28/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-33


Une bonne partie des guerriers le regarda, outrée. La plupart des producteurs, en revanche, semblaient satisfaits. Si Kleworegs avait ordonné aux guerriers de faire place nette avant qu’ils ne s’installent, ils auraient à jamais dépendu d’eux, qui n’auraient pas manqué de se faire payer pour des générations cette sécurité. Ils préféraient de loin courir le risque de se heurter aux habitants des terres dont ils allaient s’emparer, et ne pas faire appel à eux. Peut-être, alors, pourraient-ils hausser leur statut. Une telle chose était arrivée lors des premiers Printemps Sacrés, où des gens de basse naissance s'étaient faits guerriers au gré des circonstances. Ce serait à leur tour.
Des mouvements divers agitaient la foule. Passer des hommes de Belonsis aux compagnons d’Udnessunus donnait une idée de l’immense éventail des sentiments humains.
– Ceux qui me connaissent savent que verser ou faire verser notre sang m’est en horreur. Ils m'auront compris. Pour les autres, qu’ils ne fassent rien qui puisse gêner une conquête qui rendra Aryana plus riche et plus puissante et lui permettre de rassembler autour d’elle tous ses enfants, même ignorés. Au-delà de l’idée que la gloire serait plus grande, et les combats plus beaux, à l’orient où errent les Muets, certains refusaient l’occident par crainte qu’il ne s’empare d'eux et ne les dévore. Nous retrouverons nos cadets perdus, et leurs fils, et les fils de leurs fils, et leur ferons place. Après, il sera toujours temps de combattre. Cela viendra peut-être plus tôt que vous ne pensez.
Il descendit de l’estrade et s’approcha du cheval que, par privilège de haut roi, lui seul avait le droit de sacrifier. Il prit la masse des mains du prêtre qui se tenait près de la victime, l’éleva et l’abattit. Tous les prêtres l’imitèrent, dans un concert de beuglements de peur et de souffrance à les assourdir tous. Il laissa ensuite le prêtre découper l’étalon, et porta les parties sacrées qu’il lui donnait sur l’autel où elles devaient brûler. A peine commençaient-elles à grésiller qu’il s’inclina, puis s’éloigna sans attendre. Il se dirigea droit vers Belonsis, et le toisa, le regard fixe.
– Retourne chez toi et fais venir ton prêtre. Je vais chercher ton épouse

27/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-32

... Ces Printemps Sacrés ne furent cependant pas des échecs. Même semée en mauvaise terre, notre graine avait germé. Et il ne faut pas perdre de vue tous ceux qui choisirent de rester près de la terre-mère, et n’oublièrent rien de leur mémoire. C’est grâce à eux qu’Aryana s’étendit et se renforça. C’est leurs fils qui nous ont donné l’hospitalité avant de partir vers les terres nouvelles... Et nous tous, qui venons du midi, ou d'au-delà du fleuve du levant, sommes les enfants de ces héros...
... En ces temps, bien des choses étaient autres. Il n’y avait guère de place sur la Terre. Nos aïeux devaient chasser pour se nourrir, et tuer les hommes qu’ils rencontraient pour assurer que leur semence soit la seule à prospérer. Plus tard, ils surent mener paître les troupeaux, et eurent de femmes serviles des fils qui les gardaient... Plus tard encore, ils rencontrèrent ceux qui faisaient rendre des fruits à la terre-mère, et épousèrent leurs filles. Ils ne dépendirent alors plus du seul Bhagos, mais du cycle des saisons... Naquit le monde que nous connaissons, avec ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui produisent. Un monde complet, où personne ne manque, où chacun est à sa place... mais aussi un monde trop étroit, puisque à mesure que nos terres produisent, le ventre de nos femmes s’arrondit et les enfants qui nous naissent sont de plus en plus nombreux, solides, se riant des maladies. Et comme aux temps les plus anciens, où nous ignorions l’élevage et la culture, nos terres deviennent trop petites ...
... Alors, faisons comme en ces temps. Mais, sachons-le, le monde a changé. Le moment n’est plus venu de partir comme un feu qui dévore tout, avant de s’éteindre. Emparons-nous d’autant de terres qu’il sera nécessaire, pour cette génération et les suivantes, mais n’oublions pas que nombreux seront, parmi ceux que nous allons rencontrer, ceux qui ont notre sang dans leurs vaisseaux. Quand nous en serons sûrs, nous devrons en faire nos frères... quand nous le soupçonnerons, nos alliés ou nos auxiliaires. Les autres se réfugieront dans les forêts ou se soumettront. Mais je veux en faire des serviteurs, non des cadavres. Dès qu’ils seront sous la responsabilité d’un clan, nul autre ne devra les molester. »

AUBE, la Saga de l'Europe, III-32

... Ces Printemps Sacrés ne furent cependant pas des échecs. Même semée en mauvaise terre, notre graine avait germé. Et il ne faut pas perdre de vue tous ceux qui choisirent de rester près de la terre-mère, et n’oublièrent rien de leur mémoire. C’est grâce à eux qu’Aryana s’étendit et se renforça. C’est leurs fils qui nous ont donné l’hospitalité avant de partir vers les terres nouvelles... Et nous tous, qui venons du midi, ou d'au-delà du fleuve du levant, sommes les enfants de ces héros...
... En ces temps, bien des choses étaient autres. Il n’y avait guère de place sur la Terre. Nos aïeux devaient chasser pour se nourrir, et tuer les hommes qu’ils rencontraient pour assurer que leur semence soit la seule à prospérer. Plus tard, ils surent mener paître les troupeaux, et eurent de femmes serviles des fils qui les gardaient... Plus tard encore, ils rencontrèrent ceux qui faisaient rendre des fruits à la terre-mère, et épousèrent leurs filles. Ils ne dépendirent alors plus du seul Bhagos, mais du cycle des saisons... Naquit le monde que nous connaissons, avec ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui produisent. Un monde complet, où personne ne manque, où chacun est à sa place... mais aussi un monde trop étroit, puisque à mesure que nos terres produisent, le ventre de nos femmes s’arrondit et les enfants qui nous naissent sont de plus en plus nombreux, solides, se riant des maladies. Et comme aux temps les plus anciens, où nous ignorions l’élevage et la culture, nos terres deviennent trop petites ...
... Alors, faisons comme en ces temps. Mais, sachons-le, le monde a changé. Le moment n’est plus venu de partir comme un feu qui dévore tout, avant de s’éteindre. Emparons-nous d’autant de terres qu’il sera nécessaire, pour cette génération et les suivantes, mais n’oublions pas que nombreux seront, parmi ceux que nous allons rencontrer, ceux qui ont notre sang dans leurs vaisseaux. Quand nous en serons sûrs, nous devrons en faire nos frères... quand nous le soupçonnerons, nos alliés ou nos auxiliaires. Les autres se réfugieront dans les forêts ou se soumettront. Mais je veux en faire des serviteurs, non des cadavres. Dès qu’ils seront sous la responsabilité d’un clan, nul autre ne devra les molester. »

26/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-31


Le soleil était au plus haut. La foule se serrait devant l’estrade, de part et d’autre d’une longue théorie de bovins ruminant, indifférents, en regardant les hommes armés de masses qui se tenaient près d’eux. Plus loin s’élevaient les bûchers, où leur chair, sacrifiée en l’honneur des dieux, serait cuite, puis livrée à son appétit. Kleworegs monta à la tribune avec lenteur, comme s’il fournissait un effort énorme à chaque pas. Cette démarche appuyait la solennité du moment. Il l’exagéra au point de manquer choir. Personne n’avait remarqué son faux pas. Il se rassura. Ce n’était qu’un avertissement bénin à être plus naturel... Il avait d’ailleurs tout autre chose à penser. Il fallait que sa proclamation du Printemps Sacré soit si belle qu’elle reste à jamais dans les mémoires. Plusieurs prêtres capables de se rappeler un discours sans en rien changer se tenaient, attentifs, à son écoute. Plus que pour l'assemblée à ses pieds, il parlerait pour eux afin qu’ils n'en déforment rien et le rapportent partout mot pour mot. Il examina ceux qui lui faisaient face, regarda les bannières tout autour de l’estrade. Celle des guerriers de Belonsis était mélangée aux autres, mais eux, par contre, formaient un groupe bien soudé. Le banquet les rendrait peut-être plus solidaires... Et si jamais ils restaient sur leur insultant quant-à-soi, Belonsis devrait, à un moment ou à un autre, lui jurer fidélité. Après, seulement, il pourrait leur reprocher leur attitude.
 Il regarda le soleil, comme pour guetter son avis. Il baissa la tête, puis la releva. Il était temps de parler :
– Prêtres, rois, guerriers, producteurs, tous réunis derrière moi pour le Printemps Sacré, je veux vous dire vos devoirs et vos droits, mais surtout vous enseigner pourquoi vous devez faire certaines choses, et pourquoi d’autres ne sont pas permises, sous peine que nous échouions tous. Parce que les dieux nous ont donné cette terre, ils attendent beaucoup de nous. Parce que je suis celui qu’ils ont désigné, c’est par ma bouche qu’ils vous diront leurs exigences...
 ... Ce Printemps Sacré n’est pas le premier. Aux premiers temps, chaque cadet pouvait partir à l’aventure, avec ses compagnons. Il s’enfonçait droit devant lui dans la vastitude, se nourrissait des animaux qu’il sacrifiait, prenait épouse à sa convenance parmi les femmes des tribus qu’il subjuguait. Les récits nous disent que certains de ces hommes, il y a plus de générations que le plus grand chêne n’a d’ans, allèrent loin, si loin, que nul ne sait ce qu'il en advint. Ils portèrent notre nom aux confins de la Terre, mais, seuls et sans épouse de bonne souche, durent s’unir à des étrangères, et leurs enfants perdirent jusqu’à leur souvenir...

25/03/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, III-30


La fille de Kleworegs avait fini de se vêtir. La jeune épouse de son père se tenait à ses côtés, l’air engageant, remplie du désir éperdu de l’aider et de lui faire paraître ses dernières heures parmi les siens moins pénibles. Elle parlait et s’empressait, pleine de sollicitude. La future mariée n’entendait pas le plus petit mot de ses discours. Elle rêvait… Tout ce qui lui arrivait n’était qu’une idée. Son père n’avait jamais décidé de la donner à un homme. Ce n’était qu’une mise à l’épreuve, destinée à juger de son obéissance. «J’ai été rebelle, oublieuse de toutes les lois, j’ai insulté à sa volonté. J’ai raté l’épreuve qu’il m’a imposée. Je ne serai plus sa préférée, celle qu’il aimait, sa seule, son unique ! ». Elle se lamentait, guettant, impatiente, le moment où il surgirait pour lui dire que le mariage n’aurait pas lieu. Elle lui demanderait son pardon... Elle serait dorénavant toujours soumise. Et il pardonnerait, après un long éclat de colère... Peut-être l’habillerait-il en homme pour l’emmener à ses conseils, afin qu’elle choisisse parmi ceux qu’elle rencontrerait le roi digne d’elle. Elle attendait, elle ne doutait plus. Il l’arracherait à son cauchemar.
– Tu sais, tu as tort de t’inquiéter ainsi. Moi aussi, je me suis retrouvée mariée sans bien savoir ce qui m’arrivait, et j’ai eu très peur. Mais de quoi ? Kleworegs n’avait plus ses parents, et sans swekru, j’étais la maîtresse de la maison. Belonsis est seul, lui aussi. Tu n’auras pas de vieille femme au-dessus de toi.
– ...
– Ah, je vois ! ... Tu ne m’écoutes pas... mais tu m’entendras. Je t’en veux, tu sais, de cracher ainsi sur ton bonheur. Que voulais-tu ? Choisir, ah, choisir... mais une fille de chef n’épouse pas un homme, elle épouse sa famille, elle change de clan. Aurais-tu su deviner, derrière la figure affable ou superbe de l’homme de ton choix, à quoi ressemblaient l’épouse de son père, qui te tiendrait sous sa coupe, et toutes tes futures sœurs, et tes nouveaux frères. Ton père a bien choisi. Tu seras la première femme d’un chef de clan renommé, sans autres pour te dicter ta conduite. Tu seras la maîtresse, et, pour peu que tu donnes de beaux enfants à ton époux, la seule à compter à ses yeux. Aurais-tu su choisir ainsi, et te hausser à un rang qu’une uksor, nouvelle venue dans son clan, ne peut atteindre qu’après une longue patience ? Tu sais bien que non. Seuls les pères peuvent tout savoir de la famille à qui ils donnent leur fille. Celles qui sont indignes ne se voient jamais proposer d’épouse.
– Si je m’étais trompée, ç’aurait été ma faute. J’aurais peut-être été servante sous une belle-mère insupportable, mais c’est moi qui aurais choisi.
– La liberté de choisir sans savoir ce qui se cache derrière les apparences. C’est ça ta liberté ? Tu te veux libre de faire ton malheur, c’est ça ?
– Il vaudrait toujours mieux qu’un bonheur imposé !
– Je ne veux plus discuter de ça. Tiens-toi prête. Ton père vient te chercher bientôt.