03/04/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-39
Kleworegs et Belonsis avaient fini d’échanger leurs serments. Le haut roi regarda son gendre.
– Voilà ! J’espère que les tiens seront nos meilleurs guerriers, maintenant qu’ils ont compris que les dieux sont avec leurs rois.
– Oui ! Ah, Kleworegs, tu m’as comblé en me donnant une épouse aussi belle. Comment pourrais-je te manquer après une telle preuve d’amitié ?
– (Un homme peut-il penser ainsi !?)... Si nous allions fêter notre union. Venez tous au grand banquet pour célébrer notre arrivée dans nos nouveaux fiefs. Je dois aller le présider.
– Mais il y a le banquet du mariage. Nous avons rassemblé le gibier, les bêtes sont prêtes à être sacrifiées. Sors, regarde. Le bûcher est dressé.
– Ce sera comme tu veux, mais il vaudrait mieux, pour montrer combien tu m’es fidèle, que tu présides la grande fête avec moi. Nous festoierons pour le mariage ce soir, au coucher du soleil.
Permi intervint.
– Vas-y ! Ceux du Printemps Sacré doivent apprendre à connaître leur futur haut roi. Prends ton char, fais-toi accompagner de tes guerriers, et reparais là-bas. Je t’attendrai.
Kleworegs la regarda avec colère et appréhension. Comment son mari, s’il avait de l’honneur, supporterait-il qu’elle lui donne des ordres ? Il s'inclina.
– J’ai vu ta beauté. Je suis heureux de découvrir ta sagesse.
Il sortit prendre son char. Kleworegs le suivit, l'air sombre. Avait-il perdu son aînée ?... Pour la première fois, il craignait de devoir répondre oui.
L’arrivée de Belonsis et de ses guerriers au banquet fit sensation, et plus encore l’ordre qu’il leur donna de se placer pour que ceux de Kleworegs et les siens soient mélangés autour des feux. Chacun attendait que le haut roi ouvre la ripaille. Satisfait que Belonsis se conduise en allié loyal, même s’il n’avait amené qu’une petite partie des siens, il déclara qu’il était temps de commencer à se goberger de la viande sacrifiée. Le vent caressait sa joue. L’odeur des viandes devait parvenir au camp de son gendre. Ceux qui avaient prétexté la préparation des fêtes du mariage pour ne pas venir recevraient de plein fouet les odorants effluves des grillades, et auraient les oreilles martelées des chants joyeux de ses hommes.
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02/04/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-38
Ce serait de mauvaise politique, et le prêtre qui officiait pourrait soudain devenir vigilant quand ils réciteraient les serments qui engageaient les deux clans. Mieux valait compter sur sa fille, même si elle semblait encore ingrate. Elle avait la vertu évidente de dominer son époux, et, à en juger par son attitude et sa détermination, elle saurait rester la maîtresse. Même si elle avait changé de clans et d’ancêtres, ses racines lui restaient. Elle ferait profiter ceux du Cheval ailé de son influence.
« Certes, elle est amoureuse de son mari, mais elle a son caractère. Tout son amour ne l’empêchera pas de vouloir commander. Ah, la façon dont elle traitait ses servantes, y compris les plus proches, qui avaient remplacé sa pauvre mère ! Elle les aimait, mais il fallait voir comme elle leur parlait. Ce sera pareil avec Belonsis. Elle a mon sang. Elle ne peut qu’ordonner ! Et ordonner dans le sens de nos intérêts. »
Oubliées les réticences et l’hostilité de sa fille, oubliée son omission, à l’évidence volontaire, de sa naissance. Elle était royale, impérieuse, semblant diriger le mariage qu’elle refusait quelques pas du soleil avant. C’était au tour de Belonsis de jurer sur ses autels sa fidélité à Kleworegs. Le haut roi du Printemps Sacré se surprenait à se conduire envers Belonsis avec plus d’amabilité et moins d’arrogance que sa fille, tout amoureuse de lui qu’elle était. Non, il avait tort de qualifier ainsi son attitude. Elle se voulait l’égale de son mari, et exagérait sa roideur. Se faire désirer encore plus en se montrant inaccessible ? Peut-être était-ce son intention, mais tout le reste, le parfum de son corps, le feu à ses pommettes, la lueur dans ses yeux, signifiait avec assez d’évidence son désir. Il ne comprenait pas. Ces jeunes gens amoureux ? Un étrange jeu de soumission et de domination ? L’époux de sa fille ne devait pas être un vrai homme, pour la laisser parler lui sur ce ton... Il s’en souviendrait, si l’autre lui était rebelle. On ne suivrait pas plus un homme esclave de son épouse qu’on ne l’aurait suivi, s’il avait cédé à sa fille.
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01/04/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-37
– J’en étais d’accord. Je n’ai pas changé d’avis.
– Et n’oublie pas ! Tes enfants seront vassaux des miens, mais si tu as des filles, mes fils les épouseront. Ainsi, un jour, un enfant possédant les vertus des héros du Cheval ailé et des Chasseurs de loup sera haut roi de ces terres qui s’étendent devant nous/
– Et roi des rois de tout Aryana, si les dieux lui sourient !
– Les dieux lui souriront.
– Les dieux te parlent souvent. Tu ne dirais pas cela en vain.
– Attends. Je n’ai pas terminé. N’oublie pas que si tu devais répudier ton épouse, sans qu’aucune faute ne puisse lui être imputée, tu devras tout lui rendre. Et/
– Ça n’arrivera pas ! Laisse le prêtre qui nous unira en parler, parce que ça fait partie des rites du mariage, mais c’est inutile. Cependant, j’en ferai le serment, pour que notre union soit conforme à la coutume.
Permi, bientôt lasse d’entendre les deux hommes de sa vie discuter, vint se placer entre eux.
– Je suis prête.
Ils la regardèrent, interloqués. Kleworegs était furieux… Sa fille, se conduire ainsi, mais devait se taire. Belonsis hochait la tête en signe d’approbation. Le prêtre, qui venait d’arriver et avait entendu l’adolescente, les observait, offusqué. Jamais une femme ne se conduisait ainsi avec ceux dont elle dépendait. Il grommela entre ses dents une formule destinée à détourner du couple et des guerriers de Belonsis le malheur. Quoi d’autre un clan où l’épouse ordonne, l’homme obéit, peut-il espérer ?
Il n’eut pas le temps de la terminer. Le couple était devant lui. Il ne pouvait plus, dès lors, que faire ce pour quoi on l’avait appelé. Il marmonna les paroles rituelles qui entouraient toute union, rappela à chacun ses obligations. Il demanda à la fille de Kleworegs de sacrifier sur l’autel, et elle versa la rosée devant la pierre sacrée de son clan avec la force des guerriers qui jettent derrière eux le fond d’une cruche d’hydromel pour désaltérer les esprits errants des héros. Avec les mêmes gestes brusques, elle prit des mains de son père le gâteau de cire, le posa sur l’autel ardent de son nouveau clan et annonça, d’une voix forte, qu’elle était désormais l’épouse de Belonsis et la femme du roi des Chasseurs de loups. Kleworegs tiqua. Elle avait omis de dire qu’elle n’était plus fille du clan du Cheval ailé. Cet oubli n’était pas fortuit. Il allait intervenir, mais ni le prêtre, ni son époux ne semblaient avoir relevé ce manquement. Il n’interromprait pas la cérémonie. A quoi bon indisposer Belonsis par une exigence qui pourrait lui paraître insultante. Mieux valait se montrer accommodant et ne pas rompre le charme qui le maintenait dans ce si plaisant état d’hébétude énamourée... Et s’il essayait d’en obtenir plus qu’il n’avait déjà promis ?
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31/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-36
– Voici ton épouse, Belonsis, et sa dot est déjà dans tes pâtis. As-tu appelé le prêtre de ta famille ?
– Tu sais bien que c’est moi... mais ne t’inquiète pas, j’ai fait venir un première caste pour accomplir la cérémonie.
– C’est bien. Il sera témoin de nos serments, que le Vengeur du parjure foudroie qui les briserait !
– Il n’y manquerait pas, mais il n’aura jamais à le faire, sois-en sûr.
– Je n’ai aucun doute sur ta loyauté, mais tu sais bien qu’il faut respecter les formules, sous peine que la cérémonie soit nulle et non avenue.
– Elle n’est pas encore commencée, mais tu as raison. Ne perdons pas de temps.
Il ne manifestait pas une telle hâte sans raison. Depuis l’arrivée de Kleworegs et de sa fille, et le moment où elle s’était dévoilée, il n’avait cessé de la dévorer des yeux. Ça faisait plaisir à voir... sa voix un peu étranglée... l’émotion qui colorait ses paroles. Il se tourna vers sa fille. Elle découvrait l’époux qui lui avait été promis, le regardait, l’examinait, avec l’insistance insolente du maquignon qui jauge un étalon pour en tirer le meilleur prix... Elle n’a plus l’air hostile. Elle est heureuse... Et son futur mari… Leurs corps vibrent, comme leurs cœurs, à l’unisson. « Ah, elle va voir qu’une fille doit se fier à son père pour le choix d’un époux ! ». Elle avait dit ce qu’elle ferait si Belonsis lui plaisait, mais c’était loin et sans doute vain, mot proféré dans la colère, qu’elle oublierait une fois heureuse... Et elle l’était. Ses yeux brillaient, ses narines palpitaient. Pourquoi avait-il pensé un instant qu’il livrait sa fille en otage ? Sous son influence, peut-être... mais tout était fini. L’union serait réussie, et jamais un couple comblé ne s’élève contre qui lui a permis de trouver le bonheur. Pas d’attendrissement ! Il était temps de passer à la cérémonie.
Il allait parler. Il se retint. Il valait mieux les laisser se découvrir, laisser leurs yeux, plus que leurs bouches, échanger leurs serments. Il attendit. Enfin, au bout d’une longue et mutuelle contemplation, le regard de Belonsis se détourna du visage de sa promise. Il désigna l’autel de ses ancêtres.
– Kleworeg, as-tu apporté de quoi faire les libations ?
– Je sais à quoi ressemble un mariage. Ma fille versera l’eau de rosée devant ton autel, et y fera brûler le gâteau de cire. Alors, pour avoir sacrifié à tes ancêtres, elle deviendra Belonsisyo uksor, ta femme et une femme du clan des chasseurs de loups. Alors, tu me jureras sur ce même autel fidélité et soutien dans la lutte. Tu me feras le serment de ne jamais porter les armes contre moi, ni contre les miens... et si un de mes hommes te faisait du tort, au lieu de t’en prendre à lui, tu viendras m’exposer tes griefs, afin que nous en jugions ensemble et que nous le punissions s’il s’avère coupable. Moi-même, je ne causerai préjudice à aucun des tiens, à moins qu’il ne commence... et là encore, si un des miens fait tort à un des tiens, nous serons deux pour le juger. Je crois que c’est tout.
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30/03/2009
AUBE, la Saga de l'Europe, III-35
Ils arrivèrent au pied du char qui allait les mener à son camp. Elle y grimpa, plus poussée par son père que de bon gré. Kleworegs soupira. Il lui en voulait de montrer aussi peu d’enthousiasme. Et si, au-delà de la mauvaise humeur ou de la mauvaise volonté, elle avait senti dans cette alliance un danger qui frapperait bien plus loin que sa petite personne ?
« Non, elle m’en aurait parlé... à moins qu’elle n’ait pas trouvé les mots. L’interroger ? Trop tard ! Elle va vers son destin, et nous aussi, et rien ne pourra nous en détourner. »
Elle se tourna vers lui. Il se força à sourire. Il semblait mendier une parole. Elle resta coite. Elle n’avait rien à dire, que son refus qu’il la marie comme on troque une vache. Non, elle n’avait aucune révélation, aucun savoir secret reçu des dieux (mais les dieux, à l’exception de Maga Mater, parlent-ils aux femmes ?)... rien que le sentiment du mépris de son honneur. C’était un langage que Kleworegs pouvait comprendre, mais l’honneur de son clan prévalait sur celui de sa fille, tel qu’elle le concevait.
Il grimpa à son tour sur son char, et se mit en route. Ses pâtres devaient avoir commencé à mener le troupeau de la dot vers les pâturages du clan de Belonsis. Il arriverait chez son futur gendre en même temps que lui, belle preuve du respect de ses engagements.
Il ne voyait pas son visage. S’il l’interpellait, qu’elle se retourne. Il se retint. Il n’avait pas envie, pendant qu’il pensait aux perspectives qu’allait assurer son mariage, de se heurter à sa figure morose et renfrognée... d’ailleurs, quelle importance ! Il était bien sot de croire que Belonsis s’offusquerait devant son hostilité. L’alliance, seule, l’intéressait. Elle n’était pour lui qu’un gage ou un otage. On ne demande pas à un otage de sourire à ses geôliers.
« Voilà à quoi je t’ai réduite, toi, ma fille préférée... un otage... non, un peu plus qu’un otage, mais guère. Oui, tu peux me haïr. Mais je l’ai fait pour nous tous. Ceux du Printemps Sacré ne doivent faire qu’un. Tu es le garant de cette union. »
Elle jeta un regard en arrière. Elle vit son visage. Elle sourit.
« A la bonne heure ! Elle en a pris son parti ou a compris son intérêt. Je n’aurai pas la honte de l’amener à Belonsis comme une prisonnière. »
Permi s’était à nouveau retourné, et regardait droit devant. Elle souriait toujours. Elle avait vu, un bref instant… de bonheur, son père souffrir.
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