. Il y avait même des sourires, des airs réjouis, des amorces de ricanements quand leurs regards rassurés croisaient le sien... Il avait raté une réflexion de son futur parent. Quelles étaient ses dernières paroles ? Il avait parlé du soutien des dieux, et de leur versatilité. Où avaient-ils trouvé motif à rire ? Il l'écouta, plus attentif... Mais non, rien. Ce n’était plus que des phrases vides. Il avait manqué quelque chose d’important, qui ne repasserait pas. Tant pis. Il se résignerait à lui faire confiance. Une fois tous leurs serments échangés, il serait lié à lui et devrait lui être fidèle, sauf à encourir l’ire des dieux... (« Et il y aura toujours ma fille pour l’influencer. Entière, obstinée, elle le manœuvrera... comme moi, quand l’envie l'en prend. »)
 Il avait encore affaire. Sa présence était désormais inutile. Belonsis, à voir l’attitude de ses guerriers, les avait gagnés à sa cause... pour de bonnes ou mauvaises raisons, il serait toujours temps de le savoir.

11/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-17

La porte de la tente venait de s’ouvrir en grand. Les deux rois en sortaient, souriants. Les hommes de Belonsis s’entre-regardèrent, aussi mécontents que leur chef semblait satisfait. Ils le virent les examiner, s’attardant sur les plus importants d’entre eux, qui tous avaient des filles ou des sœurs à marier. Ils seraient déçus, mais il n’en avait cure. Le mariage avec la fille de Kleworegs, s’il allait pour un bref moment tous les fâcher, n’aurait en fin de compte que des avantages. Il aurait été prisonnier de sa belle-famille et aurait eu à souffrir de la jalousie de tous ceux qui avaient vu leur parentèle rejetée. L’union avec cette étrangère au clan lui simplifiait la vie. Mieux valait une colère générale, qui s’éteindrait bien vite, qu’une longue jalousie recuite de tous ceux qui avaient été écartés. Mieux valait une belle-famille qui se mêlerait peu de ses affaires que des beaux-frères qui tenteraient chaque jour de l’influencer au prétexte de leur alliance.
 Il leur fit un grand sourire. Il le voulait plein d’ironie. Ils y virent l’annonce d’une heureuse nouvelle... Mais quelle bonne nouvelle pouvait sortir d’une entrevue avec Kleworegs ? La réflexion, après coup, vint assombrir leur belle humeur. Tous levèrent la tête comme pour l’interroger. Il ne les fit pas languir.
– Chasseurs de loups, voilà ce que Kleworegs et moi avons décidé. J’ai résolu, sur sa proposition, de prendre sa fille pour épouse.
 Un grondement monta de la foule. Chacun espérait qu'il épousât un jour sa fille et sa sœur. Il les décevait tous. Même si la raison leur dictait qu’il n’aurait pu prendre qu’une seule épouse, tous avaient espéré qu’elle serait de leur famille. Seuls les plus sages avaient été effleurés par l’idée qu’il aurait pu, pour des raisons d’alliance, se lier avec celle d’un roi ou haut roi d’une autre tribu... De là à épouser la fille de celui qui avait usurpé la place de leur précédent roi...
 Il fut désarçonné par leur réaction. Il se tourna vers Kleworegs. Son calme rejaillit sur lui. Il éleva le ton, leur imposa silence.

10/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-16


Le soleil avait fait du chemin. Proches et guerriers de Belonsis avaient tous fini par savoir que Kleworegs était en grande discussion avec lui... De quoi pouvaient-ils s’entretenir si longtemps ? Beaucoup auraient voulu entrer sous sa tente et s’y mêler. Les gardes houspillaient ceux qui s’approchaient trop. Chassés et furieux, ils se réunissaient en petits groupes, selon leurs affinités et leurs haines, et commençaient des échanges de vue passionnés. La présence du haut roi ne leur disait rien qui vaille. Ils la commentaient en termes malveillants. Les conseillers de Belonsis, en particulier, s’offusquaient de ne pas être admis à la rencontre. Seul, il gardait son libre arbitre, et décidait de lui-même, pesant avec sagesse le pour et le contre. Ils se désolaient de ne pas être à ses côtés pour l’influencer. Les dieux savent ce qu’il accorderait à Kleworegs. Peu ou beaucoup, ils n’arrivaient pas à l’imaginer, mais toujours trop et rien, à coup sûr, qui aille dans leur sens. Ils levaient la tête. Le soleil était toujours plus avant. Ils se désolaient à mesure de sa progression.
– Ça ne va pas bientôt finir ? Ils en ont encore pour longtemps ?
Ceux postés devant la tente, depuis le matin frisquet, n’osaient s’éloigner pour aller changer leur fourrure contre un vêtement léger. Ils suaient à grosses gouttes. Ils guettaient, l’inquiétude au cœur. Quoi donc mobilisait les deux rois depuis si longtemps ? Ils avaient poussé un grand soupir de soulagement quand ils avaient cru voir s’ouvrir une des portes de la tente... ce n’était qu’un caprice du vent. Ils attendaient, depuis, au bord de la querelle, ou engageant les paris les plus fous.
– Ah, enfin, ce coup-ci, c’est le bon !

09/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-15

– Nul ne les a revus... Qui te dit qu’ils sont morts ? Oh, tu veux marchander la dot de ta fille. Tu ne crains donc pas que l’on dise, dans encore dix générations, combien sa noce avait été humble, sa dot modique... à peine digne de la fille d’un guerrier errant, qui n’a pour biens qu’un glaive ébréché et une rosse famélique. Veux-tu que l’on garde ce souvenir de son mariage ? Pourquoi l’épouserais-je ? La honte serait autant sur moi d’avoir accepté cette union, que sur toi de l’avoir projetée.
 Kleworegs se rembrunit. Il ne s’attendait pas à cette résistance... Et, pour intéressées que soient ces objections, elles étaient justifiées. Il n’était pas question de perdre la face. S’il haussait le ton ? Non, Belonsis, tout veule qu’il était, avait une fierté innée. Elle le ferait se cabrer comme un cheval devant un piètre cavalier. Il se rendrait à ses raisons, mais exigerait beaucoup de lui, à raison même de la splendeur de la dot et de la fête.
– Si au moins je pouvais compter sur ta fidélité. J’ai plutôt eu à me plaindre de tes guerriers depuis notre départ.
– Ils respecteraient le beau-père de leur roi.
– T’engagerais-tu, sur ta vie, à me garantir cette loyauté ?
– Tu pourras compter sur eux, tant que les dieux te soutiendront.
– Et si, comme Thonronsis, tu décidais qu'ils ont cessé ?
– Thon/... Qui s'en soucie encore ? Et aurais-je accepté ton offre d’alliance, sinon. Les dieux, à ma grande surprise, m'ont fait te répondre comme je l’ai fait. Je suivrai leur voie.
– Si tu les écoutes, je me fie à toi sans crainte. Tu seras un gendre et un allié tout à fait loyal.
– Bien sûr ! Si on parlait de la dot ?